Au travers de trois publications récentes de Dixiefrog, voici un panorama de voix américaines fortement enracinées dans leurs racines et traditions, des plus humbles et méconnues aux plus illustres. Les voix Black & White se recoupent dans l’anthologie consacrée à des chanteurs et musiciens obscurs rencontrés par Art Rosenbaum au travers de ses voyages et découvertes ; voix Black qui ont conquis le monde entier par la grâce du Golden Gate Quartet ; voix Red découverte il y a peu, celle de Pura Fe’ qui propose une sorte de magnifique synthèse des trois couleurs sans renier ses origines.

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  Black & White "Recorded in the field by Art Rosenbaum"

Black & White "Recorded in the field by Art Rosenbaum"
Dixiefrog / Harmonia Mundi

Entre John et Alan Lomax, qui enregistrèrent avant-guerre pour la Bibliothèque du Congrès quantité d’artistes amateurs à travers leurs pérégrinations dans l’Amérique profonde, et Tim Duffy, qui anime la Fondation Music Maker dont plusieurs anthologies ont paru sur Dixiefrog, on trouve un autre collecteur formidable, Art Rosenbaum. Né en 1938, ce peintre, dessinateur et musicien qui, dans les années 60, a fréquenté les hootemanies parisiens du Centre Américain, est un passionné de toutes les musiques américaines. Et, depuis une cinquantaine d’années, il a pris son bâton de pèlerin pour aller à la rencontre de tout un monde de personnalités souvent fascinantes, et pour la plupart inconnues, qu’il a enregistrées sur place chez eux. Il a tiré plusieurs anthologies de ses kilomètres de bandes, et c’est une courte, mais très représentative sélection qu’a concoctée le label français Dixiefrog. On y trouve des country bluesmen, dont l’oublié Scrapper Blackwell qui fut célèbre en son temps, Yank Rachell ou Guitar Pete Franklin, des chanteurs de folk songs ou des string bands, le groupe cajun des Frères Balfa qui n’était pas encore très connu, un quartette de negro spiritual, les Silver Light Gospel Singers, et plein d’autres artistes noirs et blancs, parfois mêlés, ce qui peut surprendre dans les États du Sud. Mais la ségrégation n’était pas aussi hermétique qu’on veut bien le penser, et ce sont ces échanges qui intéressent avant tout Rosenbaum. On sera aussi frappé par la survivance d’expressions vocales qu’on croyait disparues : work songs, ring shouts, jubilee songs, rondes enfantines, vieilles ballades, etc. De fascinants témoignages sonores qu’accompagne une vidéo de 6 mn dans une très joli album illustré par Rosenbaum et enrichi d’un livret bilingue très informatif.

> Black & White "Recorded in the field by Art Rosenbaum" - Dixiefrog DFGCD 8697 - distribution Harmonia Mundi

Henry Graddy Terrell, The Chancey Brothers, Mose Parker, Silver Light Gospel Singers, Gordon Tanner & Smokey Joe Miller, Yank Rachell & Shirley Griffith, Lawrence & Vaughn Eller, Golden River Grass, Jake Staggers, Brady Doc & Lucy Barnes, Ben Entrekin & Uncle John Patterson, Cecil Barfield, Lawrence McKiver & The McIntosh Couty Shouters, Mary Lomax, The Balfa Brothers & Nathan Abshire, The Eller Brothers & Ross Brown, Guitar Pete Franklin, Albert Hash & Art Rosenbaum, Eddie Bowles, George Childers, Scrapper Blackwell, Fleeta & Rev. Nathaniel Mitchell, Tony Bryant, Juanita & Oscar Shehan.

Enregistrements réalisés entre 1961 et 2007.

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  The Golden Gate Quartet : "Incredible"

The Golden Gate Quartet : "Incredible"
Dixiefrog / Harmonia Mundi

La tradition noire se transmet, immuable et pourtant toujours renouvelée, par l’intermédiaire notamment des quartettes vocaux dont l’un des plus grands et des plus anciens reste le Golden Gate Quartet. Les origines du groupe remontent en effet à 1930 et, en 1934, Orlandus Wilson intégre le quartette avant d’en prendre la direction et de ne jamais lui être infidèle jusqu’à sa mort en 1979. L’histoire de cet ensemble célèbre dans le monde entier est suffisamment connue [1] et nous n’y reviendrons pas dans le cadre de la présentation de leur dernier opus réalisé l’an passé, soit 73 ans après leur premier 78 tours qui avait été un succès foudroyant et les avait lancés sur les plus grandes scènes des Etats-Unis. Clyde Wright les a rejoint en 1954 et fut de leur premier voyage en Europe en 1955 (Olympia de Paris). À l’appel de Paul Brembly, le petit-neveu de Wilson, présent depuis 1971, Wright reprend les reines du groupe il y a une dizaine d’années et lui redonne un nouveau souffle en conjuguant la grande tradition et en apportant de nouveaux arrangements et accompagnements instrumentaux. C’est une renaissance qui s’est concrétisée, en même temps qu’une “tournée d’adieux“ mondiale jamais achevée, par cette superbe réalisation dans laquelle le professionnalisme, la mise en place impeccable, les harmonies et la qualité des chanteurs se conjuguent avec une fraîcheur et une générosité “incroyables“. Le livret, également bilingue, est superbement présenté et comprend notamment les paroles des chansons, un extrait vidéo très sympa de 7 mn 30 complétant l’objet. Longue vie au Golden Gate Quartet !

