Cinquante-troisième étape

Franck Avitabile

Le problème avec la période des fêtes, c’est les fêtes. Dieu merci, ThG le Grand, vénéré marabout normand de la Culture et du Jazz, a voué aux gémonies «  Les étoiles de Culture Jazz ». C’est toujours ça de moins à choisir. Et puisqu’on parle de choix, ce 12 décembre dernier, nous ne nous sommes posé aucune question. Tous en chœur au Chorus (on était deux) pour écouter le trio de Franck Avitabile avec Mathias Allamane (contrebasse) et Matthieu Chazarenc (batterie). Ouais on sait, le jour précédent, ils étaient à Lyon, à environ deux kilomètres de notre domicile. On a oublié. Ça arrive, non ? Un acte manqué nous obligeant à faire la route pour aller voir les amis suisses ? Possible. Quoi qu’il en soit, le 12 décembre est le jour de naissance de Sinatra (1915), et de Joe Williams (1918). C’était donc une belle journée pour faire chauffer l’autoradio sur les routes cantonales vaudoises.
La carrière de ce pianiste lyonnais est aussi discrète (hélas) que son procédé de réharmonisation. C’est par ce fait même un plaisir toujours renouvelé de l’écouter. La lumineuse clarté de son jeu, le déroulé des phrases, suffisent à capter prestement l’attention et donner un plaisir d’écoute assez rare au sein de laquelle l’originalité du traitement musical côtoie la tradition avec une fluidité séduisante et un relief particulier dans un espace où sa libre personnalité affiche sans ambages ses prérogatives. C’est toujours sensible, lyrique aussi, mais avec une juste mesure. Pas étonnant que le regretté Michel Petrucciani l’ait adoubé dès ses débuts. Toujours est-il que ce fut notre dernier concert de l’année 2015 et qu’il nous a paru bon d’achever nos pérégrinations sur cette note-là, une note classique, régénérée par une approche moderne, considérée par beaucoup, et notamment par les programmateurs, comme passéiste ou dénuée d’intérêt. En ces temps bizarres où la pop et les autres musiques actuelles investissent de plus en plus le jazz, ce qui ne nous dérange pas, nous nous interrogeons : le jazz est-il encore si jeune qu’il éprouve cet universel besoin de reniement de l’adolescent pour sa propre ascendance ? Ce doit être un phénomène purement humain car, à ma connaissance, le bourgeon à peine éclos ne renie pas l’arbre qui le porte. Et celui qui nous dira que l’ami Ornette n’a pas sucé la sève de la tradition est bête à bouffer du foin. Comme tous les originaux, il s’est bâti sur un terreau qu’il a su assimiler. S’affranchir n’est pas renier. Être prisonnier d’une époque, c’est fermer les fenêtres de la lumineuse nouveauté qui nous précéda. C’est également ouvrir la porte de l’intolérance (pour rester poli) qui est aussi celle de la triste ignorance. Moins on sait, plus on croit savoir. Le danger rôde, les huitres se referment…
Pour la deux mille seizième année de notre ère après le barbu, nous vous souhaitons, urbi et orbi, Castor et Pollux, Starsky et Hutch, de garder les pavillons bien ouverts sur ce qui fut musical, l’est encore et le sera un jour. Si nécessaire, achetez des Cotons-Tiges. In audio veritas.


Dans nos oreilles

Yo La Tengo - Fakebook

Devant nos yeux

Polka - # 32

Pierre Moinot - Avec armes et bagages