« In Search of the Mystery »

À côté des nouveautés et des inédits (voir nos chroniques sur les trois volumes de Don Cherry, « Live at Café Montmartre », où figure Gato Barbieri), ESP continue à rééditer les disques historiques qui ont marqué l’histoire du label et, plus largement, du jazz des années 60. Il s’agit cette fois du premier disque sous son nom d’un musicien qui fit sensation durant quelques années avant de disparaître brusquement de la scène du jazz au profit d’une orientation nettement commerciale dont l’origine se trouve dans le succès obtenu par sa musique du « Dernier tango à Paris ». Or, au risque de manquer peut-être d’objectivité, j’ai l’impression, en réécoutant les anciens enregistrements de Gato Barbieri, que le ver était déjà dans le fruit dès ses débuts. En effet, à côté de l’immense générosité de ses interventions, on perçoit déjà quelques facilités et ficelles qui ne laisseront plus aucun doute sur la relative faiblesse créative du saxophoniste quelques années plus tard. Évidemment, dira-t-on, c’est plus facile d’énoncer ces réserves avec le recul du temps qu’à l’époque où le “Chat“ enflammait les scènes et dynamisait tout un orchestre grâce à ses interventions dévastatrices.

Gato Barbieri : « In Search of the Mystery »
ESP 1049 / Orkhêstra

Lorsqu’il apparaît aux côtés de Don Cherry qu’il rencontre à Paris en 1965, Leandro “Gato“ Barbieri, né en 1934 et qui a quitté son Argentine natale en 1962 pour l’Europe, est une sorte de jeune chien fou qui apporte énormément dans l’expressivité et le lyrisme, particulièrement au sein d’espaces très arrangés où il met le feu aux poudres : « Nuovi Sentimenti » de Giorgio Gaslini (1966), « A Genuine Tong Funeral » de Gary Burton/Carla Bley (1967), « Liberation Music Orchestra » de Charlie Haden/Carla Bley (1969)… Avec les limitations, mais aussi la largesse qu’on lui laisse, il est à son meilleur car il évolue dans des cadres solides. À l’opposé, en duo, il donne une belle réplique à Dollar Brand “Abdulah Ibrahim“ en 1968. Lorsqu’il enregistre « In Search of Mystery » en mars 1967, il est cette fois livré à lui-même et a la responsabilité de la musique et du quartette. Il faut dire que, de ce côté, il est admirablement soutenu, en particulier par l’alliage Calo Scott-Sirone (violoncelle et contrebasse) qui offre une assise solide et stimulante aux improvisations du leader. Celui-ci impressionne par le son plein, rond, puissant et volumineux de son instrument ; on dirait un véritable ténor “velu“ texan. La comparaison est intéressante, car comme ces héros d’un jazz tirant vers le rhythm and blues, il ne craint pas les effets et les incursions dans le suraigu. Et comme les meilleurs d’entre eux, il sait jouer des clichés sans trop tomber dans la facilité et la répétition. On sera également frappé par la maîtrise de son jeu, parfaitement net et articulé. Mais il y a les limites, le manque d’originalité du discours, la tendance aux longues phrases prévisibles… mais nul n’est obligé de disséquer ce qu’il écoute, et je ne doute pas de l’étonnement et du plaisir que prendra l’auditeur qui découvrira, ou redécouvrira ce disque décapant.

Deux ans et demi plus tard, Gato Barbieri frappera à nouveau, mais cette fois bien au-delà des cercles du free jazz, avec « The Thirld World », qui marquera son orientation vers les musiques sud-américaines, et préparera, avec « Fenix » en 1971, l’extraordinaire succès qu’il obtiendra, notamment en Europe sur les scènes des plus grands festivals durant quelques années. Malgré ses options discutables, mais non critiquables, Gato Barbieri fut et reste un musicien attachant et qui ne mérite pas l’oubli. Voilà une excellente occasion de le retrouver avec toute sa générosité et son égale implication.


> Gato Barbieri : « In Search of the Mystery » - ESP 1049 - distribution Orkhêstra

Gato Barbieri (ts), Calo Scott (cello), Norris Jones “Sirone“ (b), Bobby Kapp (dm).

1. In Search of the Mystery/Michelle / 2. Obsession N°2/Cinémathèque.

Compositions de Gato Barbieri.

Enregistré à New York le 15 mars 1967.


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