Bilan d’une année 2010 bien remplie...

  • Après un mandat de trois ans à la direction de l’Orchestre National de Jazz (2005-2008), Franck Tortiller ne chôme pas : coordinateur du département jazz des conservatoires d’Orsay et Versailles à mi-temps, plusieurs répertoires d’orchestres récemment créés, nouveau quartet aux couleurs pop rock, enregistrement du programme « Ivresses » en trio avec Patrice Héral et Michel Godard, création autour de la valse avec l’Orchestre Pasdeloup, nouveau répertoire solo, des collaborations régulières en Autriche et en Allemagne avec Christian Muthspiel (duo, trio et sextet), en Italie avec Gavino Murgia, en France avec Louis Winsberg, Frédéric Monino, Simon Spang-Hanssen, Emmanuel Bex, Philippe Laccarrière... CultureJazz a souhaité vous faire découvrir l’actualité riche du vibraphoniste avant un concert mémorable de l’OJJB au festival de Couches...

>Armel Bloch : Vous avez créé en octobre 2010 l’Orchestre des Jeunes Jazzmen de Bourgogne (OJJB). Comment vous est venue l’idée de diriger cette grande formation de jeunes musiciens, en plus de votre orchestre actuel et après l’Orchestre National de Jazz (ONJ) ?

Franck Tortiller - Tours, 12 novembre 2010.
Photo © CultureJazz

>Franck Tortiller : J’ai été élevé dans les pratiques amateurs, en accompagnant les orchestres de bal avec mon père. Je suis donc proche de ce milieu et j’ai dans mon parcours accordé pas mal de temps à l’activité pédagogique, sous différentes formes. J’avais déjà songé à créer un orchestre de jeunes musiciens pendant mon mandat à la direction de l’ONJ entre 2005 à 2008 mais pour différentes raisons, ce projet n’a pas pu voir le jour. Cette ambition est venue d’un simple constat : en France, dans le monde de la musique et plus largement de la culture, il existe aujourd’hui des établissements qui proposent des formations diplômantes reconnues avec un encadrement, mais il n’y a pas de passage intermédiaire entre le statut d’étudiant et l’entrée dans le milieu professionnel. Les musiciens sont souvent livrés à eux-mêmes. Il n’existe pas de formations en alternance ou rémunérées, comme dans d’autres secteurs. En dehors de l’Orchestre Français des Jeunes en musique classique, créé par le ministère de la culture en 1982, je n’ai pas connaissance en France d’orchestres avec une vocation pédagogique où de jeunes solistes peuvent perfectionner leur niveau en grande formation pour devenir musiciens professionnels. Des orchestres de ce type existent en Allemagne, mais les répertoires sont souvent très ancrés dans la tradition des big bands.

J’ai souhaité développer cette transition semi-professionnelle accompagnée d’un travail pédagogique, pour donner à des étudiants âgés de 18 à 25 ans la possibilité de jouer dans une grande formation, qui obéit aux mêmes exigences qu’un orchestre totalement professionnel. Les concerts sont rémunérés et nous sommes accueillis un week-end par mois dans différentes structures bourguignonnes pour les répétitions (conservatoires, clubs…). Le recrutement a eu lieu sur auditions à l’automne 2010, avec plus de cinquante personnes venues de toute la France dont 18 aux parcours comparables ont été retenues. Les musiciens sont issus du CNSM de Paris, du Centre des Musiques Didier Lockwood, des classes de 3èmes cycle, cycles spécialisés et supérieurs de conservatoires régionaux (Nancy, Chalons sur Saône...) et d’autres exercent depuis peu de temps.

