...au Studio de l’Ermitage (75020), le 19 novembre 2010.

> Studio de l’Ermitage, Paris 20e, le 19 novembre 2010

Il y a presque un siècle, le public parisien découvrait avec stupeur la "catastrophe apprivoisée" (Cocteau) des premiers orchestres de jazz noirs-américains dans les salles de cabaret de Pigalle et des environs de Montmartre. Après avoir parcouru son chemin dans divers quartiers de la capitale devenus mythiques depuis, aujourd’hui, c’est dans l’est parisien, et à mi-chemin de l’abrupte rue de Ménilmontant notamment, qu’on peut encore écouter de la véritable musique inédite (jazz ou non…, finalement peu importe). Vendredi 19 novembre, le Studio de l’Ermitage accueillait une chaude soirée de musique estampillée « jazz-rock ». Du jazz-rock, il y en a eu. Mais pas que…

En ouverture, le quartet ZARBITURIC donne la tonalité : ce soir, il va y avoir du gros son. S’enchaînent alors mesures asymétriques et thématiques lyriques et complexes, instrumentaux à tiroirs et harmonisations parfois proches d’un certain rock progressif (suggérées par les arpèges du guitariste Romain Coltier), mais aussi énergie décontractée dans des formes plus simples. Les improvisations, collectives ou de sax ténor (Guillaume Grosso), mêlent douceur et vitalité, toujours maîtrisées et en phase avec les couleurs psychédéliques de l’ensemble. La section rythmique (Deniz Fisek, basse électrique, et Joao Francisco Preto, batterie) évolue simplement au gré des compositions, confirmant que les influences de ce quartet oscillent, entre autres, entre Soft Machine et Happy Apple. La soirée commence bien. Dans quelques minutes apparaitra sur scène le quintet DPZ (dont les quatre Zarbi sont visiblement super fans). La prestation de Zarbituric s’est avérée a posteriori une première parie idéale, plus qu’appropriée, loin de n’être qu’une pâle copie du quintet.

Thomas de Pourquery
Photo © Yves Dorison

Si la musique de DPZ est inédite, c’est parce que ses compositeurs ont réussi comme pas deux à synthétiser au mieux toutes les influences qu’ils possèdent dans la partie « sensibilité » de leur cortex musical respectif. DPZ adopte clairement une posture « postmoderne » du jazz actuel, et sur disque comme à la scène, leur fer de lance c’est le son. Une fois assimilée cette première claque de maîtrise et de puissance sonore, on entend la musique passer par de multiple genres et styles : rock-prog « krimsonnien », groove hip-hop et son thème bringuebalant ultra-moderne (Mamelles, ou comment disséquer un rythme de rap sans en perdre le moindre groove, en une seule leçon, par Sylvain Daniel, basse, et David Aknin, batterie), surf-rock désaccordé (genre que Zarbituric venait d’exploiter à sa manière moins d’une heure auparavant. Si, si !), ou encore habanera d’amour alla Sergio Leone. Tout cela pourrait sembler, à première vue, partir dans tous les sens, mais la musique de DPZ est bel et bien unifiée par une couleur sonore singulière et un travail de premier plan sur les textures.

DPZ : visuel d’album

Quant aux compositeurs, ils insufflent dans la performance toute la maîtrise et l’énergie nécessaire à la musique pour se mettre en son. Au-delà des chorus sur ses deux sax de prédilection, Thomas de Pourquery ajoute sa touche d’humour à la nature sombre et narrative de l’orchestre : par un texte fait de néologismes automatiques (entre Boby Lapointe et Luis Buñuel) récité à la manière d’un néo-Gainsbourg sur un soubassement rythmique évoquant Melody Nelson, ou par l’absurde air de cantatore fou sur le fameux Nicht nein my love. Cette griffe s’intègre parfaitement à la poétique de l’ensemble, participant de la spécificité de l’univers du groupe sans le contaminer. Daniel Zimmermann, pour sa part, nous fera une démonstration de son talent de tromboniste improvisateur sans être démonstratif. Il parvient comme personne à insérer une notion bruitiste dans ses solos sans jamais altérer la conduite mélodique de son discours, mais, bien au contraire, en s’en nourrissant.

Le concert se terminera (comme le disque) par le superbe Rosée superbe, où Maxime Delpierre déversera toute la « frippure moderne » de sa six cordes plus proche de Sonic Youth que de Duke Ellington, rejoint ensuite par les soufflants pour l’épique thème final… Mais alors, qu’en est-il du jazz chez DPZ ? Malgré l’attirance pour le binaire et la diversité de styles, ce groupe va emprunter plusieurs choses au jazz : tout d’abord l’habilité de l’exécution instrumentale, mais surtout une manière insolite et toujours renouvelée (improvisée ?) de traiter les textures et les couleurs à l’intérieur de cette « respiration » singulière d’un son collectif unique, maîtrisé et puissant. DPZ, c’est avant tout Du Pur Z(S)on. Jubilatoire, assurément.

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> Zarbituric :

  • Guillaume Grosso : saxophones ténor et soprano
  • Romain Coltier : guitare
  • Deniz Fisek : basse
  • Joao Francisco Preto : batterie

> DPZ :

  • Thomas de Pourquery : saxophones alto et soprano, chant
  • Daniel Zimmermann : trombone
  • Maxime Delpierre : guitare
  • Sylvain Daniel : basse
  • David Aknin : batterie

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