Un parcours dans les festivals d’été, par Michel Delorme.

Portion congrue cette année, pour cause de programmes parfois incongrus. En tous cas pour mon goût. Ajoutez à cela qu’à mon âge et à l’heure qu’il est, le kilométrage a quelquefois raison du bon vouloir de mes pneus.

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  VIENNE

> 25 juin 2010.

Joachim Kühn trio. J’ai déjà dit tout le bien que je pense de cet immense artiste et le concert de Vienne n’a fait que confirmer Porquerolles et Rognes 2008 pour son exceptionnel trio. La touche de world music lui ouvre enfin l’accès aux grandes scènes.

Joachim Kühn à Vienne.
Photo © Arlette Delorme

Il est le seul à pouvoir se targuer d’avoir convaincu le révolutionnaire Ornette Coleman à dialoguer avec un pianiste. Comme lui, on constate qu’il vénère J.S. Bach.

Au Théâtre Antique, il fit preuve cette fois encore d’un lyrisme échevelé sur des compositions
magnifiques ( « White widow » ). Ses trilles dans les aigus me ravissent et sont un peu sa marque de fabrique. J’ai cru remarquer ce trait dans les récents concerts de Wayne Shorter... Danilo [1] écouterait-il Joachim ?

Paolo Conte. Comme certainement la majorité des spectateurs, je ne comprends pas un mot de ce qu’il raconte, mais justement on sent qu’il raconte. Il se dégage de ses belles compositions cette impression de force tranquille, cette conviction qu’ont tous les grands artistes qui maîtrisent leur art, savent ce qu’ils ont à dire et le disent haut et fort. Comme Charlie Parker pour ne citer que lui.

J’ai croisé Paolo Conte pour la première fois à Oslo en mai 1970. Nous représentions notre pays respectif à un jazz quizz ! Mais je ne savais pas qui il était et c’est seulement 20 ans plus tard que, tombant sur le programme, j’ai réalisé la chose. Vous auriez dû voir sa tête quand je lui ai demandé de dédicacer ce programme ! Outre son talent, c’est un homme exquis et qui est fou de jazz.

Sa prestation est du reste truffée de soli de ses musiciens.

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> 29 juin 2010

Brad Mehldau solo. Dans son excellentcompte rendu du festival, Yves Dorison a ouvertement occulté Brad puisque celui-ci avait occulté les photographes. Jarrettite aigüe ? En tous cas bravo Yves pour ta prise de position courageuse. Dommage car Mehldau a joué là son plus beau concert à ma connaissance. Après un premier titre un brin hermétique, il se lança dans des improvisations flamboyantes dont le point culminant fut une version sublime de « My favorite things ». Comme à l’accoutumée, il puisa abondamment dans le répertoire pop, Massive Attack, Jeff Buckley...

Wayne Shorter quartet. Ce n’est plus un secret pour personne : le quartet est maintenent entré dans une nouvelle phase de développement : l’improvisation collective tendance musique de chambre. Mais quelle musique de chambre, pas ennuyeuse pour deux sous si vous écoutez bien ce que jouent Wayne et ses disciples. Difficile en concert j’en conviens et plus spécialement dans un lieu aussi vaste et ouvert que le théâtre Antique. L’environnement vous distrait de la musique. Par environnement, j’entends la vision de la scène et des musiciens, les deux écrans géants, et votre voisine qui raconte ses vacances, quand ce n’est pas plus scabreux. J’ai réécouté le concert - c’est bien d’être un ami du Monsieur ! - potar au max, je vous jure que le set de Vienne fut encore meilleur que Pleyel 2009 et Enghien 2010.

Si ma mémoire est bonne, il nous gratifia de trois rappels, tous sur « Over shadow Hill way ».
Bien sûr, et à part ces rappels,Wayne n’interprète plus ses compositions, juste quelque bribes ça et là, mais ce qu’il joue est si témérairement subtil et intense, malgré une utilisation frugale de la colonne d’air, que l’on applaudit des pieds et des mains. Vous en connaissez beaucoup, vous, des musiciens qui jettent aux orties tant de mélodies immortelles au risque de se torpiller commercialement ?

Céline Bonacina Trio : "Way of Life"
ACT / Harmonia Mundi

Heureusement, à part quelques spectateurs apeurés qui quittent l’arène, Wayne Shorter fait toujours le plein. Dans un autre style bien sûr, on pourrait dire que depuis 2000 avec son quartet, il en est à la phase Impulse de Coltrane..

J’aurais souhaité pouvoir rester plus longtemps à Vienne car la programmation était grandiose, mais on ne fait pas toujours ce que l’on voudrait. En particulier, j’ai raté Céline Bonacina et je dois me consoler en écoutant son magnifique album « Way of life ».

Mais si vous voulez tout savoir sur ce festival 2010, lisez le compte-rendu d’Yves Dorison sur ce même site.

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  BIOT

> 9 juillet 2010.

Dans le cadre du superbe jardin du Musée Fernand Léger, avait lieu la renaissance, 40 ans après, du mythique Festival Popanalia. Notre Amougies à nous.