Nous avons commencé par travailler des anciennes compositions écrites pour l’ONJ (programmes « Électrique » et « Sentimental 3/4 ») et nous intégrons progressivement des thèmes des membres de l’orchestre (Simon Valmort, Thomas Letellier, Rémi Fox). La composition de Simon est assez rythmique, celle de Rémi plus sophistiquée harmoniquement. Thomas a amené quelque chose de très simple, en trois accords, mais très efficace. Je ne vois pas l’intérêt de jouer des standards pour big band, de Duke Ellington ou Count Basie, trouvés dans le commerce. Cette musique est déjà pratiquée par beaucoup d’orchestres amateurs. Elle est difficile à jouer et répond à des critères d’interprétation différents de ceux que je souhaite travailler avec cette formation. En tant que musicien et spectateur, il me semble plus intéressant de voir un groupe qui présente sa façon de concevoir la musique. L’OJJB disposera à terme de son propre répertoire, qui sert de support pour travailler la forme orchestrale, développer une prise de conscience de groupe, un son collectif, une esthétique musicale et pour mieux comprendre le rapport entre l’écriture et l’exécution... J’avais une idée assez précise de l’instrumentation : j’ai fait le choix d’accentuer le côté rythmique (une contrebasse, une basse électrique, un vibraphone, un marimba, un piano et initialement deux batteurs) pour permettre différentes dynamiques. Les deux rythmiques sont complémentaires : l’une est acoustique, l’autre apporte des couleurs plus électriques. Il est assez rare dans un orchestre de disposer de trois claviers, deux euphoniums et d’un violon. Plusieurs palettes de sons sont possibles en fonction des registres que nous choisissons d’explorer. J’envisage la direction de cette formation comme je le fais avec mon orchestre actuel, dont certains musiciens accompagnent parfois les sessions de travail.

> Dans la continuité de votre travail d’écriture autour des musiques populaires du 20ème siècle, vous avez créé lors de la 10ème édition du festival Jazz à Beaune en septembre 2010 un nouveau répertoire (« Le rythme et le bleu ») avec votre orchestre. Vous préparez également la création « Le toucher de la hanche » avec le comédien Jacques Gamblin et l’Orchestre Pasdeloup au Théâtre du Châtelet pour la fin novembre 2010...

> Pendant ma jeunesse, j’ai beaucoup écouté Aretha Franklin, Otis Redding et Nino Ferrer. C’est pour moi le chanteur qui a le plus mis en avant le rythm & blues dans la variété française des années 60. Je n’avais pas encore écrit de programme d’orchestre en hommage à ces musiques, qui me touchent autant que le rock, le classique, la musette ou la pop... « Le rythme et le bleu » est une sorte d’incursion dans l’univers du rhythm ’n’ blues des années 60-70 et des musiques qui y sont assimilées. Les musiciens sont les mêmes que ceux de l’ONJ. Nous sommes tous actifs dans le jazz et parfois dans d’autres horizons musicaux.

Nguyen Lê et Franck Tortiller (ONJ)
Coutances - 16 mai 2007 - Photo © Culturejazz

Au même titre que nous l’avons fait pour les répertoires consacrés à Led Zeppelin, au jazz électrique des années 70 et à la valse sous ses différentes formes, nous n’abordons pas ce programme comme un répertoire d’exécution mais plutôt comme un travail de réappropriation collective. Le but n’est pas de jouer les partitions d’Otis Redding, Stevie Wonder, Curtis Mayfield, Roy Ayers ou de James Brown à la note près, mais d’interpréter des compositions originales et des arrangements qui appliquent l’esthétique musicale et les principes fondamentaux des musiques de ces auteurs, par exemple autour du groove, des spécificités rythmiques et harmoniques qu’elles suscitent. Il y a bien sûr un travail de réécriture pour l’orchestre. J’ai souhaité maintenir une instrumentation de mini big band sans chanteur ni guitare avec deux percussions claviers. Jean Gobinet a arrangé la chanson « Le sud » de Nino Ferrer et écrit un morceau en hommage à James Brown, avec des citations typiques de ses thèmes. Le pupitre de cuivre est renforcé par le trompettiste Joël Chausse. La rythmique est assurée par le batteur Patrice Héral et le bassiste Antoine Reininger (une figure montante aussi à l’aise dans le jazz que dans le rock). J’ai demandé à Vincent Limouzin de réaliser tous les effets additionnels de samples à partir de ses claviers et machines.

