Le Mans, ses rillettes ( à quand un festival du film Cochon ? ), son EuropaJazz qui fête ses trente ans. Déjà.
Mercredi 29 avril
Armand MEIGNAN, le directeur du festival, nous présente le premier concert de la soirée comme un duo unique. Diantre !! Un duo unique. Pas un solo double. Est-ce là une variation mancelle de l’oxymore ?
Sophia DOMANCICH au piano et Simon GOUBERT à la batterie nous offrent à entendre une magnifique conversation où la batterie se hisse au niveau du piano en tant qu’instrument rythmique ET mélodique. Fûts, caisses, cymbales, balais, mailloches, baguettes, ..... tout est prétexte à discussion en-musiquée. Passionnant, enjoué, coloré. Et qui met la barre très haut pour les prochains batteurs.
Suit le duo Rudresh MAHANTHAPPA, sax alto, et Vijay IYER, piano. Écouter les premières envolées du sax les yeux fermés aurait permis de penser à la culture indienne comme matrice de cette musique. L’enchaînement des sons de notre culture ( do-ré-mi) est revisité et évoque, par des glissando et autres modulations fines, le jeu du sitar ou du violon indien. Ce qui, dans le dialogue avec le piano qui lui, reste contraint par ses touches noires et blanches, crée un frottement intriguant et stimulant l’écoute. Au grand plaisir de tous. Ils sont vivement applaudis.
Jeudi 30 avril
Dans la collégiale Saint-Pierre-La-Cour, c’est Peter JACQUEMYN qui crée l’évènement. Présenté comme un homme qui a hésité entre la carrière de judoka et celle de musicien, il donne un solo de contrebasse qui oscille entre embrassement et embrasement.
Trois pieds fermement plantés dans le sol, le hara aussi bas pour l’un que pour l’autre, comme deux sumotori avant l’assaut. ça commence par un étranglement porté au manche de l’instrument suivi d’un corps à corps torse contre torse, un genre d’étreinte amoureuse et fiévreuse. Il tente une immobilisation avec la pince de ses deux genoux qui lui permet d’utiliser un archer dans chaque main. Puis place une diversion, une main là-haut, au ras des clés et l’autre sur le chevalet, qui amène un renversement quasi argentin. Et que j’te mords, et que j’te pince, et que j’te.....On se croirait en plein « Grand Combat » de Henri Michaux et on aurait quelque chose comme :
« Il l’emparouille et l’endosque contre terre ;
Il la rague et la roupète jusqu’à son drâle ;
Il la pratèle et la libuque et lui baruffle les ouillais ;
Il la tocarde et la marmine,
La manage rape à ri et ripe à ra.
Enfin il l’écorcobalisse. »
Rien que ça !!! Un GRAND moment de solitude double (oxymore manceau). Penser à relire « La contrebasse » de Patrick Suskind.
La soirée à l’abbaye de l’ÉPAU est lancée par le Émile PARISIEN quartet. L’Émile au sax soprano, Ivan GELUGNE à la contrebasse, Julien TOUERY au piano et Sylvain DARRIFOURCQ à la batterie. Voilà un groupe passionnant : belles compositions, grand talent à dramatiser l’exposition de chaque morceau, de l’engagement dans les chorus, de la fraîcheur, des sourires. Une bande de mecs qui ne se la pètent pas et qui nous laissent tout souriants de plaisir.
Ils sont suivis par le trio Full Contact : Daniel HUMAIR, Joachim KÜHN et Tony MALABY. Full contact, c’est un bien bel intitulé pour ces trois géants au meilleur de leur forme. Ni bavardages ni belles manières ni prout-prout-ma-chère entre eux : direct dans le gras de la bête. C’est dense, centré, intense, enlevé, tonique. Quoi !! C’est déjà fini ?!! Mais y’viennent juste de commencer !!...
Vendredi 1er mai
Quelle soirée !! Qui nous rappelle que le seul indice de satisfaction à retenir, c’est le plaisir, le sourire aux lèvres quand on quitte l’abbaye, la tête sous les étoiles.
On commence avec le trio Didier LEVALLET, contrebasse, Jean-Charles RICHARD, saxos et flûtiau indien, Ramon LOPEZ, batterie.
Présenter RICHARD comme un virtuose du sax est totalement réducteur. Même s’il est un époustouflant technicien du sax (articulation, phrasé, son, etc.), il est d’abord et surtout un musicien hhâchement inventif : pas de remplissage ni de vaine virtuosité ( genre « et que j’te colle des arpèges à fond les ballons en veux-tu en voilà »), mais des envolées, des ruptures, des silences qui mettent le chorus en perspective. LOPEZ a sans doute des gènes collignonesques pour son côté agité perpétuel des baguettes-balais ou tout autre objet utile et pour son talent à trouver/créer des interstices n’importe où pour y faire entendre ses constructions instantanées.
LEVALLET installe sa présence discrète et nécessaire comme un point d’ancrage pour ses deux compagnons aventureux et y va de ses chorus simples et beaux. Un trio gagnant.
