Journal de bord

Pour sa 35ème édition, l’EuropaJazz Festival a investi 55 lieux différents, 36 villes, 6 départements entre 15 mars et le 11 mai 2014 (avec un postlude le 16 mai).
Alain Gauthier a suivi le "final" pour CultureJazz.fr entre le 7 et le 10 mai dans la ville du Mans.
Journal de bord...

7 mai

La Collégiale Saint-Pierre retrouve son public pour le final de l’EuropaJazz 2014 avec en ouverture, Five 38, Fanny LAFARGUES, guitare et petites machines électroniques et Rafaelle RINAUDO, harpe électrique et bidouilles électroniques.
Ahkouahhhh ? Un concert électrique-plugged, dans ce lieu dédié aux exploits acoustiques ? Pour ses 35 ans, l’EuropaJazz se lâche dans des turpitudes non sponsorisées par AREVA ?
Le premier morceau, de Madame Rinaudo, nous met tout de suite dans l’ambiance : musique industrielle (gros son, petites machines à enregistrer et reproduire différentes séquences rythmiques et mélodiques) suivi d’une douce mélodie à la harpe, il y aurait même quelques accords majeurs tout simples et de courtes séquences de notes conjointes : fa-sol-la...
Puis grand clin d’oreille à Brian ENO avec une tranche de musique planante avant du gros son violent suivi d’une bluette répétitive, ce qui serait comme enchaîner la lecture de La Belle Vie de Matthew Stokoe avec un roman à l’eau de vieux rose ( « Escapade au paradis » ).
Une question se pose alors : quand c’est que ça s’arrête ? Parce que ces musiques sans couplet ni refrain, sans thème ni pont, hein ? Oucétikélafin ? On coupe le courant ? Non, elles se regardent et hop : game over. Ned Ludd doit se retourner dans sa tombe en entendant ces petites machines fabriquer des riffs sans musicien.
Le fantôme de Tangerine Dream fait un tour entre une ligne de basse façon gros rock de voyou et la harpe légère comme une cuisse racée de nymphe émue. Gattaz se marre : « Des petites machines au lieu de petites personnes, j’adore ». Son DRH ajoute : « pourquoi vous faites à deux ce que vous pourriez faire en solo ? »
Alors, quoi d’neuf docteur ? Des ostinati dans des machines électroniques, du courant, des noires et des croches, de la récup’ de vide greniers. L’obsolescence prématurée, tout est vieux avant que d’être....

La fonderie

Théo CECCALDI Trio

L’intro écrite, limite savante, comme pour un trio de cordes qui ne rigole pas tous les jours, Théo CECCALDI au violon, Valentin CECCALDI au violoncelle et Guillaume AKNINE aux guitares électrique et sèche, l’intro donc est perturbée par le rock dense et secoué qui s’échappe par la porte entrebaillée de la chambre de ce putain d’ado incontrôlable, là-bas au fond du couloir. Ils reprennent le cours de cette pièce sérieuse et bis repetita et ter repetita.
La scène est campée : nous entendrons une musique de collisions et une collision de musiques. Outre le goût pour la belle ouvrage, l’usage immodéré et bienvenu du silence, de l’air alentour, de la respiration des sons quand les mains ont lâché les instruments, donnent à ce trio une épaisseur légère qui dépasse largement ses limites corporelles. ÇA vibre.
Une pièce qui sonne comme un blues hongrois ( hongrois que c’est un blues mais non ) avec un solo trompeur de guitare et cette dernière pièce avant le rappel « Pruneau sur le gâteau » qui nous emmène dans un saloon. On sent les mollets gigoter à l’invitation de cette square dance et les filles, appuyées au bar s’apprêtent à remonter leurs robes à froufrous au-dessus de la limite de flottaison. Mais non, c’était un rêve et de fils en aiguilles, nous voyageons-errons-et rond petit patapon dans un flot d’idées musicales jusqu’au bouquet final.
C’est déjà fini, on a à peine eu le temps de tester le mœlleux dur du banc. Bravo les mecs.