« Le toucher de la hanche » s’inscrit dans la continuité d’un partenariat avec l’Orchestre Pasdeloup que j’entretiens depuis plusieurs années. Nous avions déjà créé « Opérettes » en janvier 2007 au théâtre du Châtelet avec l’ONJ et Christophe Mirambeau, le « Concerto en fa » de George Gershwin il y a quelques années et « Rhapsody in Blue » en janvier 2005 avec mon trio. Pasdeloup fête cette année ses 100 ans d’existence. C’est un orchestre magnifique, ouvert à des propositions musicales différentes de la musique classique. Pour cet évènement, nous travaillerons à partir du livre « Le toucher de la hanche » de Jacques Gamblin, qui retrace l’histoire d’un couple qui écume les concours de danses de salon. C’est aussi le nom d’un spectacle « one man show » qu’il diffusait il y a quelques années. Il y aura quelques thèmes du disque « Sentimental ¾ », réarrangés pour l’orchestre symphonique et des nouvelles compositions autour des musiques de danse, d’atmosphère et de la valse, entrecoupées de textes sélectionnés et lus en directe par Jacques Gamblin, acteur ouvert à des propositions artistiques différentes de celles du théâtre ou du cinéma.

En juin 2009, nous avons créé avec Jacques Revon le spectacle « Le cœur au fond des yeux », répertoire consacré à l’univers de la mine (deuxième patrimoine historique de la Bourgogne après le vin), dans le cadre d’une résidence à Montceau-les-Mines. Le projet rassemblait l’orchestre actuel, des musiciens amateurs et professionnels de l’école de musique de Montceau-les-Mines, accompagnés des photographies historiques de Jacques (ancien journaliste, photographe et réalisateur à France 3 Bourgogne). Il avait écrit un livre du même nom il y a 30 ans, qui retraçait l’histoire de la dernière période d’existence de la mine de charbon de Saint Etienne. Ce programme évoque la fin de la mine des années 70 au début des années 90 avec la fin d’une vie économique importante et d’un contrat social marquant. Des chansons spécialement écrites pour l’occasion accompagnent les textes d’époque.

Franck Tortiller, à Tours le 12 novembre 2010
© CultureJazz

Quel que soit le programme, il y a toujours une autogestion des pupitres entre eux dans le sens où une fois la musique écrite, le groupe se l’approprie à sa façon. Je ne dicte jamais aux musiciens la manière dont ils doivent jouer leur solo. Nous nous connaissons depuis plus de 20 ans : il y a une confiance mutuelle au sein de l’orchestre. Je continue à défendre l’idée que le jazz n’est pas une musique de répertoire. Ce qui importe n’est pas le thème en lui-même mais la façon dont on le joue. Les compositions sont écrites en pensant avant tout au musicien qui sera soliste. L’orchestre s’assimile à un collectif, comme l’envisageait Mathias Rüegg avec le Vienna Art Ochestra, qui m’a servi de modèle. Je développe aussi une démarche pédagogique avec cet ensemble, lorsque nous accompagnons des orchestres amateurs dans certains répertoires. L’orchestre parraine l’OJJB. Nous avons créé depuis 2009 trois nouveaux répertoires. Les programmes passés (« Led Zeppelin », « Électrique », « Sentimental 3/4 », « Opérettes ») sont toujours d’actualité.

La pérennité actuelle des grandes formations est délicate pour tout le monde, en raison d’un contexte économique critique (baisse des subventions) qui ne va pas en faveur du développement des projets aux effectifs importants. Le fait d’avoir arrêté l’ONJ ne m’a absolument pas dérangé dans mon activité. Je considère la direction de l’ONJ comme une étape dans un parcours de musicien. Je n’ai jamais autant travaillé qu’aujourd’hui, je ne sais pas si cela va durer. A l’époque de l’ONJ, je m’étais fixé comme objectif d’écrire quatre programmes et de les jouer le plus possible dans différents types de lieux et plusieurs pays. Nous avons fait près de 200 concerts. Je pense qu’il est normal que ce rythme change une fois que l’orchestre ne bénéficie plus de ce label reconnu dans les structures de diffusion nationales et internationales. Je prévoyais de continuer à un autre rythme, qui m’est aujourd’hui possible grâce à une convention dont je dispose avec la région Bourgogne, renouvelable tous les trois ans. Avec ces subventions, je peux proposer de nouveaux projets pour maintenir l’existence de l’orchestre. Je pense qu’un chef d’orchestre doit générer sa propre activité avec des créations, pour renouveler son répertoire. Bruno Regnier a très bien compris cette exigence avec le X’tet.

