"All The Way", nouvel album du bassiste.

Je n’aime pas la basse électrique ! Sans doute la contrebasse me semble-t-elle plus noble. Son imposante présence rassure et captive. La guitare basse n’est pas autonome : il faut la porter, l’amplifier. Sans électricité elle n’a plus de voix ; sous perfusion d’électrons, on n’entend souvent plus qu’elle. Elle joue la frimeuse branchée. En plus, la gestuelle de nombre de bassistes a le don de m’agacer dans le genre danse du ventre en grattant le nombril de cette planche de bois à cordes. La période jazz-rock a sans doute laissé des traces et généré des réticences.

Frédéric MONINO : "All The Way"
PypeLine / distribution Socadisc

C’est stupide tant d’idées reçues sur un instrument. Je le reconnais et je fais mon mea-culpa. Ce qui compte, c’est la musique avant toute chose.
Une discussion récente avec le polyinstrumentiste de Haute-Provence, Alain Soler m’a amené à voir les choses autrement. Cet ardent défenseur de la basse électrique, surtout fretless, a des arguments solides pour défendre un instrument moderne tout à fait adapté au jazz le plus inventif, polyvalent et tous-terrains. Il soutient que c’est un instrument délicat, voire difficile, plus exigeant que la contrebasse. Et de citer Jaco Pastorius, Steve Swallow et les autres Marcus Miller, Reggie Washington etc. On ne le contredira pas, surtout à l’écoute du disque qui retient notre attention ici.

Frédéric Monino est reconnu comme un des bassistes les plus musicaux de la grande famille du jazz français : demandez au docteur Laurent Cugny ce qu’il en pense ! Lui qui n’a pas fini de tourner autour du mythe Pastorius (sa formation "Around Jaco" existe toujours avec des castings renouvelés) revient au disque avec "All The Way", avec son fidèle complice, François Laizeau, un des batteurs les plus expérimentés de la scène française, et un des meilleurs, c’est sûr !

Avec 9 titres et une durée de 43 minutes, Frédéric Monino a choisi la concision. Tel un artisan, il peaufine son travail en présentant ses meilleures pièces. On ne peut que s’en réjouir car ce disque s’écoute sans lassitude et avec un palisir constant. Les compositions accordent une place importante à la mélodie mais c’est pour mieux entraîner l’auditeur dans des espaces où les voix se complètent, s’opposent pour mettre en valeur le propos de chaque soliste. Le jeu limpide et fluide d’Olivier-Roman Garcia à la guitare acoustique apporte une touche de fraîcheur qui s’accorde parfaitement au jeu des invités : Olivier Ker Ourio (harmonica) et David Linx (chant).
Le bassiste sait s’entourer de musiciens qui partagent ses conceptions musicales. C’est d’ailleurs une petite surprise de trouver Thomas De Pourquery dans ce contexte mais notre ex-rugbyman a su trouver sa juste place dans cette équipe. Moins désinvolte et extraverti que dans ses contextes habituels, le saxophoniste est particulièrement inspiré sur ces compositions auxquelles il donne beaucoup d’éclat et de fantaisie avec son phrasé toujours inventif et une sonorité superbe.

"All The Way" nous propose d’emprunter la voie tracée par Frédéric Monino. Nous le suivons volontiers. Le voyage qu’il propose survole en permanence les territoires du jazz jalonnés par Ornette Coleman (Honnête Ornette) ou Thélonious Monk (Evidence, sensible et respectueux pour mettre en valeur le jeu de basse). On y croisera des rythmes colorés qui évoquent Hermeto Pascoal (Drôles de temps) ou une valse défroissée et aérienne qui met en valeur la guitare acoustique (Valse, tard ou tôt).

Un beau disque qui s’écoute et se réécoute avec grand plaisir car on y entend toute la simple efficacité du jazz : le plaisir de jouer, ensemble, une musique vivante, riche et pleine de surprises. On regrettera peut-être que Thomas De Pourquery n’ait pas impulsé un poil plus de folie à un ensemble qui reste tout de même très sage.

Maintenant, je ne dirai plus que je n’aime pas la basse électrique : promis !

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> Frédéric MONINO : "All The Way" - PypeLine - Continuum CD FM02 - distribution Socadisc

Frédéric Monino : guitare basse, compositions sauf 6 et 9/ Olivier Roman-Garcia : guitare acoustique / Thomas De Pourquery : saxophones alto et soprano / François Laizeau : batterie /
invités : David Linx : chant (2 et 7) / Olivier Ker Ourio : harmonica (pistes 2 et 8)

01. Valse, tard ou tôt / 02. All The Way (See You) (Monino-Linx) / 03. Honnête Ornette / 04. Drôles de temps / 05. Il y eut L / 06. Evidence (T. Monk) / 07. Wide / 08. Another Quest / 09. Domino (Garcia-Monino)

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> Liens :

> Chronique du disque "Around Jaco" sur CultureJazz (janvier 2008)