Le nouveau quartet de Claude TCHAMITCHIAN « Ways out » est une invitation à ne pas suivre LE chemin qu’on veut nous imposer mais à aller voir ailleurs ( comme on dit en bas-normand : « changement d’herbage réjouit les veaux ») et à inventer notre propre voie.
Un court propos suit la première suite et présente le travail du groupe : des thématiques diverses et variées disponibles et non programmées d’où cette création work in process qui donne aussi bien des moments d’un bordel sonore ahurissant que des temps délicats, apaisés, beaux et prenants.
La soirée se clôt avec un RDV historique et rare : le grand orchestre Louis MOHOLO-MOHOLO/Keith TIPPETT/Julie TIPPETTS/Minafric Orchestra « Viva la Black ».
Sont convoquées devant nous les mânes de Chris Mac GREGOR et de son Brotherhood of Breath. Voici ce qu’en dit Wikipedia :
« Brotherhood of Breath était un orchestre créé par Chris McGregor à la fin des années 1960, essentiellement comme une extension du précédent orchestre de McGregor "The Blue Notes". Ce groupe comprenait des membres de la communauté sud-africaine expatriée à Londres, dont McGregor lui-même, Louis Moholo, Harry Miller, Mongezi Feza, Dudu Pukwana et occasionnellement Johnny Dyani ainsi que de nombreux musiciens de free jazz qui résidaient à Londres à la même époque : Lol Coxhill, Evan Parker, Paul Rutherford, Harry Beckett, Marc Charig, Alan Skidmore, Mike Osbourne, Elton Dean, Nick Evans et John Surman. Les musiciens étaient interchangeables selon leur disponibilité. À mi-chemin entre celle de Charles Mingus et de Sun Ra, la musique de Brotherhood of Breath était marquée par son influence sud-africaine et ses arrangements originaux. »
Ce soir, c’est Keith TIPPETT qui a écrit et arrangé et c’est somptueusement beau. Une fraternité musicale qui passe à travers les ans. Quel bonheur sur scène et dans la salle !
Petite remarque de curieux insatiable : un tel évènement nécessiterait un prolongement documentaire tel que des films, des textes, des CD disponibles par exemple à la Fonderie, avant le concert de 17h. Et pourquoi pas une espèce de centre documentaire pour prolonger d’autres concerts ?
Samedi 2 mai
À nouveau un contrebassiste exemplaire à la Collégiale : Barry GUY.
Il explore sans cesse les limites de son instrument et, d’une ritournelle légère et enfantine aux bruits infernaux d’une ligne de production en pleine charge avant la livraison au client final, il sait tout faire. À montrer à tous les jeunes bassistes pour cette liberté totale (pléonasme ?).
Le nouveau groupe de Louis SCLAVIS nous présente son programme « LOST ON THE WAY ». À l’exception de François MERVILLE présent dans les précédentes aventures, on trouve des petits jeunes nouveaux : Mathieu METZGER aux sax alto et soprano, Maxime DELPIERRE à la guitare et prolongements électrifiés, Olivier LÉTÉ à la guitare basse.
Les thèmes sont superbes et se suffiraient presque à eux-mêmes. Au-delà de leur exposition collective (et quelle mise en place !), les chorus s’enchaînent. Plaisir d’entendre, à côté du maître, le jeune Metzger développer de belles histoires, solides, cohérentes, sans chichis ( cette nouvelle génération de souffleurs va faire très mal : à suivre de près ) et le bassiste sur une intro rocky-jazzeuse très enlevée.
Comme pour le trio de Daniel HUMAIR, c’est sans risque. Tout est bon, comme dans le cochon ( cf. les rillettes supra ).
Et tant de plaisirs accumulés ne sauraient s’achever sans un dernier concert placé sous le signe de la liesse. Le FLAT EARTH SOCIETY, orchestre belge, s’en charge. Même si le volume sonore n’épargne pas nos oreilles, le répertoire et la manière de l’interpréter sont jubilatoires. Des images de fêtes populaires, de batterie-fanfare de pompiers enflammés, d’harmonie municipale survitaminée, de carnaval, de rires et de grands verres de bière viennent à l’esprit. C’est épatant.
NB : Le festival s’est achevé le dimanche 3 mai... mais Alain Gauthier était reparti pour d’autres aventures !
Le communiqué de presse final envoyé par l’équipe de l’Europa Jazz précise que : "Le 30ème Europajazz Festival du Mans s’est achevé sur un superbe concert de l’un des pères fondateurs du jazz européen : Barry Guy New Orchestra.
Cette édition anniversaire restera comme un "grand cru" avec de nombreux concerts "historiques", une affluence record pour l’Europajazz en balade (20 000 personnes !), et près de 13 000 spectateurs ont suivi les 64 concerts "en salle" proposés dans 32 villes et 6 départements des Pays de La Loire et de la Basse-Normandie.
La 31ème édition de l’Europajazz se déroulera toute la saison 2009-2010 avec un "Europajazz final" du 25 avril au 08 mai 2010 !"
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