Trente et unième étape

28 juin 2015 à Vienne (Isère, France), jour qui vit naître Jean-Jacques Rousseau, appâté par les effluves estivaux, pour la dernière journée du tremplin Rézzo Focal. Non, non, nous n’avons pas demandé d’accréditation pour le théâtre antique, pour la bonne et simple raison que nous avons quelques amis à visiter dans les parages de Cybèle, scène où se déroulent les hostilités et que, de toute façon, nous n’en voyons plus l’intérêt, à de rares exceptions près.

Fiat lux

D’abord Dreisam (Rhône Alpes). Nous les connaissons depuis 2012 et, si l’on excepte l’arrivée d’un clavier au son de B3 posé sur le piano, les changements dans le set sont essentiellement dus aux modifications de la playlist. Toujours aussi efficaces et mélodiques, professionnels même, tant leur maturité s’affirme de concert en concert. Puis le trio de Benjamin Coum (Bretagne). Un bon pianiste ma foi, mais une impression de redite somme toute persistante. L’on se surprend à ne plus écouter. Enfin, le quintet de la chanteuse Marjolaine Paitel (Limousin). Une voix puissante, des musiciens dans la moyenne mais hélas, des textes assez falots pour empêcher un étranger francophile de croire à l’étendue des nuances de notre idiome. Gagnant de l’édition 2015 : nOx. 3 (Ile de France), un groupe avec « un style électro-libre à tendance improvisatrice » dixit Jazz à Vienne. Après avoir écouté le trio sur Internet, nous dirions volontiers que cela ne casse pas trois pattes à un canard. Les groupes de ce style ne manquent pas de nos jours.

Trente deuxième étape

Stéphane Kerecki

Toujours sur la scène de Cybèle, nous avons manqué le trio de Colin Vallon et le trio Blast. Par contre, le 03 juillet (décès de Jim Morrison, 1971, et de Pierre Michelot, 2005) vit notre seconde apparition cybèloise se concrétiser. Stéphane Kerecki et son quartet ( John Taylor, Émile Parisien & Fabrice Moreau, rien moins ) à 16 heures. Pourquoi vouliez-vous que nous nous privassions de ce plaisir ? Ce projet est un modèle du genre et les musiciens qui le font vivre partagent leurs amours cinéphiliques et musicales avec un brio remarquable. Mais cette année, Jazz à Vienne a de temps à autre mis au théâtre antique un «  set découverte  » de 20 heures à 20 heures 30. Bonne idée que l’on ressasse depuis longtemps. Là où ça coince, comme on dit, c’est que l’on y fait jouer le quartet de Stéphane Kerecki. Je ne dis pas qu’ils sont vieux, John Taylor n’a que 72 ans, mais sont-ils à ce point jeunes et inconnus ? Tiens, fallait pas appeler ça Nouvelle Vague !

Trente troisième étape

Jon Faddis

11 juillet (naissance de Suzanne Vega, 1959, et massacre de Srebrenica, 1995) et puis c’est tout. Le Stanford Jazz Orchestra surprend en bien. Des arrangements particulièrement fins, mis en valeur par des musiciens déjà éprouvés, lui permettent d’assurer une constance dans la qualité d’interprétation. Quand en sus on se paye Jon Faddis en VIP, on ne s’étonne pas de prendre du plaisir en écoutant un set essentiellement consacré aux compositions de Thad Jones. Mais là encore, on se demande bien pourquoi le trompettiste californien se retrouve sur la scène de Cybèle un samedi à 12 h 30 devant cinquante péquins. Est-ce ainsi que l’on considère le jazz du côté de Vienne de nos jours ? Et puisque l’on s’énerve un tant soit peu, continuons sur notre lancée. Le photographe anglais David Redfern, un habitué de Vienne décédé en octobre 2014, n’a pas fait l’objet du moindre commentaire de la part du festival. Quand on connaît la carrière de ce monsieur, on demeure perplexe devant tant d’inculture, de goujaterie et d’irrespect. Où donc est passé le festival qui enchanta deux générations d’amateurs éclairés comme de néophytes curieux ?

Trente quatrième étape

Roy Hargrove

Après une digestion viennoise délicate, nous avons attendu le 17 juillet pour remettre le couvert, jour qui, soit dit en passant, vit naître en 1898 la remarquable Bérénice Abbott et mourir Billie Holiday en 1959 ainsi que Coltrane en 1967. C’est donc en Bourgogne, à l’occasion du vingtième anniversaire du festival estival organisé par le Crescent, jazz club incontournable de la ville Mâcon, que nous ressortîmes l’appareil photo et le stylo. Mario Canonge et Michel Zenino en début de soirée plantèrent un décor fort en caractère, comme ils savent le faire, en mêlant standards et compositions personnelles. Leur duo est déjà ancien et l’on ne manqua pas de noter l’approche télépathique et la prise de risque si nécessaire à l’épanouissement du jazz qu’ils développèrent, fruit d’un travail de fond mené depuis plusieurs années, notamment au Baisé Salé.

La nuit était tombée sur l’esplanade Lamartine quand Roy Hargrove et ses musiciens montèrent sur scène. Disons d’emblée que le trompettiste texan est entouré et même soutenu par quatre musiciens à l’aisance et à l’efficacité redoutables (Justin Robinson – saxophone alto, Sullivan Fortner - piano, Ameen Saleem - contrebasse, Quincy Phillips – batterie). Et c’est hélas une nécessité vitale car Roy Hargrove, visage émacié et démarche hésitante, est épuisé par la maladie. Nous ne saurions vous dire laquelle mais il est plus que sûr qu’il file un très mauvais coton. C’est pitié que de le voir ainsi diminué, lui dont on gardait un souvenir piquant tant sa personnalité gaiement versatile nous avait enchantée, notamment avec son formidable big band. Le souffle et la clarté lui manquent un peu, le dynamisme et le sourire ne sont que l’ombre de ce qu’ils furent. Mais le miracle réside dans la capacité du musicien à jouer sans filtre, sans faux-semblants, avec une générosité intacte. Il est sa musique, quoi qu’il arrive, et malgré son exténuation, il se hisse à nouveau, péniblement, sur scène pour un long rappel. Comme si la musique était encore et plus que jamais l’émotion vitale qui l’anime et nous transporte. « Never let me go » chantait-il d’une voix chancelante. On aimerait bien que ce soit le cas.


Dans nos oreilles :

Ana Vidovic  : Moreno-Torroba : Guitar Music, Vol. 1

Sous nos yeux :

Cévennes (Jean Guehenno) : Dans la prison