Sashird Lao. Très belle prestation de ce trio inclassable, l’envoûtante chanteuse Yona Yacoub, le trombone à tout faire Fred Luzignant et le vocaliste/percussionniste David Amar. Yona danse également et double aux percussions, Fred et David à la flute. Tourbillon de sons, de rythmes et de mélodies, on en ressort groggy et béat. Dommage que les deux saxophones soient restés sur leur socle !

Tom McClung et Archie Shepp à Biot (2010)
Photo © Arlette Delorme

Archie Shepp et Tom McClung. Je n’assiste malheureusement pas à tous les concerts d’Archie mais il y a longtemps que je ne l’avais pas entendu jouer aussi bien. « Mama Rose » bien sûr mais aussi d’inattendues et somptueuses versions de « Jitterbug waltz » ou « Ain’t misbehavin’ » de Fats Waller. Communion totale avec le pianiste.

Trilok Gurtu/Paolo Fresu/Omar Sosa. Voilà une 1ère mondiale en exclusivité. Bien des festivals devraient en prendre de la graine.

Association étrange à priori mais qui fonctionna merveilleusement, tant les trois musiciens sont des novateurs accomplis. Omar Sosa, pianiste de jazz ? Vous le savez si vous assistiez au concert exceptionnel qu’il enregistra pour FIP en mai 2005 ou si vous avez écouté le disque. Et quel pianiste de jazz ! Trilok Gurtu forma avec le grand John Mclaughlin le plus enthousiasmant trio de l’histoire du guitariste. Paolo Fresu possède tout, le SON, la forme, le fond. Mais ce soir là avec un peu trop d’électronique à mon goût.

Le point culminant fut atteint dans les échanges Gurtu/Fresu ou Gurtu/Sosa.

Je ne vous parlerai pas de Gong car quand j’ai vu débouler d’entrée ce grand machin déguisé en lapin cosmique, je me suis enfui. Les décibels m’auraient chassé de toutes façons !
Sachez par contre qu’il se passa plein de choses autour de ce festival avec des animation de Sir Ali, Patrick Moya, et mon grand bandit de copain de toujours Rémy Kolpa Kopoul.

Grand coup de chapeau à l’organisateur David Benaroche d’Imago et à la science de la communication d’Evelyne Pampini d’Image Publique.Vivement Popanalia III.

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  PORQUEROLLES

> 13 juillet 2010.

Aldo Romano/Henri Texier/Géraldine Laurent/Fabrizio Bosso : la musique de Don Cherry.
Riche idée tellement Don fut, avec et chez Ornette Coleman, un révolutionnaire. D’autant qu’Aldo et Henri avaient côtoyé l’homme à la trompinette dans les années 60.

Aldo Romano à Porquerolles (2010)
Photo © Arlette Delorme

On ne s’était peut-être pas rendu compte à quel point Cherry avait laissé un patrimoine aussi riche de fulgurantes compositions. Tarabiscotées mais finalement d’une logique implacable, à l’instar de Parker ou de Monk. Ce fut un moment d’une force incroyable. Le 1er solo de Bosso me fit frémir tellement il sonnait comme Freddie Hubbard, avec citation appuyée du Vol du Bourdon ! Mais tout rentra vite dans l’ordre et la musique nous transporta.

En première partie, un récital pyrotechnique de guitare solo par l’incroyable Marc Ribot.

Là encore, j’aurais bien voulu assister à d’autres concerts, notamment Marion Rampal et Sylvain Luc/Lionel Belmondo. Ouinnnnn...

Intelligente initiative de notre ami Samuel Thiébaut que ce « Jazz à Tout Var » ( j’adore le titre ! ). Huit dates entre le 15 et le 27 août dans 8 communes différentes, toutes dévolues au génie de Django, avec tout le gotha de la guitare manouche.

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  ANTIBES–JUAN LES PINS

> 14/25 juillet 2010.

Dieu que cette 50ème édition fut fêtée avec tous les honneurs dus à son rang. Jamais festival ne donna lieu à autant de bienfaits collatéraux.

Partenariat avec les communes de Biot et de Vallauris-Golfe Juan, 3 scènes du Off, orchestres de rue et parades, concerts dans les hôtels, en terrasses, jams au Garden Beach Jazz Club, feux d’artifice.

Expositions ( dont celle, admirable, de la Médiathèque Communautaire d’Antibes/Juan les Pins durant 4 mois, « Jazz et Juan s’affichent » - documents d’archives et affiches du festival, « 50 ans de bonheur à Jazz à Juan » - conférences par votre serviteur, Jazz et Cinéma, tremplin, concerts ).

Marcus Miller
Photo © Jean-louis Neveu

Présence significative de Radios – FIP, Radio Bleu Azur, France Musique, de Télévision - Plein Sud TV, dont la jeune et prometteuse équipe allait jusqu’à diffuser ses réalisations sur écran géant le soir avant les concerts. Le club du Jazz, qui réalisa grâce à Jean-louis Neveu une immense fresque regroupant les témoins de 50 ans de concerts, les Anciens Combattants, quoi.! Visites guidées « Jazz et Juan », organisées par l’ AJCV, sorte de chemin de croix des hauts lieux de l’histoire du jazz dans notre bonne ville. Tout le monde semble s’être jeté sur l’évènement, comme les guêpes sur un pot de confiture.