> Qu’en est-il du trio « ImpertinAnce » ?

> Je poursuis cette aventure avec Michel Godard (tuba, serpent, basse électrique) et Patrice Héral (batterie, voix). C’est une formation totalement démocratique. Nous avions déjà enregistré un premier disque en 2005 (« ImpertinAnce ») en studio pour le label italien Cam Jazz. Dans le cadre d’une résidence de Michel à l’Abbaye de Noirlac en mai 2010, nous avons créé le nouveau répertoire « Ivresses », totalement acoustique. Un album sortira courant 2011, édité par le label allemand Enja. Le projet succède au « Concert des parfums » proposé par Michel en 2008 avec Ursula S. Yeo, créatrice de parfums. Nous avons écrit chacun trois thèmes qui s’inspirent du geste du vin, mis en valeur par des photographies de Roberto Petronio (journaliste et photographe à la Revue des Vins de France) projetées en temps réel. Les compositions de Patrice se réfèrent à trois cépages du sud de la France. Michel a consacré l’essentiel de son écriture à la volupté. J’ai pour ma part réarrangé un traditionnel bourguignon. Comme tout trio qui existe depuis longtemps, notre jeu familier évolue au fur et à mesure que notre parcours personnel s’enrichit. D’un certain point de vue, il y a une prise de risque dans la liberté des propos mais ce n’est pas un problème puisque nous nous connaissons bien. Il s’agit d’une musique beaucoup moins écrite que celle des orchestres, très tonale et poétique, essentiellement fondée sur le travail des timbres, le développement des couleurs et des atmosphères. Les thèmes sont assez mélodiques et laissent des espaces pour le groove de la batterie. Il n’est pas question d’illustration musicale de l’image ou l’inverse, mais d’une mise en confrontation directe des deux pour obtenir un résultat commun où l’un ne va pas sans l’autre. Chaque représentation est accompagnée d’une dégustation commentée de trois vins sélectionnés par Roberto. C’est une façon d’apporter un troisième sens (le goût) à ce projet et d’illustrer les métaphores communes utilisées pour qualifier le vin et la musique.

> Vous avez récemment créé le quartet « Purple & High »...

> J’avais depuis longtemps envie de rejouer avec le trompettiste suisse Matthieu Michel rencontré à l’époque où j’accompagnais le Vienna Art Orchestra. Je ne connais pas de trompettiste équivalent au monde. Matthieu improvise de façon totalement instinctive sans jouer free pour autant, sans lire les grilles ni les accords, uniquement par son écoute attentive. Il dispose d’un placement très particulier, d’un son et d’un phrasé qui lui sont propres. Un jour, comme de nombreux parents d’adolescents, je n’ai pas résisté à l’envie de ranger la chambre de mon fils ainé. J’ai découvert des disques de groupes actuels de musique pop anglaise. J’ai écouté par curiosité et je me suis rendu conte que ces thèmes pourraient facilement servir de support à un nouveau groupe. L’univers de Matthieu se marie très bien avec ce style. Il remplace en quelque sorte la voix d’un chanteur. Nous jouons des reprises de pop actuelle (Red Hot Chili Peppers, Radiohead, Muse, Rage Against The Machine, Prince) et des compositions personnelles avec peu d’accords, beaucoup de groove, une mélodie accrocheuse, pour laisser d’avantage de places aux improvisations. C’est une nouvelle passerelle entre les générations : le rock et la pop de la fin du siècle dernier qui m’ont particulièrement touché et des thèmes pop rock plus actuels. La rythmique formée par Antoine Reininger (basse électrique) et Patrice Héral (batterie) correspond bien à cet état d’esprit. Dans le jazz, ce sont souvent les opportunités (par exemple des propositions de cartes blanches dans des festivals) qui donnent naissance à des projets. Ce quartet a été créé au Jazz Club Sceaux What en avril 2009. Un disque verra peut-être le jour mais l’emploi du temps chargé de chacun ne nous permet pas de jouer autant que nous le souhaitons.

