Échos du festival isérois, version 2012.

Jazz à Vienne 2012 : les derniers échos d’une édition de ce festival qui a fait couler beaucoup d’encre (si on peut dire dans notre cas !).
Le point de vue d’Yves Dorison sur la seconde semaine et la chronique de Marceau Brayard sur la dernière soirée.

Sommaire :


Vienne, mardi 10 juillet 2012

  The Bad Plus, feat. Joshua Redman

Je ne savais quoi attendre de cette a priori étrange affiche, ni que penser d’ailleurs. J’ai donc bien fait de venir car la rencontre musicale entre le trio et le saxophoniste eut bien lieu. The Bad Plus est un groupe avant d’être un trio. Ce sont eux qui le disent et nous ne les contredirons pas. Avec un son puissant, mis au service de reprises pop rock et de compositions originales, ils ont creusé ces dernières années un sillon personnel issu d’un savant décalage, que ce soit dans la posture ou dans l’expression musicale.
Joshua Redman, lui, sait aussi emprunter les chemins de traverses et, de fait, l’alliance a priori contre nature du saxophoniste et du trio fut un modèle du genre et une réussite musicale évidente. Tout en tension, le set délivré au théâtre antique offrit au public un jazz contemporain superlatif avec un ténor très affûté et une prise de risques constante.
Bravo.

  Terri Lyne Carrington, feat. Dianne Reeves et The Mosaic Project

FFP - Dianne Reeves
FFP - Dianne Reeves
Jazz à Vienne 2012

Du jazz et du meilleur, encore. C’était la soirée ! Avec un sextet essentiellement féminin et Dianne Reeves en invitée, Terri Lyne Carrington a démontré qu’un projet bien construit peu être musical avant d’être conceptuel. Certes, ce n’est pas donné à tout le monde et il est bon de le noter avant d’affirmer que ce fut du grand art. Bien sûr la chanteuse de Detroit irradie sur scène au même titre que son amie batteur (j’ai du mal à écrire batteuse). Alors, entre ces deux pôles, les autres musiciens se doivent d’exister par leur talent.
À ce petit jeu, c’est Tia Fuller qui l’a emporté haut la main. Cette fille ne joue pas du saxophone, elle est saxophone. Puissante et inspirée, elle a servi au public quelques unes de ces improvisations organiques qui restent dans les mémoires. À ses côtés, Tineke Postma faisait pâle figure, elle qui pourtant n’est pas une débutante. T.L.Carrington, elle, a tenu son monde avec cette frappe légère et dynamique qui la classe depuis toujours du côté des orfèvres, d’autant plus qu’elle sert des constructions d’une finesse assez rare de nos jours. Quant à Dianne Reeves, elle évolue à un tel niveau d’excellence qu’on ne sait quoi dire de plus. Elle est là et c’est tout ce qui compte.


Vienne, mercredi 11 juillet 2012

Si j’ai bien compris le mail sibyllin que j’ai reçu dans l’après-midi, je faisais partie de dix photographes autorisés à poser mon objectif devant dame Melody Gardot. Alors je n’y suis pas allé car je ne voyais pas comment j’expliquerais à mes collègues interdits de séjour mon attitude anti-corporatiste autant que ce choix étrange. Après tout, je ne suis qu’un auteur-photographe et un chroniqueur de CultureJazz. Et puis, le compère Delorme était là pour le compte-rendu. Alors...
Ceci étant, mes hommages à Stéphane Belmondo qui laisse travailler tout le monde.


Vienne, jeudi 12 juillet 2012

FFP (fotophone Façon public)
FFP (fotophone Façon public)
Jazz à Vienne 2012
FFP - Tea for two
FFP - Tea for two
Jazz à Vienne 2012

J’ai bien compris le mail que j’ai reçu dans l’après-midi. Aujourd’hui, je ne faisais pas partie de dix photographes autorisés à poser mon objectif devant son altesse Hugh Laurie, « Docteur Honoris Housus ». Mais bon, les priorités des uns ne sont pas forcément celles des autres. Alors je n’y suis pas allé car je ne voyais pas comment j’expliquerais à mes collègues dûment badgés ma présence autant que ce non-choix étrange. Après tout, je ne suis qu’un auteur-photographe et un chroniqueur de Culture Jazz...
Ah merde ! Michel est parti pour le sud-ouest. Voyez donc les chroniques de nos amis de Jazz Rhône Alpes pour plus de compte-rendus. Ceci étant, mes salutations à Trombone Shorty qui laisse travailler tout le monde.


