Des têtes (de jazz ) chercheuses et boulimiques !

"Le projet Ozma a été la première tentative de détection de signaux qu’une intelligence extraterrestre, provenant d’une exoplanète, pourrait émettre (...) Les projets de ce type supposent un optimisme indéfectible" peut-on lire sur (Wikipédia). Tout est dit !

Cette rencontre avec le bassiste Édouard Séro-Guillaume, et le batteur Stéphane Scharlé a eu lieu le lendemain de la série de concerts donnés du 7 au 14 juillet à Avignon (AJMI) pour le festival Têtes de Jazz ( voir l’article dédié). Le guitariste Tam de Villiers était reparti à Paris . Nous retrouvons au frais sous le Palais des Papes : il sera question de leur histoire, du photo-concert « 1914-1918, d’autres regards » et de leurs projets...

L’origine du groupe ?
Edouard Séro-Guillaume : À l’origine, nous étions trois copains au Conservatoire de Strasbourg. Nous nous sommes rencontrés là dans les années 2000. Ça a marché tout de suite entre nous, Stéphane Scharlé, un autre guitariste parti depuis, Adrien Dennefeld (remplacé à présent par Tam de Villiers), et moi.

Tu connais le guitariste Laurent Stoutzer alors, ainsi que les frères Grandcamp, Jim à la guitare et Jon à la batterie ?
Édouard : Oui, bien sûr ! j’ai même joué dans le groupe Praxis de Laurent Stoutzer. Les frères Grandcamp, eux, étaient de la génération précédente. Nous n’avons pas joué ensemble.

Tam de Villiers, Édouard Séro-Guillaume et Stéphane Scharlé : Ozma
© Florence Ducommun - 2015

Quel âge as -tu Édouard ?
Édouard : J’ai 34 ans, j’ai démarré la musique assez tard. Je me destinais aux mathématiques en fait. Ce n’est pas si éloigné de la musique mine de rien, dans l’abstraction, la discipline, la transposition motivique qui ressemble à des opérations de géométrie.

Qu’est ce qui t’a amené à la musique ?
Édouard : J’avais 15 ans, un copain savait que je jouais un peu de guitare. Il m’a mis une basse dans les mains car il avait besoin d’un bassiste pour passer un concours et j’ai adoré. Je joue aussi des claviers comme par exemple dans le dernier album d’Ozma.(« New Tales » sur le label « Juste une Trace »)

Pourquoi le choix du nom OZMA pour votre groupe ?
Édouard : Ozma est l’ancêtre du projet SETI de la Nasa. Ce sont d’énormes paraboles plantées dans le désert du Nevada braquées sur l’espace, qui essaient de capter les ondes radio venues d’ailleurs. C’est un lien de plus vers la science-fiction, l’imaginaire, le rêve… On aimait bien ce côté "chercher vers l’inconnu"…

Vous avez joué huit fois le photo-concert « 1914-1918, d’autres regards » dans le cadre de Têtes de Jazz a Avignon. Comment ce projet est-il reçu ?
Stéphane Scharlé : L’accueil était très enthousiaste, d’ailleurs chaque jour le public venait plus nombreux. Après des débuts mitigés, la salle s’est rempli grâce au bouche a oreille pour finir pleine les derniers jours. Le photographe avignonnais Bruno Rumen (que nous saluons) l’a vu cinq fois ! Nous avons rencontré une trentaine de professionnels très intéressés.

Quelle est l’origine de ce projet ?
Édouard : En 2012, Paul Bessone directeur du Label Juste une Trace nous a proposé un projet de collaboration sur le sujet avec le dessinateur Tardi. Finalement ce projet ne s’est pas fait, mais nous étions lancés !
Après un premier Photo-Concert en 2011 et l’envie de réitérer l’expérience, nous avons commencé les recherches de partenaires. Les centres d’archives d’Épinal, de Nancy et de Mâcon ont répondu présents. S’en est suivi un travail de sélection drastique : retenir 400 photographies parmi 40.000 archives !
Une première mouture à été présentée au Relais Culturel de Wissembourg (que nous remerçions !) en octobre 2013, mais il manquait un travail en profondeur sur le montage image...
En 2014, le réalisateur Jean François Pey à rejoint l’équipe artistique et après une reprise de création au Pole Culturel de Drusenheim (toujours en Alsace) nous étions assez satisfaits de notre travail pour commencer à diffuser ce Photo Concert dédié à la première Guerre Mondiale.