À l’abbaye de l’Épau

Les amants de Juliette avec Serge ADAM, trompette, Benoît DELBECQ, piano préparé, Philippe FOCH, tablas et percussions. Un débat de voisins s’ouvre dés la fin du concert. L’un dit «  Musique Xanax », l’autre « Musique savante », et le troisième assure : « Juliette a de la chance qu’ils soient trois sinon, elle ne prendrait pas son pied tous les jours ».
Allez vous faire une opinion : ces gars-là génèrent et font coexister tous les points de vue.

Henri TEXIER Quintet : Skydancers

Monsieur Henri, en pantalon rouge et coiffé d’une délicieux bonnet fleuri ( la fleur au-dessus de son troisième œil !!! ) affiche la mine réjouie du gars pas mécontent d’être là et d’en rajouter une couche à sa biojazzlife que d’aucuns seraient ravis d’imiter.
Nouveau quintet et nouveau programme parce qu’en mai, te fais pas chier !!!
Donc le Henri à la contrebasse, Sébastien TEXIER au sax alto et clarinettes, Nguyen Lê à la guitare, Louis MOUTIN à la batterie et Armel DUPAS au piano.
Commencer par la fin : un rappel frénétique demandé par le public enchanté.

Ce quintet en première mondiale et galactique tourne comme une formation américaine : on fait le job comme on a dit !!! Exposé du thème, suite de chorus, retour au thème, applaudissements, nouveau thème. Ce qui n’est pas sans rappeler, au même endroit il y a quelques années, Dave Holland et son quintet ( Potter, Eubanks, …. ) et l’année passée Joshua Redman. Donc du boulot de pro. Mais pas que.
Si les tempi fétiches ( un tempo-des tempi, un lavabo-des... ) de Henri sonnent ici et là, les pièces s’enchaînent dans une grande variété de propositions. Louis MOUTIN ne la joue pas forgeron énervé et, merci, ne couvre pas le jeu de ses partenaires du rugissement de ses fûts. Il écoute, souligne, relance, anticipe et nous offre quelques chorus si secoués qu’on pourrait craindre pour sa santé !!!
Derrière l’hommage aux amérindiens, il y a cette poignée de mecs qui au bout de deux ou trois morceaux, entre dans une autre dimension musicale. Une qualité émergente. Le morceau Hopi, introduit au piano solo en est la marque. Aérien, poétique, plein. La clarinette vient en enchanter le thème délicieux.
Clouds warrior, Nathana, He was just shining, Dakota Mab, Mic Mac, etc.... Le set défile hors du temps. Plaisir, beauté.
Armel DUPAS, épatant, se montre élégant, mesuré, dans un dialogue soutenu avec Louis MOUTIN, Nguyen Lê comme une évidence, le fiston pas du tout fils de. Et Monsieur Henri qui ne lâche pas le manche.
Comme le font les amérindiens devant la beauté du monde, nous nous inclinons.

8 mai

À la Collégiale

Guillaume ROY, violon alto, introduit son solo :
« Je vais improviser librement ( comprendre qu’il improvisera sans aucune contrainte ). Comme si je jouais en écrivant devant vous ou que c’était écrit depuis longtemps... j’ai préparé des choses.... je ne vais pas tout jouer.... je vais jouer aussi des choses que je n’ai pas préparées.... ». Improviser librement donc.
L’intro, sombre, calme et courte, fait glisser une onde lente sous la fourrure du chat virtuel et immobile qui squatte un coin de la scène. Un siamois Black Point. Appelons-le Aldébaran.
Venu d’ailleurs, un son emprunte à la vielle à roue son rythme déséquilibré, comme si le vielleux accélérait ici et ralentissait là en pratiquant résolu des logiques non linéaires. Une ambiance de château moyen-âgeux, une basse continue, un chant qui plane au-dessus. Et nous en suspension. Impossible d’entendre si le chat ronronne.
Un homme, son violon, son souffle ( pneuma, chi ). RIEN d’autre.
Le chat sort une griffe négligente qui gratouille le tissu moiré sur lequel il gît, ça l’énerve cette façon de le déranger, jusqu’au coup de patte final : scratch !!!