Nice Matin, en la personne de l’infatigable et très professionnel Robert Yvon - articles en veux-tu en voilà, magazine édition spéciale offert par l’Office du Tourisme « Les Noces d’Or de Jazz à Juan ». Grand reportage dans Le Figaro Magazine.

Le légendaire Petit Journal de l’ami Renaud Duménil – une édition quotidienne pour rendre compte de évènements, potins et, très important, le Line Up donnant la composition de tous les groupes. Versions papier et internet.

Enfin, cerise sur le gâteau d’anniversaire, un colossal DVD d’Alexandre Moko, « Les Juans du
Jazz » ( j’adore aussi ce titre ) plein d’archives incroyables, avec un grand texte et une belle voix off, avec juste ce qu’il faut d’élégante familiarité. Et un luxueux/luxuriant ouvrage de Renaud -encore ! dis, tu dors quand ? - « 50 ans de Jazz à Juan », photos sublimes et/ou rares ( comme celle de Miles Davis et sa femme Frances traversant la rue pour aller à la plage ), historique du festival et anecdotes, textes de grande facture. En vente dans toutes les librairies et chez les disquaires.

Sans oublier, en pré-ouverture le 13 juillet, la Cérémonie des Victoires du Jazz dans la Pinède même.

La programmation du festival lui-même fut à l’image de l’évènement, grandiose. Pour sa première année et pour ce 50ème anniversaire, Jean-René Palacio avait réuni tout le gratin du jazz, à l’exception peut-être de Sonny Rollins, qui semble-t-il ne tournait pas cet été.
George Benson, David Sanborn, avec qui John McLaughlin eut la bonne idée de venir jammer, Melody Gardot, Paco De Lucia, les petites coqueluches, surestimées à mon goût, Joshua Redman et Roy Hargrove, Keith Jarrett Trio, Diana Krall, Maceo Parker, et le parrain de cette édition, Marcus Miller. Pas ma tasse de thé assurément, mais plateau royal qui enthousiasma le plus grand nombre, et c’est le principal.

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  NICE CIMIEZ

> 17/24 juillet 2010.

Et pour la dernière fois selon toute vraisemblance. Requiem pour une légende !

17 juilletEarth Wind and Fire, mais surtout Ornette Coleman. Qui joua un set magique, avec peu de trompette et encore moins de violon, une bénédiction. Fiston Denardo mit un morceau pour trouver la bonne carburation et les thèmes courts chers à l’altiste filèrent comme dans un rêve. « When will the blues leave ? » et le déchirant « Lonely woman » en rappel.

Michel Delorme et Ornette Coleman à Nice (2010)
Photo © Gian Piero Gatti

Comme vous le savez peut-être si vous m’avez lu l’an passé, Cimiez était très fliqué. Pas question d’approcher les musiciens, même s’ils viennent couramment dîner chez vous ou vous chez eux.

Or, j’avais promis à Ornette de lui donner des enregistrements de musique classique, « Sheep may safely graze », une splendeur tirée des Cantates Profanes de Jean-Sébastien Bach, il adore JSB et le cite dans au moins un titre, et deux autres bêtises, « Forêt de l’Amazone » d’Heitor Villa Lobos, et la sublime 3ème symphonie d’ Henrik Gorecki.

Miracle, je rencontre fortuitement Ornette dans une allée et je lui donne les disques. Et devinez quoi, il s’agenouille devant moi pour me remercier ! MM les photographes présents, vous qui avez recueilli cet instant incroyable, envoyez-moi vite une copie. Je jure de ne pas en faire un usage commercial.

21 juilletBela Fleck/Edgar Meyer/Zakir Hussain. Celui qui ponctua tant de fois la musique de John McLaughlin nous régala à nouveau.

22 juilletTigran Hamasyan. Bien que plus en valeur au sein d’un trio ou en solo, Tigran fit preuve comme à l’accoutumée d’une maestria incomparable. Mais le summum de la soirée allait venir avec le Chick Corea Freedom Band, Chick au piano bien sûr, Kenny Garrett au sax, Christian McBride à la basse et le monument Roy Haynes à la batterie. Une espèce d’avatar du Five Peace Band, où McLaughlin tenait la guitare.

Petite anecdote amusante, après un morceau, on vit Chick tripoter son I Phone et le coller au micro pour nous faire entendre Vilia, interprétation de Coltrane d’après Franz Lehar. Je ne savais pas que Chick était un petit plaisantin !

Les grosses cylindrées se produisirent sur la scène « Jardin », devant un espace aussi inconfortable qu’ encombré. Outre EWF, les téméraires ont pu entendre Al Jarreau, Buddy Guy, Stanley Clarke, Herbie Hancock, Pat Metheny.

[1Danilo Perez, pianiste du Wayne Shorter Quartet.