Faut en profiter pendant que ça dure !!

  Mercredi 5 mai

> Midi à la Collégiale.

Le final de l’EuropaJazz 2010 commence ce midi à la Collégiale Saint-Pierre-La-Cour du Mans. Flottent dans cet espace dédié aux concerts acoustiques, et souvent en solo, les réminiscences de quelques talentueux saxophonistes dont les créations habitent les murs et l’espace : Evan PARKER, François CORNELOUP...

Europa Jazz Festival 2010

Aujourd’hui, Daunik LAZRO prend la relève avec son sax baryton.

Il s’assied très paisible, mouille son anche, insère le bocal de son sax, fait quelques commentaires limite audibles et joue trois pièces « en hommage » : la première, « Le vieux Carré » ( de la Nouvelle Orléans ) de Joe McPhee qui permet de saluer au passage Sydney Bechet et Steve Lacy, la seconde, un blues de la matière, quelque part entre la caverne de Platon et l’expressionnisme bestial ( selon Lazro himself ), la dernière « Seraphic Light » de John Coltrane qui permet de citer Albert Ayler. Le rappel nous emmènera des Séraphins aux Angels.

Contrairement à d’autres prestations « free-hurleuses » de LAZRO, celle-ci part de thèmes clairs, audibles et mémorisables pour se développer de manière très libre bien sûr et captivante, au-delà de la tessiture du sax, en étirant les sons, en envolées virtuoses, bref, un ravissement pour l’oreille. C’est beau.

> À l’Abbaye de l’ÉPAU.

Bernard-ce-n’est-qu’un-combat-continuons-le-début-LUBAT squatte la soirée entière pour son spectacle « L’Amusicien d’Uz ». Un spectacle et non un concert même si, à la manière des yaourts avec des vrais morceaux de fruits dedans, il contient de vrais bouts de concerts.

Égal à lui-même dans ce spectacle où sa parole envahissante nous prive beaucoup trop de son génie musical, Lubat nous donne bien des regrets. Ses saillies impétueuses, lancées sur un rythme soutenu, ne percutent pas instantanément du côté du public ( la faute à la salle très en profondeur ? La faute au public aux neurones pas au niveau de l’artiste ? La faute à pas de chance ?) et il s’en suit une déperdition importante des effets comico-philosophiques. Dommage. Cet homme-là devrait jouer 2 heures pleines non stop : on organiserait un système de ravitaillement en vol, des massages locaux exotiques et tout ce qui nous vaudrait le bonheur de l’écouter longuement, en silence.

  Jeudi 6 mai

> Midi à la Collégiale.

Comme le narre Armand Meignan, le grand patron du festival, Tony MALABY, sax ténor et soprano, a souhaité jouer en solo dans cette collégiale, après y avoir écouté Barre Philips en 2009. Chose faite ce jour. Ce qu’on voit de cet homme lorsqu’il se présente sur la scène, c’est d’abord son coffre-torse impressionnant, genre bûcheron de retour de la saison dont la tronçonneuse est tombée en panne et qui l’a remplacée sans coup férir par une cognée idoine. Ensuite, ce qui est remarquable et remarqué, c’est non seulement que ses jambes descendent jusqu’au sol mais surtout qu’elles s’y plantent solidement. Lorsqu’il s’appuie sur la jambe droite, tout son axe vertical, du bout du pied droit jusqu’au sommet du crâne, dégage sa jambe gauche qui s’anime alors de rythmes variés mobilisant la cheville, le genou, la cuisse ou la hanche. Quand il s’équilibre sur les deux jambes, il entre dans une oscillation métronomique paisible. Ce qui lui fait tenir son ténor comme un objet léger pas du tout envahissant. Un fétu de métal.

Arild Andersen à l’Europa Jazz Festival 2010.
Photo © Christian Ducasse

Sa prestation se construit autour d’une poignée de phrases, d’idées, de bribes qu’il explore par ci par là en en épuisant les possibles. Ça a l’apparence d’un moment d’étude d’un étudiant avancé qui se fait plaisir avec l’espace de la salle, joue avec l’écho et la réverbération du lieu. Si l’attention de chacun reste soutenue, rien n’arrive qui emporte l’auditeur au-delà de sa chaise. Comme on dit à la campagne, on reste sur son cul et non pas « ça m’a mis sur le cul ».

Il revient saluer en précisant qu’il a joué sans effets techniques ni trucs, juste en résonance à cet espace et à son écho.

> À l’abbaye de l’ÉPAU.