L’archet dessine des orbes ovoïdes, court en rond, en long. Sons chuintés, mélodie en soie sauvage, frotti-frotta derrière les oreilles d’Aldébaran qui n’en dit mais. Mais, mais, les oreilles en arrière et la queue qui fouette, le chat la ramène.
De grands gestes pour lancer dans les cintres une pelote de sons qui ricochent d’arcs en arcs.
Le chat s’en fout, j’suis pas un chien qu’il se dit.
Et une dernière anecdote en forme de suite d’accords qui nous révèle qu’un homme seul peut remplacer un quatuor. Gattaz exulte : moins de salaires, plus de dividendes !!!
Le chat se rendort, grosse flaque de poils vautrée là.
Rappel minimaliste : huit notes, autant de silences.
Incroyable : les yeux fermés, le matou sourit.
Concert de référence.

À l’Abbaye

François CORNELOUP quartet  :
Lui au sax baryton, Henri TEXIER à la contrebasse Maxime DELPIERRE à la guitare, JL BATES à la batterie.
Faut être vraiment gonflé non seulement pour « exploiter » les musiques de Henri TEXIER dans une relecture des traces et mémoires embarquées depuis trente années mais aussi pour l’inviter à se re-jouer autrement. Dés les premières secondes, Bates, c’est une évidence, va se montrer d’une délicatesse délicieuse. Toucher léger, suggestions ici et là, discrétion sans disparaître, le mec qu’on oublie tant il est présent.
Ça commence tout simple, Corneloup y va d’un chorus monstrueux. Monstrueux ? On oublie ses prédécesseurs et on goûte le son, les idées, la virtuosité, la générosité du souffleur.
Un second thème où la petite musique de Henri se fait entendre. Une structure narrative du genre non pas « il était une fois » mais plutôt :
- Tu sais pas la dernière ?
- Ah mais non, pas du tout, raconte.
- Figure-toi que ….
- Non ? Ah ben alors...
- Tu vois, je te l’avais dit...
Puis le tempo pépère se prend un coup d’amphètes et blam : fois deux plus vite. Encore un chorus monstrueux de Corneloup un peu écrabouillé par la basse et la guitare. Là où Texier apporte un récit construit, Corneloup glisse des espaces de libertés foutraques où tout peut arriver. Tiens par exemple : trois chorus simultanés sans lui. On fricote avec l’Art Ensemble de Chicago et la saturation du système auditif naturel ( ceux qui font dans l’aide électronique peuvent débrancher leur matos). Un voisin dit, au retour de Corneloup : il va remettre de l’ordre dans ce bordel !!! Bien vu.
Et Corneloup ajoute aussi cette manière d’épuiser l’idée au-delà de la trame. Au-delà de la trame, la transe ad libitum.
Pour terminer, une jolie construction Corneloup-Texier, chacun continuant le chemin de l’autre.
C’est plein d’amour et d’amitié, cette histoire d’hommes à travers le temps qui passe.

En écoutant le duo guitare-accordéon sur fond de rillettes du Mans et petit muscadet pendant la longue pause servant à promouvoir la consommation des produit locaux, d’aucuns se disent : passer d’un quartet à un duo ? Mieux vaut ne pas s’asseoir trop loin de la sortie pour se tirer sans gêner.
Ben fume, Anthune !!! Scotchés à nos chaises qu’on a été pendant une heure et demie. Deux mecs tranquillous de chez tranquillous. Kenny BARON au piano et Dave HOLLAND à la contrebasse.
Petite tape du pied du pianiste : et 1 et 2 et 1-2-3-4 et hop !!!! Ils démarrent genre mettons-nous en jambes avec un peu de fitness des doigts. Thème, rethème, chorus du pianiste : 53 grilles, chorus du bassiste : autant. Sans se jeter un coup d’œil. Holland accentue deux notes en fin de chorus et ça roule : retour au thème.
Ces mecs sont installés pour la nuit. On se croirait dans le roman de Walter Trevis quand Minnesota Fats blouse les boules du billard deux nuits d’affilée.

