Ça joue.

Le 22 avril au soir, la petite mais chaleureuse salle de la Dynamo de Pantin s’est emplie presque à ras bord pour venir écouter sur scène le batteur Daniel Humair, la mine enjouée, et son dernier quartette en date – le New Reunion – qui rassemble le saxophoniste Émile Parisien, l’accordéoniste Vincent Peirani et, pour l’occasion, le contrebassiste Ivan Gélugne.

Dans la lignée de son Baby Boom – précédent quintette fondé avec d’anciens élèves du CNSM, au sein duquel il finira par intégrer Peirani – Humair se place définitivement en figure paternelle du jazz français, en quête d’une manière sinon nouvelle de jouer le jazz de maintenant, tout au moins rajeunie et renouvelée, à la recherche d’une fraîche virtuosité. Figure paternelle, donc, et non paternaliste, ou moins encore jeuniste. Le résultat de cette démarche intergénérationnelle se révèle être un modèle de complicité et de respect musical et humain réciproquement partagé.

Daniel HUMAIR – PARISIEN – REGARD – PEIRANI : "Sweet & Sour"
Label Laborie / distribution Abeille Musique

Sur un répertoire composé des morceaux du disque (Sweet & Sour, 2012), la Machine Humair se déploie au cours de la prestation : bien au fond du temps et procurant pourtant cette sensation de fuite vers l’avant, sa percussion coloriste et énergique est un appel à l’interaction. Une synthèse de la batterie « moderne » en somme, mêlant bruitisme, bruissement free, polyrythmie et « ligne claire » à la Max Roach.

Il nous a d’ailleurs paru qu’Humair a souhaité retrouver avec ce groupe une esthétique de la liberté contrôlée qu’on peut entendre dans le quartette d’Émile Parisien – liberté qu’on croyait spécifique au style collectif du groupe, mais qui tient peut-être plus, finalement, d’une stylistique propre à l’anti-leadership détourné et au génie du saxophoniste. Notamment, s’il ne fallait ne donner que quelques éléments, cet antagonisme fort entre, d’une part, le jeu sur les arrêts, les syncopes et les vitesses, et de l’autre, un panel élargi de contrastes dynamiques et de nuances (nous pensons à ces effets de descente vers le pianissimo tout en conservant l’intensité mélodique du discours qui produisent une tension inouïe). On ne citera pas les régulières envolées crescendo de l’ensemble aboutissant à d’efficaces tutti musclés et improvisés dignes du meilleur jazz moderne, le tout bien souvent emmené par la fougue alambiquée et « multi-timbrée » de Parisien. De jazz ou non, il la mérite, sa victoire.

L’accordéoniste Vincent Peirani, « nouveau » talent lui-aussi plus qu’affirmé, apporte son lot de compositions affriolantes et à propos. Bien que chacune de ses interventions tienne du génie, on préférera à ses interludes chantés les inventions dissonantes triturant les mélodies les plus naturelles, ou simplement son habileté d’accompagnateur-improvisateur dans le rôle d’instrument harmonique de l’orchestre.

Quant à Ivan Gélugne (contrebassiste de l’Émile Parisien Quartet) s’il paraissait plus que les autres le nez dans le pupitre, c’est simplement parce qu’il remplaçait au pied levé l’habituel contrebassiste Jérôme Regard. Certes, il connaît la musique (il a participé à trois concerts du quartette en deux ans) mais il est arrivé ce soir sans aucune répétition ! Chapeau.

Cet actuel groupe de Daniel Humair illustre à point nommé les différents sens du terme « jouer » du jazz (ou simplement de la musique). Il faut voir comment le batteur regarde ses « protégés » avec un sourire jusqu’aux oreilles durant le set. Ces quatre-là ont joué comme on s’amuse. Ce qui rend la chose communicative, indéniablement. Allons même plus loin : ils s’amusent avec un telle maîtrise qu’au-delà de jouer du jazz, ils donnent cette agréable impression de se jouer du jazz. Bref, ce qu’on veut simplement dire, c’est que le Daniel Humair New Quartet : ça joue.

Et comme nous l’a dit Émile à la fin du concert, humble, détaché : ce groupe, c’est simplement du plaisir, on s’éclate. On veut bien le croire : on s’est éclaté nous aussi. Mais créer, partager et communiquer dans un même geste un plaisir musical de ce niveau, croyez-nous, ça n’est pas à la portée de tout le monde.

> La Dynamo, Pantin, Banlieues Bleues, lundi 22 avril 2013, Daniel Humair (batterie), Émile Parisien (saxophone soprano et ténor), Vincent Peirani (accordéon), Ivan Gélugne (contrebasse).


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