Racontez-moi l’histoire d’OZMA.
Édouard : C’est une longue histoire ! Nous partîmes en trio puis par un prompt renfort, nous nous vîmes quintet en quelques années, avec le tromboniste Guillaume Nuss. En 2010, nous avons été invités à créer un concert pour un cinéma de Vitry sur le film « Vampyr  » de C.T. Dreyer, un des premiers films d’épouvante, muet et en noir et blanc. Nous avons adoré cette première expérience. Nous avons sorti plein de nouveaux sons, plein de nouvelles idées.

Stéphane : Nous avions écrit quand même, ce n’était pas que de l’improvisation. C’est là que nous avons élaboré notre méthodologie, en découpant le film en plusieurs séquences, plusieurs chapitres, avec par exemple un thème pour chaque personnage, une ambiance pour tel paysage, des contrepieds... C’était notre premier ciné-concert.
Édouard : Ensuite, nous avons poursuivi avec Buster Keaton dans « Les trois âges  ». Une histoire d’amour qui se déroule à trois périodes différentes : L’âge de pierre, l’Antiquité romaine et les temps modernes.
Stéphane : Nous avons été invités à nouveau par la cinémathèque de Montréal avec une commande sur « Le Cuirassé Potemkine ». Le montage a été rapide mais quand nous sommes arrivés, la copie n’était pas la même. Il faut savoir qu’il y a au moins dix versions différentes de ce film ! Celle dont nous disposions était plus longue avec des passages disparus. Ça a été un jeu d’adaptation et d’appropriation dont nous nous sommes plutôt bien sortis : un bon souvenir ! Donc, les ciné-concerts ont un peu été le fruit du hasard au début. Ça nous a plu et ça devient une spécificité d’Ozma !

Tam de Villiers, Édouard Séro-Guillaume.
© Florence Ducommun - 2015

Mais pas que...
Stéphane : Effectivement, l’axe principal du groupe est un quartet de jazz qui fait des albums avec des répertoires originaux. En parallèle, nous avons « les spectacles à l’image » et les rencontres avec des musiciens étrangers. Nous avons eu la chance de faire une création avec les musiciens indiens de Darpana ( tournée en Inde en 2012 et en France avec eux en 2013) puis en 2014 avec des musiciens Sud-Africains pour une création de photo-concert en hommage aux 20 ans de la démocratie (dix ans après l’ARFI qui en avait réalisé un également). Ce sont les trois axes de la Compagnie Tangram qui héberge nos projets.

Tout ça est très riche !
Stéphane : Nous sommes boulimiques !

Et toi donc Stéphane, ton instrument a toujours été la batterie ?
Stéphane : Absolument ! J’ai pratiqué les percussions assez jeune à l’école des Percussions de Strasbourg, cet ensemble de musique contemporaine à la réputation mondiale ! Les plus grands comme Xenakis, Dufourt ont composé pour eux. Ils ont la spécificité d’avoir des percussions du monde entier dans un grand hangar et c’est du pain bénit pour les compositeurs. Ils ont donc créé une école avec un solfège spécifique Le Percustra. J’y ai pris des cours dès 8 ans. Et ensuite j’ai vu une batterie qui me faisait envie et voilà ! J’y ai même enseigné quelque temps. Nous sommes trop occupés par Ozma pour continuer à enseigner. Je ne ferme pas la porte à cette possibilité, peut-être plus tard...