Un petit tour chez Charlie Parker avec Segment. Ces mecs groovent terrible. Comment rester insensible au rythme, à l’enchaînement des propositions ? Ça coule tout seul, et histoire de pas endormir le populo, ces mecs évitent les routines : ils jouent une musique en relief !!! Le 4/4 devient une joute où chacun tente de surprendre l’autre. Mélodie, rythme, arpèges à l’endroit, à l’envers, modes, gammes..... Pffff, comme l’exposé d’un mec qui commence par « quand j’étais petit, il y a deux cent ans.... ».
Bon, d’accord, ils nous ont resservi ici et là quelques phrases et quelques clichés mais ils ont aussi revisité avec élégance leurs propres idées.
Il bruine, il fait doux, pourquoi s’arrêtent-ils de si bonne heure ? La nuit est encore jeune....

9 mai

À la Fonderie

MAAÏ trio composé de Patrick CHARNOIS aux sax alto et baryton, Matthieu NAULLEAU au piano augmenté et Franck VAILLANT à la batterie.
Première prestation de leur projet et ça sent le jeune comme on le dit de la peinture à peine sèche. Les deux premiers morceaux ( 169 BPM et De Noël à Pâques ) leur servent d’échauffement et de passerelle pour entrer dans l’événement car ou c’est la balance ou c’est l’écriture : on ne saisit pas grand chose du propos mêlé, ils parlent tous ensemble et pas moyen d’isoler le solo du baryton.
Pitell ( autour de l’imaginaire enfantin ) s’ouvre par une jolie intro au piano qui sonne claire et juste, un aussi simple solo du sax et voilà : une fin tout aussi simple. La prestation devient de plus en plus goûteuse avec Thomothé ( des soli clairs et audibles ) et enfin Groovy qui pète le feu.
Jeune trio qui n’a pas encore appliqué à sa musique le conseil que Stephen KING donne aux écrivains débutants : supprimez tous les mots inutiles !!!

À l’Abbaye

Trio Barre PILLIPS, John SURMAN et Tony BUCK

Balance parfaite pour ce trio où chaque instrument sonne seul et ensemble. Pourquoi pas tous les soirs une balance de cette qualité, en voilà une vraie question quotidienne.

Un premier morceau total impro, on s’écoute, on se renifle, oùcékjemémongrindsable ? Et la question récurrente : kancékonsarêt’.
Une seconde pièce avec un semblant de thème lancé par Barre, un truc sombre : une forêt de séquoias si hauts que la lumière ne perce pas la canopée, un sabbat de sorcières. Le thème lancé par Surman au sax soprano, ne serait-ce pas le petit chaperon rouge ? Perdu dans la forêt profonde comme une poche trouée ? Surman dans un bel exercice de respiration circulaire, nous conte (oui, il nous raconte une histoire) sa fuite à donf, les branches basses qui lui accrochent la robe, les épines (là, le psy de service travaille à élucider les sous-entendus : l’épine ? ) la griffent, maman !!!

Alors la contrebasse-loup entame une valse séduisante et trompeuse « où es-tu petite fille ? ». Mais le soprano qui joue maintenant la mère-grand, fait pleurer le méchant loup qui craque, remballe sa bite et son hachoir et promet de devenir végétarien. Plus jamais de kebab de petite fille !!!
BUCK enchaîne dans un tintamarre de métal frappé-frotté-secoué, il est rejoint par la contrebasse. Ces mecs déménagent, oui, ils déménagent un garage emplis de vieilleries qu’on garde en se disant j’le jette pas, un jour ça m’servira...
Puis le sax soprano :
- Ben vous faites quoi ? Vous déménagez ?
- Et où on va mettre tout ça ? À la déchetterie ? Au coin de la rue là-bas ?
Ça y est, c’est décidé, ils y vont et ça ne traîne pas sur la route pavée. La cargaison tressaute et brinqueballe.
Oh misère, la voiture a versé !!! Plaies et bosses.
On recharge ou on se tire ?
On recharge en roulant.
John SURMAN attrape une flûte à bec et nous emmène tout droit au Japon. Sa flûte se fait shakuhashi. Il est question de cerisiers en fleurs, de Basho, de tofu, du bruit de la neige qui tombe, du désespoir post fukushimesque, de gais chats. Avec sa basse-koto, Barre lui répond : samourail, sony, hendcher.
Ces galopins ont l’air réjoui -quarante ans ont filé depuis leur première fois- de nous jouer une musique d’aujourd’hui.

