Le jazz en Bourgogne # 6 : entretien avec Christian Villeboeuf, directeur d’orchestre, Chalon-sur-Saône.

La venue récente du Big Band Chalon Bourgogne au festival Jazz à Couches 2010 (7 au 10 juillet ) était l’occasion de rencontrer Christian Villeboeuf, directeur de cette grande formation de renommée régionale. Découverte d’un orchestre à l’histoire riche, ancrée dans la tradition et la modernité, qui souffle cette année ses 23 bougies avec un répertoire latino original et festif.

> Armel Bloch : En dehors de votre rôle de directeur du Big Band Chalon Bourgogne, pouvez-vous brièvement retracer votre parcours ?

> Christian Villeboeuf : Mon apprentissage de la musique est plutôt atypique, essentiellement familial. Mon père jouait de la contrebasse, de la clarinette et du saxophone dans des orchestres de variété et de jazz. Mon grand-père se déplaçait de village en village pour accompagner des films à la flûte et aux percussions. J’ai beaucoup appris par les rencontres d’autres musiciens, qui pratiquaient souvent différents styles. Cela m’a permis de ne pas avoir d’apriori, d’être ouvert dans le choix des musiciens avec lesquels je travaille, de ne pas faire que du jazz et de jouer dans différents lieux. J’ai par exemple collaboré avec les musiciens du BBCB à quelques sections de variété et de rock progressif, moins riches que le jazz au niveau harmonique mais très dilettantes. Mon apprentissage par les écoles de musique et le conservatoire s’est fait après, lorsque j’ai souhaité me spécialiser dans l’arrangement, l’harmonie, le contrepoint et la direction d’orchestres.

Je suis enseignant à l’éducation nationale et actuellement conseillé pédagogique en formation musicale à l’IUFM de Bourgogne. Je forme de futurs instituteurs et consacre l’autre moitié de mon temps professionnel à l’encadrement d’une classe de CM2 à horaire aménagé en musique.

Concernant mon activité extra-professionnelle autre que le BBCB, je dirige l’orchestre d’harmonie de Saint Rémy/Charreaux, réputé en Bourgogne, qui compte 85 musiciens.

Big Band Chalon-Bourgogne

> Le BBCB existe depuis 1987. Quelles sont les principales étapes de son évolution ?

> L’histoire de cet orchestre ne s’inscrit pas dans la continuité. Le big band s’est construit de 1987 à 1992, à mon initiative grâce à des musiciens régionaux avec lesquels je rêvais depuis quelques années de constituer un orchestre : Philippe Simonet (saxophone baryton), mon frère Jean-Claude Villebeouf (piano), Franck Tortiller (percussions, vibraphone), Jean-François Michel (saxophones), Jean-Luc Cappozzo (trompette), Olivier Dullion (trompette), Jean-Luc Girard (guitare). Nous nous étions tous rencontrés à Dijon et Chalon-sur-Saône. Nous avons réuni les meilleurs musiciens locaux que nous connaissions dans les départements de la Saône-et-Loire, de la Côte d’Or. Nous avons commencé à jouer un répertoire inspiré du Count Basie Orchestra. L’année 1990 a été marquée par la collaboration avec Steckar Tubapack, dirigé par Franck et Marc Steckar, qui ont écrit pour nous la suite Cinq pièces à déguster sans modération. En 1991, nous avons terminé troisième au Concours International de Big Bands du Havre.

La première étape marquante de notre histoire date de 1992, année durant laquelle nous avons remporté le premier prix au concours Battle of the bands de la Cigale à Paris, devant 120 orchestres dont ceux de Jean-Loup Longnon, du CNR de Nancy et de Christian Garros. C’était une sorte de consécration car nous nous attendions pas à un tel résultat.

Nous avons enregistré notre premier disque Carpe Diem en 1994, avec des reprises et quelques compositions originales (Carpe Diem de Jean-Claude Villeboeuf, Rochechouart Boulevard de moi-même en référence au concours de La Cigale et Stapler de Phil Abraham arrangé par Arnoult Massart). Il ne s’agissait pas vraiment d’un répertoire construit pour l’occasion mais d’un premier aboutissement de notre travail pendant 7 ans. Le son de l’orchestre a beaucoup évolué depuis. Il y a ensuite eu une période plus calme jusqu’au dixième anniversaire. En 1995 et 1996, notre répertoire était consacré à Charles Mingus, John Coltrane, Dizzy Gillespie et Phil Woods.

Jean-Claude Villeboeuf, piano - Big Band Chalon Bourgogne.

