Festival de Francheville (69) le samedi 8 juin 2013.

Nous sommes accueillis et non pas cueillis par les souliers à clous qui nous indiquent l’endroit où l’on doit se garer dans un immense parking désertique où les places ne font pas défaut.
À quelques semaines de l’hommage qui sera rendu à Léo Ferré pour célébrer les vingt ans de sa disparition, cette scène nous renvoie à un texte bien précis : « Les flics du détersif vous indiqueront la case où il vous sera loisible de laver ce que vous croyez être votre conscience et qui n´est qu´une dépendance de l´ordinateur neurophile qui vous sert de cerveau. Et pourtant...La solitude... ».
La solitude justement Bojan Z va y être assujetti quatre-vingt minutes durant, devant ses claviers. Une solitude qui s’accomplit avec cette essence où il se doit d’avancer avec armes et bagages. Cet exercice requiert une indépendance d’esprit qui n’est pas accessible à tous. Lui ne s’engage pas sur un versant de déraciné, ni à la recherche des origines perdues à jamais retrouvées. Son ressort interne ne se conçoit pas de cet aspect structurel bien au contraire. Il fait sienne cette expérience de voyageur qui lui transmet des influences aux colorations prodigieusement expansives.

À son arrivée, il viendra s’approprier la matière en palpant celui qui prend le plus de place avec sa forme longitudinale. Il en extirpera des bruitages rythmiques des sons de cordes frictionnées. Une sorte de cérémonial auquel il se consacrait déjà dès le premier morceau « Fingering » de son album solo inoubliable « Solobsession ».
Son breuvage évoque ensuite toute une série de pièces choisies de son nouvel album solo « Soul Shelter », imprégnées de substances essentielles à la révélation des profondeurs pianistiques. Faisant s’entrecroiser par instants les instruments, à main droite l’électrique à main gauche l’acoustique.
Toutes les portes de la compréhension sont alors entrouvertes pour laisser échapper des dialogues langagiers aux multiples itinéraires. L’œil émerillonné observe les trajectoires les transitions de cette potentielle rivalité, où il organise un va et vient. Il s’y place alors à l’entre deux, entre les deux, puisant à partir de là son fond propre, qui le fait se hisser au-dessus des sensations aspirantes de la musique. Il provoque depuis son espace quasiment stratégique ce discours sans paroles, qui relie les deux mains, pourtant écartées l’une de l’autre, en état de monstration horizontale. Se débattant entre deux langages il opère un voisinage dans une lutte où il semble se dépasser à lui-même.

Ce qui subsiste à l’intérieur de son phrasé c’est aussi la profondeur des révélations familiales sur les traces desquelles il vient se souvenir d’une romance hongroise « Le favori du papa » que jouait son père. Il cherche à cet instant ce qui s’est éclipsé dans le temps au fil des années. Il a la grâce de ne pas s’y perdre, en alignant une volonté de pure acuité. La tonalité tragiquement tourmentée s’y développe pour laisser place à sa part de jazz.

Il s’affranchira en guise de conclusion d’une interprétation du Duke « On a Turquoise Cloud  ». Mélodie contenu au premier bruissement, pour ensuite s’échapper sur des allures dévorantes qui ne peuvent qu’exulter chez un instrumentiste de cette envergure.

Il se trouve une proximité avec cette noble appellation «  gens du voyage » qui lui parle plus qu’à tout autre. S’il aime son pays, la Serbie, il n’en revendique pas pour autant un nationalisme exacerbé. Loin de lui cette notion presque offensante qui le conduirait à s’enfermer dans des petites chapelles poussiéreuses alors qu’il intériorise des avancées devant son instrument, le cœur pleinement ouvert en direction des formes variées, découpées par des origines multiples dont il s’inspire continuellement. Au détour de cette constatation il pourrait aisément partager ce poème de jeunesse écrit par Nietzsche : « Personne n’a le droit de m’interroger où est ma patrie, je ne suis lié ni à l’espace ni aux heures qui passent. »

Ainsi parlait Zulfikarpasic, Fort en bras, Fort en thème, Fort en Jazz !


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