En résidence à l’Amphi de l’Opéra de Lyon en décembre 2013...

Le saxophoniste britannique Andy Sheppard était en résidence à l’Amphi de l’Opéra de Lyon les 5, 6 & 7 décembre 2013. Yves Dorison nous avait livré son écho de l’événement (lire ici) ; Marceau Brayard y revient quelques semaines plus tard...

Nous avons terminé l’année 2013 à l’Amphi de l’opéra avec la Résidence d’Andy Sheppard les 5, 6 & 7 décembre.

Ces trois jours tombaient au beau milieu d’un piège à touriste qui au lieu de s’effectuer comme à son origine juste le 8 décembre, venait s’étaler sur quatre soirées qui rivalisaient de feux follets en perdition commerciale. Il était utile de s’en écarter, ça préfigurait le besoin de se placer en retrait pour aller recevoir la leçon de sagesse dont Andy allait s’accommoder avec ses lenteurs aux senteurs harmonieuses, en passant par le filtre de son instrument divulgateur de méditation sonore. Cette sorte de pensée naissante, il l’accumule en s’avançant jusqu’au seuil de la torpeur sans y résider ni s’y installer. Ce climat vous enserre de voluptés profondes où s’installe un voyage intérieur qu’il laisse fuiter continuellement de ses saxophones. Ceux-ci tracent une voie laissant peu de place aux ramifications abstraites. Cela en devient presque une leçon d’anatomie du désir assouvi, mise en éveil sous les poussées respiratoires du ténor et du soprano, aux pensées sensibles enveloppant une part d’ombre. Les titres composés expliquent aussi l’état d’esprit intérieur qu’il souhaite impulser. Ce morceau "Silence dans le coin" évoque celui que l’élève doit respecter à la suite d’une punition. Ou "Duvet triste" qui relie à l’impossibilité du silence profond. Ce choix n’est pas le fruit du hasard et colle complètement à ce qui s’y décline musicalement.

Andy Sheppard - Lyon, décembre 2013
© Marceau Brayard
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Eivind Aarset - Lyon, décembre 2013
© Marceau Brayard
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> Jeudi 5 décembre 2013.

Le premier à venir se frotter à ses cuivres sera le guitariste norvégien Eivind Aarset qui apparaît armé jusqu’aux dents de boîtiers électroniques. Sa guitare propulse des sonorités d’effluves qui y transpirent un calme suréminent. Dans ce duo, ils n’ont pas la terrible impatiente en eux, mais une certaine complémentarité polaire y règne. Ils campent sur des registres qui convoquent en nous le désir d’asseoir nos pensées à des rêveries dans d’insolites jardins clos où la nature se fait sauvage loin des fureurs de la ville.

Le boîtiers d’effets d’Eivind Aarset.
© Marceau Brayard
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Rita Marcotulli rejoindra ce duo pour notre plus grand plaisir. Nous manquons sur la région lyonnaise de pianistes qui ont cette aisance de ton et l’envergure profonde ainsi dévoilée intimement.
Elle n’a pas peur non plus de casser la baraque s’il faut trancher dans le vif les mélodies trop proprettes. Sa fureur jazz l’entraîne à casser les codes vestimentaires de "Spiritual" composé par Josh Haden. Elle en joue et elle s’en amuse ne voulant surtout pas s’endormir devant son clavier héroïque. Le jazz ne s’anoblit pas en restant campé sur des formules pures et parfaites ne débordant pas un tantinet de son calice de fortune. Elle a ce feu en elle et cela est d’autant plus délectable quand elle provoque la césure. C’est sûrement ce qui n’inquiète pas Andy Sheppard qui vient plutôt inciter chez elle ce séduisant scintillement.

Rita Marcotulli - Lyon, décembre 2013
© Marceau Brayard
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Michel Benita - Lyon, décembre 2013
© Marceau Brayard
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> Vendredi 6 décembre 2013.

