Musique scintillante pour quintette étoilé.

Le pianiste Kenny Werner est plus préoccupé par sa musique que par son image. Quand il réunit un vrai "all-stars", ce n’est pas par souci de marketing.

> Théâtre de Caen, mardi 23 octobre 2012 - 20h00

Il est toujours intéressant de prendre un peu de distance dans le temps pour comprendre ce qui reste d’un moment de musique vécue l’espace d’un concert.
Le quintet de Kenny Werner laisse un impression forte qui ne s’émousse pas au fil de jours, bien au contraire, un peu comme le nouveau quartet de Dave Holland écouté cet été 2012.

Kenny Werner Quintet à Caen, le 23 octobre 2012.
© CultureJazz.fr

Pourtant on aurait pu craindre a priori que cette formation de passage sur la scène du théâtre de Caen nous fasse le coup du All-Stars en tournée dans la vieille Europe.
Bien au contraire. Cette formation basée sur le trio du pianiste avec rien moins que Scott Colley à la contrebasse et le batteur mexicain Antonio Sanchez augmentée du saxophoniste ténor David Sánchez (portoricain,lui) et du trompettiste Randy Brecker fonctionne comme un vrai groupe soudé et complice.

Dès les premières minutes du concert, on comprend que Kenny Werner donne la priorité à la musique en collectif et non aux éclats individuels. Le piano se fait pointilliste, égrène des bribes de mélodies et l’ensemble s’assemble très progressivement, hors-tempo. Du jazz très ouvert et libre mais non free.
Le saxophone ténor de David Sánchez amorce un riff, rejoint par la trompette et l’ensemble dessine des formes plus structurées où chacun peut prendre pleinement sa part y compris lorsque les uns se taisent pour permettre des échanges plus intimistes.

Kenny Werner à Caen le 23 octobre 2012.
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Antonio Sanchez à Caen le 23 octobre 2012.
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La première partie du concert se déroule ainsi en une longue plage de plus de 30 minutes de musique sans temps morts, toujours captivante, véritablement vivante.
Entre les différents morceaux, Kenny Werner se se perd pas en palabres, préférant se replonger dans la musique qu’il éclaire d’un jeu de piano qui foisonne d’idées sur le plan mélodique et harmonique, un discours savamment construit, tout en nuances.
De lui, Quincy Jones a disait qu’il incarne "La perfection, un esprit ouvert à 360 degrés et de la science dans un seul être humain." et il ajoutait : "Mon genre de musicien.". Ce n’est pas un mince compliment de la part d’un personnage aussi incontournable du jazz.
Kenny Werner est un de ces "musiciens pour musiciens", admiré dans le milieu des acteurs du jazz mais assez peu connu du grand public bien qu’il ait été le complice d’instrumentistes très médiatisés.
Qu’il joue (ou ait joué) en solo ("New-York Love Songs" - OutNote, 2010), en duo avec Toots Thielmans, en trio et dans des grandes formations (Mel Lewis Orchestra dans les années 80, Brussels Jazz Orchestra), Kenny Werner aura toujours suivi son chemin sans compromissions. Un vrai musicien, fier d’une solide culture classique.
Très attaché à la formule du trio, le pianiste-compositeur a trouvé en Scott Colley et Antonio Sanchez, des musiciens à l’esprit ouvert qui comprennent le sens de ses options car ils sont eux-mêmes leaders et attachés autant aux grands courants du jazz qu’aux chemins plus buissonniers.

Scott Colley à Caen le 23 octobre 2012.
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David Sánchez à Caen le 23 octobre 2012.
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L’association des vents fonctionne parfaitement dans ce quintet. Le jeu de Randy Brecker, sa sonorité et son phrasé ont à gagner en rondeur et en sérénité. Bien moins clinquant et véhément qu’à l’époque des Brecker Brothers ou dans ses formations tournées vers le hard-bop, le trompettiste incarne lui aussi une sorte de force tranquille. On est presque étonné de l’entendre ainsi explorer des voies plus libres qui permettent de profiter pleinement de sa sonorité toujours remarquable (on se régale du son du bugle).
David Sánchez, très souriant et détendu dans ce contexte s’implique totalement dans cette musique qu’il éclaire de son jeu de ténor chaud et inspiré qu’on apprécie dans le chant plein de lyrisme de Sada (composition de Kenny Werner). Un grand musicien sans aucun doute dont la présence est très recherchée, à juste titre.

Kenny Werner et Randy Brecker - Cae, 23 octobre 2012.
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Ce fut un concert remarquable, de ceux qui, effectivement, laissent des traces en mémoire et le public nombreux dans le théâtre de Caen a été vite conquis, manifestant chaleureusement son bonheur à la fin du concert.

Le plaisir aurait sans doute été plus grand encore si des problèmes de sonorisation n’avaient pas déséquilibré le son d’ensemble en mettant trop en avant la section rythmique. Un seul sonorisateur en salle pour une formation de ce niveau, est-ce bien raisonnable pour restituer toute la richesse du son et permettre aux musiciens de jouer sans tension ou agacement ? Une double sonorisation salle et retours ne serait sans doute pas du luxe dans ce beau théâtre...


Comme chaque année, Michel Dubourg, conseiller artistique pour le jazz au théâtre de Caen a concocté un programme très alléchant. Outre les rendez-vous réguliers gratuits (Jazz Foyers et Jazz-Café), sont attendus pour la suite de la saison dans la grande salle : Anouar Brahem Quartet le 21/02/2013 et la traditionnelle Nuit du jazz le 15 mars avec Flavio Boltro Quintet, John Scofield’s Organic Trio, La Planche à laver et Franck Enouf Quartet.


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