Vienne, vendredi 13 juillet 2012

Son altesse
Son altesse
Jazz à Vienne 2012

La météo n’était déjà pas folichonne ces derniers temps et là, il a fallu se taper un vendredi 13. Au bout de la nuit, une question demeure : est-il préférable de prendre sur la tête un bon orage, bien lourd et bien épais, ou est-il plus supportable d’affronter une succession de petites averses durant une dizaine d’heures ? Je n’ai toujours pas la réponse.

Backstage, cette année, je n’étais pas assis sous un chêne mais plutôt à côté Delorme, dit Michel, dit EncycloDico. Cool. Faut dire que j’avais le temps. Étant estampillé photographe (nous sommes tous des fauxtographes, dixit Pascal Derathé) plus que chroniqueur (je ne mélange pas les C avec le point G), j’ai passé quatre-vingt pour cent de mon temps consigné sur l’aire attribuée à la presse comme aux gens d’images fixes à attendre que l’on autorise mon capteur à s’amuser.

Pour une chronique détaillée de cette dernière nuit, voir et lire la chronique de Marceau Brayard (ci-dessous).

.::Yves Dorison: :.


  All Night Jazz vendredi 13 juillet 2012 Jazz à Vienne

Avant que ne débute cette festivité musicale nocturne, le bilan fut présenté par son tout nouveau directeur Stéphane Kochoyan. Le théâtre antique aura reçu 85.000 spectateurs cette saison. Afin de pérenniser l’image du festival le restant de l’année, des concerts seront organisés chaque mois dans différents lieux de la région. Marcus Miller est déjà pressenti pour l’édition 2013. Son désir de protéger le jazz dans cette architecture romaine semble bien vivace et il est certain que nous pouvons compter sur lui après cette 32ème édition.

Le voyage pour les noctambules démarre sous une pluie soutenue. Les trois du Trio Enchant(i)er font office de station de départ. La triade souffle sur les braises pour réchauffer l’assistance. Ils nous mettent sur les rails y allant de leurs poussées juvéniles prolifiques, qui ne tarissent pas d’exclamations. Nos tympans sont à la fête.

Tony Bennett se pointe assorti d’un sourire UltraBrite, nous faisant hésiter sur son origine. Vient-il de « La croisière s’amuse », « Dallas » ou est-il débarqué de « Santa Barbara » ? Cette question restera en suspens pendant tout son chaud show fait de standards de jazz. Mais bon, un gars qui chante « I love you » toutes les trois minutes ne peut pas être un mauvais bougre. Il finira même par être touchant dans ses velléités qui consistent à charmer le public ; en chantant un dernier morceau sans micro. Le Mike Brant des années quarante aura du mal à quitter ceux qui ne se lassaient pas de l’applaudir.

Affiche de Jazz A Vienne 2012 (extrait)
Affiche de Jazz A Vienne 2012 (extrait)
© Jazz à Vienne

Dans le dossier de presse pour nous mettre les papilles gustatives en éveil. Un passage indiquait au sujet de Joe Sample : « …Sample & Crawford : certains noms sont destinés à rester associés dans l’inconscient collectif. C’est ainsi que le pianiste et la chanteuse apparaissent ensemble au cours de l’édition 2009 de Jazz à Vienne. Le répertoire aux effluves tantôt hard bop, tantôt blues de cette soirée mémorable restait alors familier aux amateurs funky des Crusaders 70’s  ». Il doit y avoir quelques rares mythomanes pouvant en parler, d’une assurance réelle. Nous n’avons jamais vu ni Randy Crawford ni Joe Sample cette année-là. Pour la simple raison que le pianiste a eu de gros problèmes de santé. Ils avaient été remplacés par Chaka Khan qui marquait l’esprit collectif, affublée d’une tenue de « Bioman » avec flamboyance au côté de George Duke. L’épine dorsale mémorielle de The Jazz Crusaders rivalise avec le post-bop, le funky jazz et une alternance dans le jazz de la côte Est. Par une section rythmique souple et homogène, la contrebasse de Niklas Sample et la batterie de Doug Belote offrent une vision très proche de celle d’Horace Silver. Wayne Henderson au bugle et au trombone, Wilton Felder au saxophone ténor, poursuivent dans cette même veine suave par moment, puis plus amorcée dans les différentes formules. Nous baignons donc dans un classicisme moderne. Des compositions telle la chanson des Beatles Eleanor Rigby sont la marque d’ouverture au déluge multiforme. Joe Sample joue d’une habilité accrue dans ses démarcations diverses, poussant du blues au hard-funk-bop en grand seigneur. Il allie ainsi plusieurs courants de pensée pour affirmer sa personnalité d’une infinie minutie. Le titre Scratch recèle cet adjuvant Funk & Jazz. The Jazz Crusaders décortiquera cette perle, crucifiant l’aspect sonore avec lequel le groupe sait s’adonner, en variant toujours plus les options permettant de se renouveler. Nous étions au centre de la grande traversée du Jazz messianique de cet été.