Dave DOUGLAS-Uri CAINE Duo

Après les septuagénaires d’hier soir ( sauf le jeunot Burck... ), place aux quinquas. Uri CAINE au piano et Dave DOUGLAS à la trompette. Le leader incontesté c’est le trompettiste que le pianiste sert avec beaucoup d’humilité. Humour, causette en français, champ lexical pas négligeable. Merci.
Pour les histoires on repassera. Concert propre, sans bavures. On a échappé à une resucée de l’Ibrahim Maalouf. Mais ils nous racontent rien, les mecs. Y’a bien CAINE qui, lors de trop rares chorus, dévoile quelques éclats de sa maestria furiosa. Sinon ? Faites-nous rêver !!! Pas le moindre petit chaperon rouge à se mettre sous les dents, aucun petit cochon à passer sur le grill ni de Barbe bleue qui joue serial killer. Il reste les tartines aux rillettes. Du Mans.

10 mai

La Fonderie remplace la Collégiale à l’heure de l’apéro : si à 35 ans, on ne peut pas faire ce qu’on veut et changer ses petites habitudes routinières, alors quand ?

Paul Rodgers’Whahay « Autour de Charles Mingus » avec lui_même et sa contrebasse à sept cordes ( au moins... ) Robin FINCKER au sax ténor et à la clarinette en tôle, Fabin DUSCOMBS à la batterie.
Histoire de nous mettre l’eau à la bouche, ils commencent par un must de Mingus juste assez court pour nous faire tirer la langue et réclamer : mais après ???? Qu’est-ce qui vient après ????
Autant le dire tout de suite, ces trois hommes occupent le terrain et n’ont pas de question existentielle du genre où on s’installe qui prend le premier chorus et la fin, on reprend le thème ? Ce qui préside à leur jeu collectif, c’est un impératif de concision. Quand on n’a rien à dire, on ferme sa gueule !!!! Le Fincker prend son temps, envoie une phrase, se tait, le temps de peaufiner la suivante, ou pas.
Leur concert ressemble à un décor de cinéma vu du camion grue rangé sur un terre plein éloigné. Et qu’est-ce qu’on voit ? La rue principale et les façades en contreplaqué avec leurs contreforts en bois brut. Eux trois, arrachent une planche du décor, elle porte un titre en partie effacé, Hora Decubitus, Fables of Faubus, Better Get in Your Soul, Nostalgia in Times Square, Pithecantrops Erectus... Ils piochent dedans, une phrase par ci, un bout du thème par là. Mingus doit se marrer en se souvenant qu’en 1956, quand il crée Pithecanthropus Erectus les français écoutent en boucle Méditerranée de Tino Rossi. Bonjour la secousse esthétique !!!
2014, ces trois mecs envoient sa musique avec le même culot que lui il y a soixante ans et dérangent autant que lui. Pas sûr d’en jouir souvent dans les étranges lucarnes.
Et ce rappel somptueux : Goodbye Porkpie Hat, joué droit à l’os, sans aucun ajout, à la clarinette, sur fond des gestes doux du bassiste et du batteur.

Sylvie COURVOISIER et Mark FELDMAN Duo

« J’ai choisi ce duo pour ceux qui n’aiment pas le jazz » annonce Armand Meignan, le taulier perpétuel du festival. (Oui, 35 ans c’est perpét’ ).
Eh bien c’est gagné. Il suffit d’aimer la musique. Ces deux amoureux enragés nous donnent une heure d’intense bonheur. Pas la peine de se faire des films, ils s’en chargent. Ils racontent des histoires. L’un sans l’autre, l’autre sans l’un, ensemble. Et s’économiser n’est pas leur projet. Ça éclabousse partout autour du jacuzzi, on se croirait dans une histoire de Jin Ping Mei où les canards mandarins folâtrent, la mouette plane, le mustang saute et la jument piaffe dans les airs.
De la musique avant toute chose.