En 1997, nous nous sommes consacrés à une création, toujours d’actualité, qui a abouti à la sortie du disque Sortie Sud en 1998. Toutes les compositions sont de Jean-Claude Villeboeuf.

Nous avons ensuite travaillé des répertoires traditionnels pendant 9 ans : Duke Ellington, Count Basie, Frank Sinatra. Le programme Swing Liberation 1944/1945 a vu le jour en 2004 avec les plus grands succès de Glenn Miller, Tommy Dorsey, Benny Goodman... 

La création À l’arbre par la fenêtre du saxophoniste Jean-François Michel date de 2007. Elle a abouti à un double album. 2009 est l’année de création du répertoire latino.

Nous préparons pour 2011 la création African Burgundi du pianiste dijonnais Mickaël Sévrain. La musique est déjà écrite, nous prévoyons de répéter dans les mois à venir. Le répertoire sera évolutif.

Autrefois, le big band avançait avec l’existence ou non d’un programme. Un répertoire faisait vivre l’orchestre et rythmait son histoire. Aujourd’hui, nous pouvons jouer plusieurs programmes et nous évoluons avec les recrutements de nouveaux musiciens prometteurs : Simon Girard (trombone), Aurélien Joly (trompette), Aymeric Descharrières (saxophones), Frédéric Nardin (claviers), Benoît Keller (contrebasse)...

> Quels musiciens importants ont partagé les pupitres du BBCB ?

Christian Villeboeuf, président-fondateur du big band Chalon Bourgogne

> Nous avons eu la chance d’accueillir ponctuellement ou dans la continuité des musiciens de renommée française et européenne : Franck Tortiller, Eric Séva, Pierre « Tiboum » Guignon, Tony Russo, Michel Marre, Phil Abraham, Jean-Luc Cappozzo, Matthieu Michel, Denis Leloup, Jacques Bolognesi , François Bonhomme, Frédérique Borey, Jean-Jacques Justafrey, Stéphane Guillaume, Yves Torchinsky, David Pourradier Duteil...

Les musiciens nationaux sont souvent sollicités, leur éloignement et notre système de fonctionnement ne leur permet pas toujours une présence pérenne dans l’orchestre.
Nous bénéficions actuellement de l’expérience des trompettistes Christophe Metra (fondateur de l’orchestre l’ŒUF implanté en région Rhône-Alpes), Joël Chausse (Paris Jazz Big Band...) au lead depuis 10 ans et de Didier Desbois (saxophoniste régulier du big band de Claude Bolling). Tous ont apporté quelque chose à l’orchestre.

> Dans cet orchestre, vous êtes musicien et aussi directeur. Quelles sont les difficultés que l’on peut rencontrer dans cette fonction ?

> Mon principal rôle est de fédérer les musiciens. La première difficulté est de gérer les aspects humains. On ne constitue pas un orchestres sans personnalités marquées, qui parfois entraînent des égos à gérer. Il faut faire en sorte que tout ce monde se supporte. Il y a des directives à prendre et des choix de personnes à faire pour certains programmes. Une autre difficulté est de réunir tout ce monde pour les répétitions, à ce jour non payées. Nous devons prendre en compte la disponibilité de chacun dont, pour la plupart, la musique est leur métier. J’ai aussi un travail de médiation, de distribution et de recherche de subventions.

Je dirige l’orchestre uniquement pour les répertoires traditionnels. Ce rôle est assez prenant lors des répétions. Pour les concerts, je suis là pour rassurer en quelque sorte, rappeler les reprises... l’orchestre est assez autonome. Dans les répertoires modernes, j’interprète les partitions de trombone à coulisse ou à pistons, de soubassophone et de chant.

Big Band Chalon-Bourgogne

> L’activité du BBCB est essentiellement régionale. Quels freins rencontrez-vous pour la faire évoluer à une échelle plus nationale ?

> À ce jour, nous ne bénéficions malheureusement pas du soutien d’un agent qui puisse consacrer son temps exclusivement à notre activité. Nous ne disposons pas de structure administrative adéquate pour accompagner cet orchestre et jouer ailleurs qu’en Bourgogne. Nous trouvons nos dates par débrouillardise, essentiellement en région, dans les festivals de Couches, Nevers, Cluny, Beaune... Comme toutes grandes formations, il y a aussi une problématique de coûts pour jouer à distance, (nous sommes plus de 20). Depuis son existence, le big band compte néanmoins 120 concerts dont quelques uns ailleurs qu’en Bourgogne (Le Havre, Toulon, Paris, Saint Thibéry).