Et dans le photo-concert, quelle est la part d’improvisation ?
Édouard : Elle est assez importante. Il y a des parties écrites, mais c’est différent d’un concert à l’autre. C’est un format spécial : nous sommes contraints de suivre des longueurs. Je pense par exemple à la séquence « Au Combat » : il y a toute une préparation avant de se lancer à l’assaut, il faut faire monter la pression en musique. Sur cette trame narrative, nous pouvons improviser mais avec une direction claire. Ce n’est pas de l’impro complètement éclatée ou ouverte mais dirigée.
Stéphane : C’est une contrainte stimulante ! Cela crée un cadre dont il faut parfois savoir s’échapper.

Dans le roman d’Alice Ferney, « Dans la Guerre » on plonge aussi dans l’univers de cette guerre comme à travers les mémoires des anciens. Voir votre ciné-concert apporte quelque chose en plus, une autre dimension…
Stéphane : Ça me fait plaisir que tu emploies le terme de ciné-concert, parce qu’il y a un vrai travail cinématographique (réalisé par Jean-François Pey). Ce n’est pas un simple diaporama. Surtout avec les titres qui découpaient l’ensemble. Il y a certaines personnes à qui ça n’a pas plu, mais sans thème, on aurait tout mélangé.
Édouard : C’était aussi pour la dimension spectacle, car dans les autres concerts d’Ozma, nous avons l’habitude de parler entre les morceaux. Les titres nous dispensaient de sortir du spectacle, c’était plus approprié.

D’autres retours ?
Édouard : Certains diffuseurs pensent que notre projet pourrait avoir une vertu pédagogique. La guerre de 14/18 est au programme des classes de troisième et de première. C’est un autre éclairage ! J’étais assez étranger au travail de mémoire jusqu’ici. Et là, m’être plongé dans la vie de ces hommes, m’être mis à leur place, c’est poignant.

Quel est l’intérêt des lunettes 3D ? Qui a eu cette idée ?
Stéphane : Dans l’épilogue, on voit vraiment les hommes avec toute leur épaisseur… En fait, nous sommes tombés sur des images d’archives en stéréoscopie. Ces photos avec deux angles différents puis superposées : le cerveau fait la jonction. Les images étaient gravées sur des plaques en verre qu’on regardait dans des boîtiers. On a tous connu ces boîtes-lunettes en plastique qui créaient une impression de relief.

Tam de Villiers, Édouard Séro-Guillaume et Stéphane Scharlé : Ozma
© Florence Ducommun - 2015

Et maintenant ?
Stéphane : Nous avons joué au Luxembourg, en région parisienne, au festival de jazz de Colmar, à Épinal, au Pré-Saint-Gervais, une quinzaine de représentations environ et ça va continuer.
Après une tournée en Angleterre nous partirons en novembre pour une quinzaine de dates en Autriche, Allemagne, Slovaquie, Tchéquie, Pologne et Hongrie.
Prochaine étape donc, une résidence-tournée d’une semaine en Angleterre prévue au mois de septembre avec le quartet, à Newcastle et à Berwick-upon-Tweed pour créer un nouveau ciné-concert. C’est un théâtre qui nous avait accueilli en 2013, fan de notre travail : il nous a demandé de revenir avec une nouvelle création.

Comment faites-vous pour trouver ce genre de lieu ?
Stéphane : Le propriétaire du théâtre (The Maltings Theatre) est un ami, un bassiste hors-pair ( Matthew Rooke ). Il nous avait écoutés en quintet et avait entendu aussi le ciné-concert « Buster Keaton » et a eu envie de nous inviter.

C’est plus facile de jouer à l’étranger ?
Stéphane : Nul n’est prophète en son pays ! Il est parfois plus facile pour un groupe français de tourner à l’étranger. De plus les diffuseurs sont face à cette obligation d’amener du neuf à leur public et c’est une course à l’actualité à laquelle nous sommes soumis. Pour les projets dans la durée, c’est un peu plus difficile... à moins d’être une vieille star de soixante ans accueillie à bras ouverts ! Avant ça, on a le temps ! Et plein de projets !

> Propos recueillis à Avignon par Florence Ducommun en juillet 2015.

Pour aller plus loin :