Soirée Andy EMLER. Autant commencer par la fin : inviter Emler garantit le plaisir de tous et installe d’emblée une référence élevée pour tous ceux qui vont suivre. Qu’on se le dise et qu’on se le redise.
D’abord se produit le Big Band Universitaire du Maine que Emler a accompagné dans son travail : 22 musiciens amateurs qu’Andy mène avec la langue des signes de Walter Thompson sur un répertoire emprunté au Mégaoctet. Rien de plus émouvant que de voir ces grands gaillards ( dont 3 filles ) totalement absorbés ( subjugués même ) par la menée corporelle du maître. Ça sonne, ça nuance, ça invente en temps réel, c’est épatant. Bien sûr, les solistes sont un peu verts ( pas la couleur du visage, hein ) mais quel bel exemple d’une pédagogie de la passion.

Suit un duo Emler-Marc Ducret en forme de suite en écho à la pièce de Ducret « Le sens de la marche » et qui s’intitule Running backward.

Enfin le MÉGAOCTET, avec le même Marc Ducret en guest, met la couche finale. Le programme est en partie nouveau et la répartition des soli, compte tenu de l’invité, laisse de côté quelques loulous dont Tchamitchian à la contrebasse, Verly aux percussions et même Andy au piano. À retenir un solo puissant de Blondiau à la trompette, une intro de Ducret superbement construite, une autre de Thuillier au tuba, à faire pleurer, un long cri de De Pourquery au sax alto, très différent d’autres prestations : un début sur une suite d’arpèges véloces, un développement harmonieux-mélodique qui se termine en réanimation bouche à bec.

Putain, quelle équipe géniale et généreuse !!

À NOTER que cette journée a été marquée par la forte mobilisation des intermittents du spectacle et de tous ceux qui s’associent à leur réflexion active sur leur devenir et celui de l’art en général : pas de démocratie sans culture ni éducation !

  Vendredi 7 mai

> Midi à la Collégiale.

Claude Tchamitchian, Sébastien Texier, Sean Carpio - Le Mans, 7 mai 2010.
Photo © Christian Ducasse

Les PHILLIPS père et fils nous offrent une rencontre familiale à deux contrebasses. Comme le disait mon voisin de siège, Maurice, de son état psychanalyste périurbain, « nous avons ici même la manifestation d’une relation père-fils inaboutie dans laquelle l’un et l’autre parlent en même temps de la même chose sans s’écouter. Ils ne font pas attention à l’environnement dans lequel ils relationnent et du coup ne prennent pas en compte les retours de leurs propos. C’est vrai qu’ils jouent parfois pianissimo mais là aussi, c’est en même temps ».

Ce à quoi ma voisine de gauche ajoutait : « c’est toujours le père qui utilise les sons graves et le fils joue au-dessus ».

Une fois encore, après Malaby hier, nous assistons à une prestation en forme d’atelier où sont explorées diverses possibilités sonores, mélodiques, bruitistes, etc.. Donc un goût d’inachevé pour l’auditeur, faute de passion, d’engagement, d’émotion. On dirait qu’ils font le job, simplement le job, point barre.

Heureusement, pour se requinquer, il y a juste en face de la collégiale, une librairie épatante, « L’herbe entre les dalles », dont l’offre ne peut que ravir le plus exigeant des fous de livre : ici, la passion transpire et dégouline des étagères, des piles, des présentoirs, Y’EN A PARTOUT. Longue vie à cet endroit magique !

> À la Fonderie.

C’est le groupe RADIATION 10 qui s’y colle cet après-midi. Non, il n’est pas sponsorisé par l’industrie militaro-nucléaire ni par l’ordre des radiesthésistes ou celui des sourciers. Neuf jeunes hommes utilisent et se jouent de l’espace disponible pour nous donner à entendre des compositions hors des schémas jazzistiques actuels : pas de thème joué puis répété, pas de pont, pas de forme AABA, ZYP ou pire encore. Donc, on est prié de ranger ces catégories au rayon des souvenirs et de se laisser aller à entendre ce qui se présente.

Miroslav Vitous à l’Europa Jazz Festival 2010.
Photo © Christian Ducasse

Qui sont-ils ? Aymeric AVICE à la trompette, Hughes MAYOT au sax ténor et clarinette sib, Fidel FOURNEYRON au trombone et tuba, Clément JANINET au violon, Mario BOISSEAU au violoncelle, Julien DESPREZ à la guitare, Benjamin FLAMENT au vibraphone ( bidouillé ), Joachim FLORENT à la contrebasse et Emmanuel SCARPA à la batterie.

Ils développent un genre de suites à formats variables : les cordes versus les vents, les cordes seules, tous-ensemble-tous-ensemble-oui-oui, tous sans le batteur ou le violon ou …. Ou ……

C’est une musique qui ne laisse pas indifférent et qui donne envie de les revoir et les réentendre rapidement. À la sortie, chacun y va de sa référence : Zappa, Pink Floyd, etc.....
Merci les mecs pour cette fraîcheur bienvenue.