Ibrahim Maalouf dès son entrée en scène formule ses impulsions dithyrambiques par le truchement de sa trompette torride à la jactance visionnaire, d’où il fait défiler les notes comme des flèches. Il en ressort une formulation musicale à la phraséologie franche, qui vient se condenser d’impulsions éparses dans des écarts fugitifs et instables. On le sent intrépide dans ses prédispositions accumulées, d’impromptues pesées électriques additionnelles. Dans cette élasticité magnétique, au milieu de ses musiciens, il sait aussi raviser sa puissance instinctive. Le titre Will soon be a woman lui sert à passer vers des formules mélodiquement apaisées. Il nous parlera de ses diverses expériences et des ouvertures qu’il s’autorise. En 2008 il participait à l’enregistrement du dernier album de Georges Moustaki, Solitaire.Ce n’est d’ailleurs pas leurs origines géographiques qui les ont fait se rapprocher sur ce projet. Le chanteur avait bel et bien pris le temps d’écouter ce que ce jeune trompettiste faisait, en s’y intéressant pleinement.

Avec Ninety Miles le jazz est loin de se voir défigurer. Cette formation plante sa base sur des irruptions massives des caraïbes. Il y a énormément d’échanges entre les deux styles qui viennent se pimenter par la féérie instrumentale des uns et des autres. David Sanchez, un remarquable saxophoniste véloce, d’une robustesse charpentée, évolue en toute liberté créative. Il nous a confirmé avoir participé au double album du pianiste brésilien Jovino Santos Neto, Veja O Som See the Sound, qui vit à Seattle. Dans lequel on peut également retrouver Anat Cohen, Paquito d’Rivera, Bill Frisell, Mike Marshall, Airto Moreira. Tous font des duos avec le piano si précieux de Jovino. Ce soir, ils ont su faire basculer les cœurs avec le métronome de la Havane. Nous empêchant de nous assoupir en créant des ruptures novatrices, où s’invitaient des sons éclatants de lueurs tropicales, aux renversements inattendus.

Sandra NKaké en bouquet final avec ses sauts de cigales zélées. Elle dispose d’une gouaille prestissimo qui nous mitraille de titres sans reprendre souffle, d’un talent indéniable pour haranguer la foule et la tirer de sa torpeur matinale. Sa totale ébullition physique tarabuste l’info locale avec une préscience inouïe. Alors que nous attendions son arrivée sur scène, nous sommes gratifiés de nous voir délivrer le Dauphiné Libéré, de tout. Dans la rubrique « Révélations » nous y observons la présence de la chanteuse qui justement va surgir dans les minutes qui suivent. En début de festival elle faisait bien une très courte apparition, mais juste lors du rappel, dans le concert de Blitz The Ambassador. Pas suffisant donc pour en faire une révélation. Bref à force de vouloir coller à l’actualité pour participer au buzz médiatique, on finit par confondre vitesse et précipitation. Pour la dernière formule il y en avait assez sur le tapis.

Pour clore cette traversée très arrosée, de talents, la programmation fut une belle réussite. À six heures du matin il fallait plier bagage. Penser à l’année prochaine et dès à présent, dire 33.

.::Marceau Brayard: :.


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