Le Trio Libero du saxophoniste est composé du contrebassiste Michel Benita et du batteur Sebastian Rochford installé à Londres là où Andy Sheppard l’a rencontré dans un club anglais. Il est rapidement tombé sous le charme de ce musicien qui a en quelque sorte réinventé la dimension rythmique de cet instrument. Si lors de cette soirée il sera confiné à respecter le cadre de la réunion, il faut aller écouter ses compositions qu’il joue au sein de son groupe Polar Bear. Il a su alimenter très intelligemment un mélange savamment dosé d’une touche de rock atténuée sous l’emprise du jazz.
Le trio invitera le guitariste à partager leurs envolées narratives.
En substantifiant l’enlèvement par le contenu qu’ils lui apportent, la bande des quatre fantastiques s’arrogera des beaux développements dans un médium d’illumination. Les agrégats qu’ils déclencheront, donneront du sens disparate au récit fuyant dans ce labyrinthe d’une homologie profondément renversante par sa surface de sérénité entre le calme du geste et ce qui s’y produit dans sa veine. Dans une grande stylistique qui ne connaîtra aucune fissure tout au long des descriptions entourés de petites atmosphères promptement imaginées dans la clairvoyance du moment. Cette pureté exploitant à son maximum la minimisation ultime qui en impose par sa facilité apparente. Ils font vite circuler à l’intérieur du cercle de l’Amphi cet état de bonheur éveillé, sans y projeter une production figée. Cette conséquence perspective ne déclenche nullement une insatisfaction chez le spectateur. Ce lien se construit avec finesse, en communiquant en cœur une soudaineté aérienne au déroulement choral. Au terme des fresques qu’ils inaugurent ensemble, ils drainent cette part de songe qu’ils diffusent par une complète filiation d’esprit.

Sebastian Rochford - Lyon, décembre 2013
© Marceau Brayard
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Jean-Louis Matinier - Lyon, décembre 2013
© Marceau Brayard
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> Samedi 7 décembre 2013.

Si Andy Sheppard a la pulsion jazz, son partenaire de duo Jean-Louis Martinier semble l’avoir égarée quelque part pendant le voyage qui le conduisait jusqu’à nous. Puisqu’il fut au jazz ce que l’accordéon est à la machine à écrire. À court d’inspiration il tombera dans tous les stéréotypes éculés, parvenant juste à faire illusion désespérément. Jouant sur le clapotis des touches de son piano à bretelle, ou en appuyant exagérément sur la pointe aiguë de celui-ci afin de le faire siffler abondamment. Le problème est que ça fait du volume comme la barbe à papa mais ça provoque un piètre résultat. Cela sonne faux non seulement parce que c’est du déjà vu caricatural et surtout c’est fort mal accompli. Tout ça en mâtant sa partition telle une feuille de route sur son GPS. Avec une certaine gêne le saxophoniste laissera même échapper cette phrase qui résonnait tel un aveu cruel : « …ça fait 50 ans qu’on a pas joué ensemble… ».
Dommage que le coéquipier ne soit pas à la hauteur du saxophoniste qui, ce soir-là, poussait sa verve à son apogée. Son inspiration bien présente le faisait se débattre pour ne pas se laisser enclaver ni même enfermer dans les médiocrités où l’accordéoniste tentait de le plonger. Ce fut même tout le contraire il en devenait hymnique tellement il luttait face au roucoulement de son voisin de scène. Son saxophone dévorait les notes les unes après les autres sous l’emprise d’une réelle faim à émettre de la rupture décomplexée sur une posture fiévreuse.
Grâce à lui, on ne peut pas dire qu’il s’agissait du concert de trop. Ce résultat démontrait qu’il aurait été judicieux pour finir en beauté de nous retrouver en présence de Carla Bley ou de Paolo Fresu. Ils sont tous deux coutumiers à évoluer avec lui en créant de ravissants échanges de confrontations robustes. Pour clôturer l’année cela aurait eu une belle gueule, c’eut été un fabuleux cadeau de Noël, mais ça c’est sûrement encore un rêve de gone !


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