> À l’Abbaye de l’Épau

Le premier concert du soir nous installe dans un confort pépère et sans surprise nourri par les mélodies jolies du Belleville Trio avec Arild ANDERSEN à la contrebasse, Tommy SMITH au ténor et à la flûte ancienne et Paolo VINACCIA à la batterie. C’est propre, bien enlevé, joyeux, complice et ça nous met de bonne humeur.

Suit LE GROUPE de la soirée (et excellente surprise !!) : Sébastien TEXIER Trio « play Paul Motian » avec TEXIER au sax alto et clarinettes, Claude TCHAMITCHIAN à la contrebasse et Sean CARPIO à la batterie. Le leader a le sérieux des grands soirs à fort défi et est tellement concentré qu’il en garde les yeux fermés pendant au moins deux morceaux. Pourtant la seule présence de TCHAMITCHIAN, solide et compact, est un gage de solidité et de sécurité. L’entente entre les trois est parfaite et Texier retrouve peu à peu son sourire sans tomber pour cela dans la facilité. Le batteur s’avère un remarquable sideman : élégant, au toucher fin ( donc le contraire d’une brute des peaux ), précis, jamais bruyant. Impeccable.

  Samedi 8 mai

> Midi à la Collégiale.

Barry Guy à l’Europa Jazz Festival 2010.
Photo © Christian Ducasse

Ils sont deux pour continuer dans la veine matrimoniale : Barry GUY, contrebasse et sa compagne, Maya HOMBURGER, violon. Lui fort immergé dans la musique improvisée, elle dans la musique baroque.

  • Va-t-on les entendre chacun leur tour, dans leur répertoire spécifique ? Ensemble sur un même répertoire ? Sur des répertoires croisés ?
  • Les deux, mon général. »

Je dois avouer que je n’ai supporté le long morceau baroque ( « Crucifixion » ), violon et contrebasse avec partition respectée à la note prés, qu’en y ajoutant mentalement un sax baryton et une clarinette basse dialoguant sur le mode « foutons le bordel dans cette musique sans surprise » avec une guitare et ses pédales d’effet. Baroque et iconoclaste.
Barry GUY s’est racheté en nous livrant, inspirées par l’œuvre de Beckett, cinq pièces totalement improvisées dont la contrainte était : ne jamais jouer la même chose dans chaque pièce. Il va sans dire qu’il était inutile d’avoir lu le Beckett de James Knowlson pour se laisser emporter par ces courtes pièces.

Le concert s’est terminé par « Tales of enchantment », composition de GUY, où sa savante écriture s’est trouvée revisitée par ses irrespectueuses manœuvres instantanées.

> À la Fonderie.

Delirium et Charles Gil - Le Mans - 8 mai 2010
Photo © Christian Ducasse

Le groupe DELIRIUM composé de Mikko INNANEN, sax alto et baryton, Kasper TRANBERG, trompette et bugle, Jonas WESTERGAARD, contrebasse, Stefan PASBORG, batterie, nous offre un menu délicieux : musiques presque folkloriques détournées de leur usage, collages divers du blues le plus groovy au clin d’œil de la fanfare... C’est bien foutu, enlevé, fluide. Des jeunes nordiques vraiment bons.

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> À l’Abbaye de l’Épau.

Francesco BEARZATTI et son Tinissima Quartet nous la jouent « on est incontournable. »

Après son duo avec Sclavis, son trio avec Sclavis et Chevillon ou avec Bex et Goubert, le voici en leader au sax ténor et à la clarinette siB, avec Giovanni FALZONE à la trompette ( un homme à surveiller de près dans les mois qui viennent ), Danilo GALLO à la contrebasse et basse électrique, Zeno De Rossi à la batterie.

Francesco Bearzatti Tinissima Quartet - Le Mans, 8 mai 2010.
Photo © Christian Ducasse

C’est un concert de folie commencé à 100 à l’heure et terminé à 200. Même les quelques morceaux normalement lents ne les calment pas. Le duo de souffleurs s’empoigne, s’allie, se défie, se complète et c’est de la musique qui fait sourire et rire et bouger et regarder autour de soi si c’est contagieux et pourvu que ça ne s’arrête pas. Ils flinguent toutes les musiques insincères, les élucubrations sonores qui nécessitent des tonnes d’explications justificatives et de justifications explicatives, ils remettent d’aplomb l’idée même du jazz : un truc jubilatoire qui nous prend là en plein cœur et nous laisse sur le rivage à marée basse avec le corps empli d’un plaisir qui dure et dure dans la nuit. Une expérience unique à chaque fois.

>> À suivre...

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