Franck Tortiller, à Tours le 12 novembre 2010
Avec Frédéric Monino 4tet. Photo © CultureJazz

Ce quartet existe aussi dans une version acoustique (avec contrebasse) et peut être associé à un orchestre symphonique. Nous avons joué un programme sur les standards de George Gershwin (issus pour la plupart de l’opéra « Porgy & Bess ») avec l’orchestre symphonique de la CUCM (Communauté Urbaine du Creusot & Montceau-les-Mines) en juillet 2009 au festival de Couches, avec en invité l’harmoniciste Olivier Ker Ourio. Gershwin a rarement réalisé l’orchestration de ses œuvres, souvent déléguée à d’autres, comme il était coutume de le faire à l’époque. Il s’agit dans ce projet de jouer sur les changements de formes, de tonalités, de chercher des variantes nouvelles pour explorer les possibilités de l’association d’un quartet jazz avec une formation symphonique au grand complet.

> Vous poursuivez votre travail en solo...

> J’ai déjà pratiqué le solo occasionnellement en concert mais je n’ai jamais pris le temps de l’approfondir comme un vrai programme. J’avais depuis longtemps envie d’écrire un nouveau répertoire pour me recentrer sur mon instrument et défendre l’esthétique musicale que j’aime. Cet exercice constitue pour moi un miroir qui reflète mes premières influences, les rencontres qui ont fait évoluer mon parcours et les changements d’orientations, sans qu’il s’agisse d’un bilan à part entière. En termes d’approche instrumentale, je ne travaille pas le solo de la même façon qu’un répertoire d’orchestre mais je maintien une exigence musicale identique. Quand on est musicien de jazz, on dispose d’une personnalité que l’on cherche à mettre en valeur, quelque soit le contexte dans lequel on joue.

Dans l’écriture pour orchestres ou pour petites formations, j’ai souvent tendance à vouloir développer les formes. Dans le solo, le fait de devoir me recentrer sur mon instrument m’oblige à explorer d’autres détails. Je dois faire des choix radicaux sur les dynamiques, le tempo, les matières sonores, les timbres, le groove, la rythmique, la place réservée à l’improvisation pour éviter de trop jouer les thèmes de base. Je travaille sur ma profondeur de jeu, pour faire respirer la musique à travers les résonances. J’essaie de développer une transition entre ce qui se passe avant, pendant et après un silence, qui pour moi fait parti de la musique autant qu’une simple mélodie. C’est une mise à l’épreuve solitaire délicate, qui nécessite par exemple de ne pas avoir peur des moments de vide. Il n’y a rien qui aide ou qui permet de cacher les choses. J’aime le côté challenge face à soi même. Je souhaiterais à l’avenir enregistrer un disque.

> En dehors de tous ces projets, quelles sont vos autres collaborations ?

> Je joue régulièrement avec le tromboniste et pianiste Christian Muthspiel en Autriche et en Allemagne, en duo, trio et sextet. Nous avons enregistré deux disques en trio (« Against the wind » à partir des musiques de Werner Pirchner et Harry Pepl, « Dancing Dowland » autour de la musique de John Dowland). Un disque live enregistré à New York avec le « Yodel Group » (sextet) sortira en octobre 2010. Les yodels sont des chants traditionnels montagnards. Christian a voulu rassembler dans un projet international des musiciens de différents pays à montagnes, pour lesquels les yodels ont une place significative dans leur patrimoine musical. Je représente la France, Matthieu Michel (trompette) la Suisse, Gerald Preinfalk (saxophones, clarinettes) et Christian Muthspiel l’Autriche, Bobby Previte (batterie) et Jerome Harris (basse électrique) les Etats-Unis (tournée pendant 15 jours en octobre 2010).