> The Golden Gate Quartet : "Incredible" – Dixiefrog DFGCD 8700 - distribution Harmonia Mundi

Frank Davis (1er ténor), Clyde Wright (2e ténor, arr), Paul Brembly (baryton), Anthony Gordon (basse) + Daniel Pines (p, org), Mitchell Wright (g), Joël Rocher (b), Pascal Riou (dm), Nicolas Guiraud (perc, vib), Lorenz Rainer (tp, bugle), Jeff Quellec (tb).

Douze compositions traditionnelles et originales, enregistrées en 2010.

> Retrouvez ce disque dans le Manège Tourne-disques de novembre 2010.

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  Pura Fe’ Trio : "Live ! A blues night in North Carolina"

Pura Fe’ Trio : "Live ! A blues night in North Carolina"
Dixiefrog / Harmonia Mundi

Petit clin d’œil en guise de passage de témoin : c’est en Caroline du Nord, l’état où est né Clyde Wright, que Pura Fe’ donnait le concert qui fait l’objet de ce double CD. Nous avons déjà parlé, sur ce site, de cette chanteuse-guitariste d’origine amérindienne et portoricaine par ses parents, et qui possède également des ascendances européennes diverses [2] . Et plusieurs disques sous son nom ont été suffisamment remarqués (Grand Prix de l’Académie Charles Cros en 2006) pour la faire connaître en France. La première chanteuse indienne connue, la Canadienne Buffy Sainte-Marie, s’était largement illustrée dans les circuits folk durant les belles années 70. Pura Fe’, tout en s’inscrivant dans cette lignée, possède un côté blues et soul beaucoup plus prononcé qui a retenu l’attention des amateurs de jazz et de musique afro-américaine — tout se rejoint. Aussi, au côté de ses œuvres personnelles, elle reprend magnifiquement le bouleversant Hard Time Killing Floor du bluesman Skip James ou Flight Tonight de Joni Mitchell, comme elle s’essaie à Summertime, et retrouve les dance songs traditionnels des Iroquois en compagnie des Dear Clan Singers. Parfaitement accompagnée par Cary Morin (guitare) et Pete Knudson (percussions), elle donne ici une superbe et enthousiasmante prestation qu’il n’appartient qu’à vous de partager puisque Pura Fe’ sera en tournée en France au mois de mars 2010 [3] .

  • En attendant, l’écoute de ce double disque est une introduction parfaite à son art.

> Pura Fe’ Trio : "Live ! A blues night in North Carolina" - Dixiefrog DFGCD 8699 - distribution Harmonia Mundi

Pura Fe’ (vocal, guitare hawaienne), Cary Morin (g, voc), Pete Knudson (perc, voc) + Justin Robinson (voc, autoharpe), The Dear Clan Singers (voc).

Quatorze compositions de Pura Fe’ (certaines co-écrites avec Danny Godinez ou Cary Morin), deux de Cory Morin seul, une de Joni Mitchell, une de Philip Baptiste & George Khoury, une de Nehemiah “Skip“ James, une de George Gershwin, et trois social dance songs traditionnels iroquois. Enregistré en concert à Durham (NC) les 20-21 août 2010.

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  Et quelques images pour prolonger…

James Brown : "Body Heat"
Gravity / Discograph

James Brown : "Body Heat"

> Gravity WNRD2465 - distribution Discograph

Mojo Bones

> Gravity WNRD2479 – distribution Discograph

Le premier de ces deux DVD présente le “Soul Brother Nr One“, en l’occurrence James Brown, l’une des plus grandes voix noires de l’Histoire, filmé en concert à Monterey en 1979. Celui-ci remontait sur scène après plusieurs années d’interruption, et l’on remarque rapidement qu’il n’a rien perdu au niveau de la voix, de la présence scénique (les pas de danse !), et de la puissance rythmique envoûtante qu’il insuffle constamment à son orchestre à la précision métronomique. Certes, ce n’est plus le grand show fabuleux qu’il avait présenté à l’Olympia en 1967, et le trio vocal féminin un peu “potiches“ ne risque pas de faire oublier Vicky Anderson, Bobby Byrd et les Famous Flames, et c’est filmé de face assez platement, mais le personnage dégage une telle fascination et un tel hypnotisme qu’il est impossible de résister au défilé de ses grands tubes.

Mojo Bones
Gravity / Discograph

Le second DVD est un peu le “Black & White“ du riche puisque ce sont d’immenses vedettes qui défilent l’une après l’autre dans ce qui se présente comme un catalogue du label Gravity : Muddy Waters, B.B. King, Chuck Berry, Little Richard, Jerry Lee Lewis, James Brown, Otis Redding, Janis Joplin, les Rolling Stones, les Doors, John Lennon et Jimi Hendrix, chacun dans un ou deux extraits de concert. À offrir au néophytes pour leur donner l’envie de retrouver ces chanteurs dans les DVD qui leur sont intégralement consacrés.





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> Liens :

[1On peut lire un résumé de leur carrière par Sébastian Danchin dans le livret du CD, ainsi que dans le magazine Soul Bag N°200 (octobre-novembre-décembre 2010) et dans diverses éditions discographiques chez Frémeaux & Associés sous la plume de votre serviteur ; signalons aussi la parution d’un gros livre, Oh Happy Days, La saga du Golden Gate Quartet (Flammarion).

[2Les anthologies publiées par Dixiefrog “Sisters of the South“ (04/07/2008), et “Indian Rezervation Blues and More“ (31/03/2009).

[3Paris (New Morning, 09/03), Digne (12/03), Nice (15/03), Vandœuvre-les-Nancy (17/03), Argenteuil (18/03), Muzillac (Morbihan, 19/03), Blois (20/03) + Le Havre (28/05) et Pont-L’Abbé (01/06).