Le Pérégrin aime les accents circonflexes. Il kiffe grave les cédilles et il vendrait sa mère pour un point-virgule ou un tiret. Souvent il écoute cet anglicisme nommé jazz ainsi que ses dérivés, ce qui n’est pas une excuse valable pour saccager la langue apprise quelques décades auparavant à l’École de la République.

Cinquante-cinquième étape

Watchdog

Quand on habite en ville, souvent les artères sont bouchées. C’est fatiguant et ça fait chier. Bref, sorti des limbes inhospitaliers du chaos circulatoire, votre Pérégrin préféré a rendu visite au Périscope, histoire d’écouter en chair et en os le duo Watchdog (Anne Quillier & Pierre Horckmans) qui sortait son premier album et découvrir un autre projet (Fred Escoffier, claviers & Jean Joly, batterie) en résidence en ces lieux. C’était le 18 février, jour où, en 1745, naquit Alessandro Volta. Saluons-le le bougre ! Parce que franchement, notre monde, sans piles, il n’aurait pas de face comme on dit maintenant. Ce fut également le jour qui vit disparaître Oppenheimer en 1967 et, à ce qu’on dit, la nouvelle fit l’effet d’une bombe.

Fred Escoffier, on le connaît, Jean Joly, non. Une raison suffisante pour les écouter. Fruit d’une résidence sur le lieu-même du concert, la musique proposée fut une seule et longue variation dont la thématique nous parut encore un peu confuse, ce qui, soi-dit en passant ne nous dérangea pas vraiment. Un piano préparé pour une musique toute en circonvolutions sensibles, portée par une batterie, elle aussi préparée, resserrée autour d’une tension rythmique soutenue, voilà pour l’essentiel ce qui nous fut offert et auquel l’on eut aucun mal à adhérer, à l’exception des brefs passages où le piano sonnait comme un truc ferrailleux pour le moins désagréable et anti-mélodique.

En première partie de soirée, ce fut donc Watchdog qui tint la scène. On retrouva avec plaisir, nous avions écouté le disque, une forme d’onirisme musical, baigné dans des sonorités électro-acoustiques, assez intrigantes. Mélodique, certes, la musique de Watchdog nous semble légèrement anxiogène car elle aspire à l’obscur, comme un crépuscule industriel coincé dans une époque aux résonances de métal et de rouille, une sorte de contrepoint à la primauté de la nature humaine sur la nature industrielle. L’alliance, nous allions écrire l’alliage, entre l’acoustique et les effets laisse peu filtrer la lumière ; quelques flammèches ici ou là pour entrapercevoir un semblant de liberté. You’re welcome est le titre du disque. Il définit bien cette musique intelligente et inventive qui sait capter les angoisses de son époque et les interrogations qu’elle suscite. No future ? Allons donc ! « Something childish, but very natural. » C’est ainsi que Katherine Mansfield définissait la vie il y a presque un siècle. Faudrait voir à ne pas l’oublier.


Cinquante-sixième étape

Larry Goldings

Le 19 février a vu mourir sous le signe du poisson René Char en 1988, Knut Hamsun en 1952, André Gide en 1951. Ce n’est pas un jour à mettre un écrivain dehors, dites-moi. Ou plutôt si, mais sortez-le par la porte étroite aurait dit le bigleux gallimardien. En 2016, le même jour, nous sommes à Genève, à l’A.M.R. Peter Bernstein à la guitare, Larry Goldings à l’orgue hammond et Bill Stewart à la batterie, cela se refuse-t-il ? Comme on dit entre deux sets : « ça joue. » Peter Bernstein a la guitare élégante et des tonalités chaudes et chantantes. Larry Goldings assure à l’orgue avec une clairvoyance intuitive qui laisse quelquefois pantois l’auditeur. Bill Stewart est toujours aussi créatif et dynamique derrière son set. Les trois jouent ensemble depuis un quart de siècle au moins. Alors quoi ? Le moins que l’on puisse dire est que leur trio ne les lasse pas. Donc on ne s’ennuie pas. Mais il y a un mais. Le pérégrin n’a pas apprécié les compositions du batteur. Elles lui ont semblé un peu brouillonnes, voyez-vous. Le pérégrin a également très moyennement goûté l’humour moqueur de l’organiste (avec l’assentiment des ses collègues) à l’égard d’une spectatrice demandant un morceau en particulier pour le rappel. Appartenir au gotha du jazz n’autorise pas le mépris, aussi souriant soit-il. Dernier grief : deux sets un peu trop courts pour être honnêtes. Faudrait pas confondre professionnalisme et j’menfoutisme.

A par cela, la ville de Genève fait des coupes drastiques dans les subventions de la culture, donc du jazz. C’est moche et cela n’augure rien de bon. Si même les suisses s’essayent au hollandisme, la fin du monde, c’est pour demain ! L’AMR perpétue cependant son festival (du 17 au 20 mars 2016). C’est le trente-cinquième du nom et pas le dernier. Mort aux cons.


Dans nos oreilles

J.S.Bach - L’Offrande Musicale (Academy of St Martin in the Fields)

Sous nos yeux

Louis Owens – Le pays des ombres