O. Ker Ourio, F. Laizeau, F. Monino, F. Tortiller : "Around Jaco" à Tours le 12 novembre 2010
Photo © CultureJazz

Je participe au quintet « La danse du vent » de Louis Winsberg (avec Linley Marthe, Karim Ziad et Marc Berthoumieux) qui reprend des compositions de son disque du même titre, sorti à la fin des années 90. J’accompagne le quartet « Around Jaco » de Frédéric Monino (avec Olivier Ker Ourio et François Laizeau), plus rarement le quartet du saxophoniste Simon Spang-Hanssen (avec François Laizeau et Yves Torchinsky). J’ai récemment participé au nouvel enregistrement d’Emmanuel Bex en trio (avec Francesco Bearzatti et l’Orchestre de Chambre de Savoie dont j’assure la direction). Je joue occasionnellement en duo avec Patrice Héral, avec les formations de Philippe Laccarrière et je serai invité à partager la scène avec Ibrahim Maalouf pour le prochain Festival de Jazz à la Villette. Je ferai une résidence de compositeurs à Dunkerque et je serai invité à jouer dans un collectif de musiciens du nord de la France au printemps 2011.

> Que pensez-vous du positionnement actuel de l’ensemble des acteurs de la culture face aux baisses de subventions ?

> Il y a deux ans, je me souviens avoir assisté à plusieurs conférences dans un salon professionnel à Nantes, dans lequel il était question de ce sujet. Je pense sincèrement que si les communautés des musiciens de jazz et des autres acteurs culturels (directeurs de scènes, organisateurs de festivals, journalistes, responsables politiques...) ne prennent pas conscience que la pérennité de la culture est un enjeu sérieux et commun, nous allons devant d’importants problèmes. Pour pallier les baisses de subventions, chacun essaie de défendre son territoire, ce qui est assez compréhensible vu le contexte actuel difficile pour tout le monde et à différents niveaux. Il faut cependant que chacun reconnaisse que ce problème ne peut être résolu que s’il existe un esprit solidaire. Pour défendre notre positionnement d’artistes professionnels, nous devons être engagés ensemble sur les mêmes choses, parler de musique et non uniquement de problèmes budgétaires. Quelle(s) musique(s) pratique-t-on ? Avec qui ? Pour qui ? Pour quoi ?... Nous sommes musiciens et devons être militants dans notre domaine sans faire de corporatisme abusif sur des problèmes politiques comme la défense de nos droits, du budget publique de la culture... sujets que nous ne pouvons pas forcément résoudre à notre niveau.

Avant, la culture était un argument électoral lorsque l’on souhaitait en faire. Aujourd’hui, elle reste un argument électoral lorsqu’on n’en fait pas. À chaque fois que j’ai des rendez-vous avec des hommes politiques pour discuter de mon métier ou de culture en générale, je n’entends parler que de pratiques amateurs. Je n’ai rien contre celles-ci puisque je viens de ce milieu et je trouve assez normal que des professionnels apportent leurs savoirs et expériences. Nous ne devons cependant pas confondre ces deux aspects et rappeler que derrière les problèmes auxquels est confrontée la culture aujourd’hui, l’avenir de nombreux emplois est en jeu.

La « chaîne culturelle alimentaire » ne doit plus avoir ses grands prédateurs. Les exemples sont multiples : un journaliste qui écrit une critique satirique de façon très personnelle et non fondée sur un musicien, un programmateur qui a une attitude de patron en pratiquant des formes de chantage abusif avec un artiste, des musiciens qui exigent des niveaux de cachets excessifs qui ne profitent pas à d’autres...

