À ne pas confondre avec le tricostéril...

En même temps que le chacun-pour-sa-gueule se perpétue, il pousse des collectifs partout : COAX, les Vibrants Défricheurs, Capsul, le Grolektif, Onze heures Onze et ce soir, accueilli dans le cadre de ONJAZZ FABRIC au Carreau du Temple, le TRICOLLECTIF, une bande de jeunes musiciens qui étire ses tentacules entre Orléans et Paris et squatte les scènes ici, là et partout.

La Scala invite Louis Sclavis.

En première partie, LA SCALA, avec Roberto NEGRO au piano, Théo CECCALDI au violon, Valentin CECCALDI au violoncelle, Adrien CHENNEBAULT à la batterie, invite Louis SCLAVIS aux clarinettes. On pourrait croire qu’accueillir Monsieur Sclavis rendrait la révérence obligée. Non non non, ces gars de la Scala invitent un collègue et ne lui passent pas les plats. Tu veux ta place ? Viens la prendre !!!
Après une intro sclavisienne, la première pièce s’organise autour d’un son filé-tenu-étiré-minimalisé par le Théo, son qui reviendra comme un refrain, une pause façon reprenons-notre-souffle-et-nos-esprits. Parce que pour le reste, ils trompent bien leur monde. Cet allure de quintuor classique propre sur lui, beau son, belle écriture ciselée -fais gaffe de pas paumer tes lunettes, y’a des doubles croches en pagaille-, ça ne dure qu’un instant. Pas question de faire dans le chambriste léger, le permanent mollomollo. Ils se donnent à fond dans des variations qui dérideraient les constipés-sclérosés du free formolé et convenu. Ils jouent avec les spidou-fortissimi, les calmos-lentissimi, créent de la tension juste en donnant au son de la place pour le silence. Avec simplicité et élégance. Quand ils en terminent, il y a comme un temps d’atterrissage nécessaire au public pour s’abandonner à son siège et reprendre sa vie ordinaire.

L’Orchestre du Tricot, fort de Angela FLAHAULT, au chant, Roberto NEGRO au piano, Théo CECCALDI au violon, Valentin CECCALDI au violoncelle, Gabriel LEMAIRE aux sax et clarinettes, Sacha GILLARD aux clarinettes, Quentin BIARDEAU aux sax, Fidel FOURNEYRON au trombone, Eric AMROFEL à la guitare et au banjo, Stephane DECOLLY à la basse électrique et Florian SATCHE à la batterie, enchaîne avec son programme « Tribute to Lucienne Boyer  ».

Ils y vont sans précaution aucune, cette bande de jeunes qui ne respecte rien, il faut le savoir, et Christophe Moniot doit frétiller d’aise à se trouver des continuateurs aussi iconoclastes. Sortir Lucienne BOYER de l’oubli, en faire, au milieu de tous ces joyeux drilles déjantés, l’héroïne d’un soir, pfff... Qui se souvient de Lucienne BOYER ?
Après une intro des sax hurleurs, Angela FLAHAUT fait une entrée Broadway 42è rue : longue robe blanche ( presque ) comme un film d’eau, démarche lente-regardez-moi-c’est-moi- et entonne Youp-Youp, l’histoire de la naïve petite Charlotte. Quelle godiche !! Plus nature que nature la fille. Qui se laisse tout de suite entraîner car La valse tourne. Bien sûr, à l’endroit à l’envers, prélude-préliminaire aux grands abandons. D’ailleurs, tiens donc, elle le dit : Mon cœur est un violon. Y’a un mec qui lui a filé un coup d’archet et elle a aimé.
Elle nous dit J’ai laissé la clé sur la porte. Vous voyez bien qu’il s’est passé quelque chose de pas catholique ( et avec plaisir).
Les deux Ceccaldi tombent la veste puis la chemise jusqu’à arborer le même marcel vert cul de bouteille et entamer une séquence des Tambours du Loiret qui n’a rien à envier aux Tambours du Japon ni à ceux du Burundi. Du coup, Parti sans laisser d’adresse sonne funky-honky-tonky-jazzy et on sent bien que le mec a galopé pour se tirer.
Évidemment, va-t-en le retrouver, celui qui est parti sans laisser d’adresse ? Du coup, Elle rate la correspondance et nous, on n’est pas loin de galoper à côté du train. Les riffs des guitares et ceux des vents nous rabattent la fumée de la loco dans les yeux. Pourvu que les indiens ne nous attendent pas derrière la colline !!!
Bien sûr, sa valise à ses pieds, ses espoirs envolés, elle en rêvait sur la quai de la gare déserte, elle aurait tant voulu l’entendre le lui dire alors elle le lui demande : Parlez-moi d’amour. Pas dupe la fille, elle la chante dépouillée, sa scie aux dents limées jusqu’à la gencive.
Voilà, il faut en terminer avec l’amour toujours et son dernier cri «  je t’aime  » renvoie à ces comédies musicales avec danseurs à gogo, pétroleuses, champagne et cotillons. Déhanchements de rigolettes enamourées, lancers de jambes et de cœurs roses : oui, ils osent tout, même le kitsch revisité. Lucienne Boyer n’aurait pas désavoué ce traitement corrosif et jouissif de ses chansons.
Une grand courant d’air jubilatoire, de la joie simple, du rire. Comme un délicieux soulagement des ventres, des poitrines, des visages.
Les gens traînent dans le hall. Restent encore un instant à goûter ce plaisir partagé.
Y’a d’la joie ! Partout, y’a d’la joie ! aurait murmuré Trenet.

ONJazz Fabric - Jeudi 21 mai 2015 - Le Carreau du Temple - 2 rue Perrée 75003 Paris