Nous avons pu pérenniser des aides avec la commune de Chalon-sur-Saône et occasionnellement avec la région. Nous ne pouvons actuellement rémunérer que les concerts. Je travaille pour assurer au moins une répétition mensuelle payée sous forme de cachet d’intermittent avec la déclaration des charges sociales, pour disposer d’un fonctionnement professionnel normal et assurer une plus grande disponibilité des musiciens. Dans ses débuts, le big band était 100% amateurs ; il s’est professionnalisé au fil des années. Le fait de pouvoir rémunérer les concerts assure une fréquentation plus régulière. 60 % de l’effectif dispose d’un statut de musicien professionnel permanent. Sur 22 d’entre eux, 20 sont originaires de Bourgogne, certains n’y habitent plus et commencent à être connus nationalement. Tous les membres de notre rythmique sont dans un rayon de 8 kilomètres à la ronde. C’est un réel atout pour la mobilité des musiciens.

Je considère que, musicalement et artistiquement, cet orchestre répond aux mêmes exigences qu’une grande formation nationale. Nous avons la chance d’avoir différentes générations dans l’orchestre et de bénéficier dans notre région d’un véritable vivier de musiciens. Les jeunes élèves des classes de jazz des conservatoires de Chalon-sur-Saône et Dijon sont moins stéréotypés qu’autrefois. Ils ont leur propre personnalité musicale. Je ne vois pas l’intérêt d’avoir un orchestre avec six saxophonistes qui jouent de la même façon.

> Le BBCB dispose de plusieurs répertoires traditionnels et modernes...

> Aujourd’hui, le BBCB est capable de jouer sept programmes : trois créations et quatre répertoires traditionnels (Count Basie, Duke Ellington, Franck Sinatra et un programme latino avec des reprises de Gordon Goodwin, Bob Mintzer, Dizzy Gillespie, Tito Puente, Michel Phillip Mossman...).

L’orchestre répond à chaque fois à l’instrumentation typique du big band, parfois augmentée d’instruments aux couleurs plus électriques comme les claviers. Il y a pour certains programmes quelques variantes d’effectifs. Sortie Sud a été écrit pour un big band à taille réduite (15 personnes avec trois trompettes, deux trombones, un euphonium, un cor, trois saxophones et une rythmique complète qui intègre le vibraphone). À l’arbre par la fenêtre était destiné à une orchestration différente (une trompette, deux trombones, une clarinette basse, trois saxophones, une rythmique complète). African Burgundi est composé pour un big band complet : trois trompettes, trois trombones, cinq saxophones, une rythmique avec deux claviers et un piano.

Les créations émanent d’une initiative individuelle. Les décisions relatives à l’exécution de leur musique sont discutées collectivement. L’orchestre s’approprie l’écriture : il y a un échange entre le compositeur et les autres musiciens pendant les répétitions qui précèdent le premier concert.

Les arrangements des standards sont conformes à l’écriture de l’époque et à ce que le public attend des versions originales. Les réappropriations des thèmes traditionnels souvent joués par les big band amateurs ne sont pas très respectueuses, en raison d’une musique complexe à jouer. Les auditeurs ont des références d’écoute que nous devons respecter. C’est la raison pour laquelle nous ne revoyons pas les versions des arrangements achetés. Nous voulons donner l’interprétation la plus juste de ces standards.

Je suis conscient que cela est courant et que cette musique peut paraître parfois ringarde à certains auditeurs, mais elle nous permet d’obtenir des contrats d’orchestre et constitue une source de financement. Nous pérennisons ainsi l’existence de nos répertoires originaux, pour lesquels nous sommes peu aidés et n’avons pas suffisamment de concerts.

Les programmes traditionnels restent facilement abordables. Nous les enregistrons parce que le public souhaite connaître notre version, bien qu’elle soit conforme aux originaux et qu’il existe les disques historiques. Ces albums se vendent mieux que nos répertoires plus modernes. Les créations nécessitent plus d’effort de la part du public pour capter les couleurs, les intentions, le groove, les climats... Je pense qu’il faut mélanger ces deux types de musique pour initier les auditeurs, comme nous l’avons fait hier à Couches en deuxième partie de l’Orchestre des Jeunes Jazzmen de Bourgogne, au répertoire plus moderne.

Propos recueillis par Armel Bloch le 09 juillet 2010.

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> Discographie :

  • Carpe Diem (1994)
  • Sortie Sud (1998)
  • Live – 20ème anniversaire (2008)
  • A l’arbre par la fenêtre (2008)
  • Todos Latinos (2010)

> À paraître prochainement :

  • Le jazz en Bourgogne #6 : entretien avec Florent Guillamin, percussionniste ;

> Dans la même série, également disponible sur Culture Jazz :


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