Lorsque l’espace de liberté se réduit comme c’est le cas actuellement, toutes ces problématiques vieilles comme le monde apparaissent au grand jour. Du côté des médias, je pense qu’il y a une vraie réflexion à avoir. Quand j’avais 20 ans, il y avait quatre journaux de jazz. Aujourd’hui, il n’en existe plus qu’un seul. Je ne connais pas non plus beaucoup d’émissions de radio sur le jazz. Quant à la télévision, le jazz est quasi inexistant. Je coordonne le département jazz des conservatoires d’Orsay et Versailles avec Sylvain Beuf. Nous délivrons des diplômes à des jeunes musiciens qui souhaitent devenir professionnels, comme mon fils de 19 ans. Nous nous posons actuellement de sérieuses questions sur leur avenir et je pense que cette génération connaitra plus de difficultés que la mienne si la situation actuelle ne change pas.

Propos recueillis par Armel Bloch.

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> Discographie sélective  :

  • Tortiller-Blesing Quintet : Écume (Label La Lichère).
  • Trio à Boum : À ciel ouvert (Evidence).
  • Trio Rousseau-Tortiller-Vignon : Les jours de fête - Hommage à Jacques Tati (CC Production), Spectacle (Label Hopi).
  • Franck Tortiller : Vitis Vinifera (Label Hopi).
  • Franck Tortiller Quartet : Franck Tortiller (Altri Suoni).
  • Franck Tortiller Trio : Early Dawn (Altri Suoni).
  • Trio Tortiller-Godard-Héral : ImpertinAnce (Cam Jazz), Yvresses (Enja Records, à paraître courant 2011)
  • ONJ Franck Tortiller : Close to Heaven (Chant du Monde), Électrique (Chant du Monde)
  • Orchestre Franck Tortiller : Sentimental 3/4 (Cam Jazz).
  • Autres collaborations discographiques :
  • Avec Michel Godard : Cousins germains (Cam Jazz), Archangelica (Cam Jazz)
  • Avec Jean-Marc Padovani : Nocturne, Mingus Cuernavaca (Label Bleu), Out, Tribute to Eric Dolphy (Label Deux Z/Nocturne).
  • Avec le Vienna Art Orchestra : Duke Ellington & Charles Mingus (Verve), American Rhapsody, A Tribute to George Gershwin (BMG), Artistry in Rhythm (TCB), Unexpected Ways - M (Verve), Powerful Ways - Nine Immortal Non Evergreens for Eric Dolphy (Verve), Quiet Ways - Ballads (Verve).
  • Avec Simon Spang-Hansen : Noctiflores (Altrisuoni).
  • Avec Christian Muthspiel : Against The Wind (Universal), Dancing Dowland (Universal), May (Material Records).
  • Avec Gavino Murgia : Megalitico (Mankosa)
  • Avec Bertrand Renaudin Zoomtop Orchestra : Ten Years (CC Production).
  • Avec Philippe Laccarrière Percussive Compagnie : Au sud du nord (CC Production), Ces rencontres-là (autoproduit).
  • Avec Claudio Pontiggia : Espoir (Altrisuoni).
  • Avec Claude Barthélémy : Sereine (Label Bleu).
  • Avec Frédéric Monino : Around Jaco (Chant du Monde).
  • Avec Senem Diyici Sextet : Takalar (La Lichère).
  • Avec Dominique Fillon : Détours (Chant du Monde)
  • Avec Sansévérino : Les Sénégalaises
  • Avec Paris Musette (vol 3) : Vent d’automne (La Lichère)
  • Avec Emmanuel Bex : disque à paraître courant 2011.

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> Dates à venir :

  • 27/11/2010 : Paris, Théâtre du Châtelet
  • 03/12/2010 : Cannes
  • 07/12/2010 : Innsbruck, Autriche
  • 08/12/2010 : Feldating, Autriche
  • 10/12/2010 : Montpellier
  • 16/03/2010 : Paris, New Morning avec l’OJJB et l’orchestre Franck Tortiller (programme "Le rythme et le bleu")

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> Liens :

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