Dans la Salle 3000 de la Cité Internationale (Lyon), Dee Dee Bridgewater et China Moses rencontraient l’O.S.L. le 14 novembre dernier...
Les concerts de la cité organisaient le 14 novembre dernier, une soirée à la Salle 3000 implantée dans le secteur de la cité internationale, appelé couramment par les lyonnais la cité « Popol » en rapport à la présence de l’organisation internationale Interpol.
Si ce lieu n’a pas toutes les qualités qu’on pourrait attendre de la part d’une salle de spectacle digne de ce nom, elle peut malgré tout comme son nom l’indique, opérer un remplissage de 3000 personnes. Le titre à lui seul montre un certain manque d’imagination, par cette vision quantitative de la musique, qui explique peut-être un peu pourquoi on n’a pas sollicité l’avis d’un musicien pour son élaboration. Autant à l’arrivée qu’à la sortie, des spectateurs trébuchent sur les marches. Celles-ci ont été confectionnées avec, à leur pointe, une lamelle de bois en relief, ce qui facilite les démonstrations acrobatiques. Plus de peur que de mal personne ne finira à l’hôpital. Décidément Lyon n’a jamais été fortiche dans ce genre d’architecture.
La place ne manque pas pour y incorporer l’Orchestre Symphonique Lyonnais dirigé par Philippe Fournier. De simples chansons pour cette circonstance, pudiquement lancées dans le royaume du symphonique orchestral. Concrétisation d’une tradition maintes fois adoptée par les grandes divas du Jazz, que nous aurons d’ailleurs l’opportunité d’entendre ce soir par l’entremise de ce jumelage palpitant. Ce dévouement à aller ainsi s’allonger sur ce genre de divan était certes imprévu de la part de nos deux divinités. Elles en rêvaient juste secrètement avec délectation chacune de son côté.
Dee Dee Bridgewater et China Moses viennent alors partager leur dilection respective pour une série de thèmes, tout en laissant apparaître une grande complicité, qui occupe volontairement une place sans modération dans ce partage scénique. Pour cela elles piochent dans le muid des standards du Jazz que chacune affectionne. Ella Fitzgerald et Billie Holiday pour Dee Dee, Dinah Washington pour China, et bien d’autres encore.
Elles s’écartent même de ce répertoire, pour s’accorder des irruptions dans la chanson française. Avec « La mer » de Charles Trenet chantée justement par la mère, suivie de sa fille qui entonne une chanson d’Edith Piaf des plus noires « La ville inconnue ». China l’interprète avec une profondeur à vous fendre le cœur, en déchirant littéralement chaque mot écrit par Michel Vaucaire : « Dans la ville inconnue, Je pense à toi, Mais toi te souviens-tu, Encore un peu de moi. ». Telle une obsession China aime à se souvenir des chansons qui ont bercé son enfance. Cela reste, chez elle, un accompagnement constructif intime, qui a façonné son identité de chanteuse. Elle dessine sa courbe artistique selon cette destinée de remémoration. Cette constance se retrouve dans ses interprétations, on y voit émerger cette volonté puissante, à la présence obsessive de l’ombre du passé où l’enfance s’émerveille. Il n’y a pas chez elle une soif d’oubli de sa culture profonde. Elle nous en montre abondamment une certaine souvenance passionnée, sans que son chant ne se noue à une pensée morose.
Dans cet exercice on les hume profondément dans une proximité oratoire, avec cet éclectisme de familiarité qui rivalise de clairvoyance, sans que cela ne tourne au radio-crochet ronronnant. Ensemble, elles s’arrogent l’outrecuidance à nous soutenir et à nous prouver du bout des lèvres, que la voix peut-être le plus beau des instruments et que chanter n’en devient pas pour autant un péché mortel.
Devant la multiplicité des divers instrumentistes elles installent leur duo dans un alliage superbement maitrisé. Les voix pèsent sur la sphère harmonique, les entraînant en écharpe dans une allure de paysage en mouvement. La mécanique de l’orchestre est instructive, elle confirme une incontestable qualité musicale par sa mobilité et ses articulations. Philippe Fournier passe des tonalités les plus sombres agréablement construites, aux esquisses frénétiques. Il pousse ainsi son orchestre à la baguette au-dessus d’un état lyrique, en le faisant s’ordonner sur des alignements aux frontières du contrapuntique. Parvenant à s’écarter de tous colifichets inappropriés dans ce genre d’entreprise. Ce chef d’orchestre a vraiment une personnalité autant généreuse que chaleureuse pour s’immerger et s’exalter dans un éclairage jazz sans le moindre embarras.
Et puis ce qu’il y a de plus précieux c’est ce rapprochement entre les musiciens et les deux vocalistes, la réciproque reconnaissance des uns vis-à-vis des autres. Par ces affinités et ce voisinage qu’ils partagent, nous nous sentons en pleine filiation harmonieuse avec eux.
Soirée de choix où l’approbation ne peut rester abstraite, dans le sens où l’on ne peut reprocher à ce moment musical de l’être trop. L’habilité de l’orchestre a justement cette humeur à se faire admettre des voix qui s’entremêlèrent à plein poumon, avec son ossature infaillible.
À la sortie de ce marathon China écrira « Je viens de vivre la plus belle soirée de ma vie ». De notre côté au fond de nous-même nous fredonnions tous cet air : « Nuits de Chine, Nuits câlines… ».
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