Paroles de lecteur...

En ce début mai 2010, nous avons reçu ce message.
L’auteur, Pierre Gros, l’a intitulé "Petites pensées sur le jazz". Nous le livrons à votre lecture et à votre réflexion... [1]

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En premier lieu merci pour votre site que je consulte régulièrement. J’y trouve une actualité et une source d’ouverture vers d’autres jazz, d’autres lieux, voire des choses vers lesquelles je ne serais pas allé comme l’association entre le slam et le jazz. Je clique sur les liens et écoute ce que vous proposez. Je lis également les interviews de personnes qui ne parlent nulle part ailleurs. Merci pour tout ça. Je joue moi-même de la contrebasse et me produis régulièrement à Paris dans de petits clubs ou cafés, en amateur mais mon travail me laisse du temps pour travailler mon instrument et la musique en général (pas uniquement du jazz) et il m’arrive de jouer avec des professionnels.

À ce sujet et devant le nombre de musiciens excellents, jeunes ou moins jeunes, devant le nombre de CDs qui sortent et dont vous parlez dans vos colonnes et au vu du nombre de lieux dédiés à cette musique, les questions ne manquent pas.

contrebasse

Tout d’abord je ne me rends plus dans les clubs dits prestigieux de Paris. Trop chers (25 ou 22€ le set + la consommation obligatoire), la mauvaise qualité de l’accueil, le manque de confort (au bout de 5 minutes assis sur des tabourets minables on a mal partout) et surtout de la qualité lamentable du son, des pianos et des batteries. C’est bien peu de respect pour les musiciens, le public et pour qui aime cette musique. Après, dans les autres lieux, bien souvent, la paye des musiciens est incroyablement faible ou alors on joue devant des gens qui mangent, cela dit on peut y trouver (parfois) un respect qu’on ne trouve pas chez les autres (ça m’est personnellement arrivé). Peut-être qu’en province c’est mieux.

Et que dire du nombre d’enregistrements qu’on nous décrit excellents, géniaux... On voudrait tout écouter, tout acheter mais c’est bien évidemment impossible et tout ça en face d’une crise sans précédent. Tout est bouleversé ( supports, distributions, téléchargement, culture du gratuit). Je n’achetai plus de disques. Aujourd’hui, je recommence. Et l’on se dit qu’il va sortir quelque chose de tout ça, qu’il reste des choses à inventer (espoir) à trouver (encore espoir) et que c’est même certain... Mais on ne sait pas quand (l’Ipad est juste un outil de plus pas une œuvre en soi. Donc rien à voir avec le beau).

Aujourd’hui sort le disque de Keith Jarrett avec Charlie Haden. Plein de gens vont le trouver formidable. Quand j’écoute ça, c’est bon, mais j’ai déjà écouté ces phrases. Quelque part dans le free jazz c’est la même chose. Tout est bon, l’incroyable “ouverture“ du tempo, de l’harmonie, des idées, du non-dit assumé. Et à chaque fois je me dis « bon tu vas écouter ça une fois (d’ailleurs tu l’as déjà écouté sur un autre disque, les mêmes mimiques, les mêmes trucs) et puis tu vas retourner à tes historiques » (Duke, Miles, Monk, Coltrane, Rollins, Ornette, Bill Evans, Debussy, Bartok, Django, Hendrix, Weather Report, oups j’en oublie).

Reste pour ceux d’aujourd’hui l’inégalable émotion du concert. On aimerait aider tous ces jeunes si bons dont on parle si mal aujourd’hui (Ils sont violents, ils boivent, n’ont pas de valeurs, se droguent, frappent etc.) mais rien n’explose vraiment tout est incroyablement maîtrisé. Rien ne surprend. Peut-être suis je un peu désabusé. Je me pose des questions. Alors je cherche chez vous, mais aussi chez d’autres : France Musique bien que l’on sente des gens qui ne “touchent “ pas l’instrument (ça peut être un avantage), RSR (Radio Suisse Romande) à 22 h40 Yvan Ischer , NPR (Radio New yorkaise) avec une multitude de choses intéressantes dont des concerts au Village Vanguard en streaming...

Des choses qui m’ont touché : Patrick Artero et son Vaudoo, Fred Hersh pour pleins de choses, et en tant que contrebassiste et bien que ça ne soit pas du tout récent, Unisson de Jean François Jenny Clark et ce mélange magnifique de technique, de machine et d’instrument qui font de la grande musique. Bien sûr je n’ai pas tout écouté.

Pour finir cette méditation de Kafka “Il n’est pas nécessaire que tu sortes de ta maison. Reste à ta table et écoute. N’écoute même pas, attends seulement. N’attends même pas, sois absolument silencieux et seul. Le monde viendra s’offrir à toi pour que tu le démasques, il ne peut rien faire autrement, extasié, il se tordra devant toi’’.

Laissons le jazz se tordre devant nous.

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.: : Pierre Gros : :.

> écrire à l’auteur.

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[1Immodestie manifeste : nous n’avons pas "censuré" le début du texte : les compliments font toujours du bien !