En clôture du Final, en écho au duo américain d’hier soir, un duo italien et son programme « Opéra ». Au piano Danilo REA, à la trompette Flavio BOLTRO.
Le décor est vite planté : piano lyrique et bavard, trompette bof ( baratin outrancier feignant ). Les notes abandonnées par un voisin ne laissent pas de surprendre :
« Au secours !!! 25’ écoulées. Pas plus ????
Oh putain, Maalouf est de retour.
Navrants, les effets virtuoses.
10’ sur cette scie, c’est sciant.
Le pianiste si looooooooong. Un salon de thé, des mamies emperlousées, leur cup of tea, un great cake crémeux qu’elles dégustent à la toute petite cuillère.
Valse groovy sur un thème d’opéra jazzifié, longs traits du trompettiste pour donner le frisson du dévergondage aux mamies, le frisson seulement. Mmmmmm, cette crème pâtissière. Droit sur le bourrelet de ma hanche.
Une balade maintenant. Je rêve, les Feuilles mortes ? C’est bien ça, cette descente de quintes ? Non ? Si !!!!
Esprit de Maalouf, dégage d’ici !!!
C’est pas le final de l’Ouverture de Guillaume Tell ? Mélangé à Salt Peanuts de Gillespie ?
Elle est où la caméra, c’est pour Incroyable Talent ? »


Cécile Mc LORIN-SALVANT

Inutile de bouder notre plaisir et de faire la fine bouche : cette chanteuse est trop, rien à dire, rien à reprocher, rien à jeter. Show à l’américaine, donc professionnel. On ne bricole pas, on a répété, mis au point, choisi, on assure.
Super balance du son, merci les techniciens, on sait pourquoi on a des oreilles.
Intro instrumentale entre Aaron DIELH au piano, Paul SIKIVIE à la contrebasse et Rodney GREEN à la batterie et la belle entre alors : "Yesterdays". Déterminée comme un samouraî, plantée dans le sol comme un sumotori, présente, totally present. Yeah. Il n’existe plus que la scène. Dés le premier morceau.
Et cette maline ( parce que tout de même, terminer la première chanson ainsi, hein... ) termine Yesterdays a cappella. Plutôt en haut de sa tessiture. Le genre que tu te dis oh, ça va grincer, couiner, vaciller, approximer. Non, juste parfait. Elle nous tient au creux de sa main, on est foutu !!!
Entre comédie musicale et poésie, entre jazz roots et ré-interprétation, elle sait tout faire. Sans afféterie, avec une diction qui donne à entendre autrement, la gestuelle mesurée. D’autres chanteuses passent ici et là dans sa voix, ses intonations, son souffle. En français, elle interprétera le superbe poème "Front caché sur tes genoux" nous fera découvrir comme si on ne l’avait jamais écouté "’Le mal de vivre" de Barbara. Hénaurme interprétation à tomber de sa chaise à bascule. Rien d’équivalent sur le marché sauf Youn Sun Nah qui empoigne Avec le temps de Léo Ferré. Elle clôt avec "I’ll never forget you" et en finit au rappel avec "Goodbye". Cette créature n’est pas la moitié d’une cruche.
Allez, on la refait avec des musiciens français pue-la-sueur : De Pourquery, Moussay, Perraud et Tchamitchian ? Chiche ?

* * * * * * * * *

Bon alors, le jazz, c’est quoi ?
Ça pue la sueur, ça touche les tripes ( the guts ) et ça affecte. Comme affecter, toucher, émouvoir, bouleverser.
Ça tord le cœur et ça fait monter les larmes.
Pipoteurs et autres bricoleurs de cadavres congelés, allez jouer ailleurs.
Nous, on revient l’année prochaine, au même endroit.

> Pour info : La 36ème édition se déroulera du 23 Avril au 10 mai 2015. La saison de l’Europajazz se déroulera du 10 novembre 2014 au 10 avril 2015.


> Lien :