Cinquante-septième étape

Michel Benita

Le 3 mars à l’Amphi de l’Opéra de Lyon, en 2016, pas en 1847, jour de naissance (un mercredi) d’un écossais qui n’avait pas imaginé le portable mais avait Bell et bien inventé le téléphone. Ceci énoncé, Michel Benita était en résidence à l’Opéra de Lyon et il jouait ce soir-là avec le pianiste Michaël Wollny et le batteur, lui aussi écossais, Sebastian Rochford. De fait, ce trio était un mélange entre le Trio Libero, où l’on retrouve le batteur et le contrebassiste, et l’autre trio qui enregistra Thrillbox où Michel Benita et le pianiste allemand sont les partenaires de Vincent Peirani.

Qui dit mélange dit échange. Qui dit échange dit écoute. Qui dit écoute dit jazz. Il suffit donc d’écouter celui qui dit pour créer le mélange par l’échange, non ? Euh… Sommes-nous sûrs de bien comprendre, là, tout de suite ? Pas grave, improvisons ! Ce que le Pérégrin voulait probablement dire, c’est qu’un grand trio doit rechercher l’osmose, la symbiose, le syncrétisme, bref une forme d’œcuménisme musical ultime au sein duquel peut s’épanouir l’originalité, l’indépendance, le non-conformisme, le particulier, la hardiesse… le style quoi ! En l’occurrence, un style où trois voix s’unissent autour d’une musicalité conjuguant la finesse à la complexité, complexité maîtrisée, sans aucune argutie, un style qui favorise la note et l’espace sans préciosité, un style aéré, propice à la circulation des idées. Et les trois musiciens n’en manquent pas. Qu’ils jouent leurs compositions, une pièce de Bobo Stenson ou de Peter Erskine (en hommage à John Taylor avec lequel étudia le pianiste de Schweinfurt), ils mettent à profit leur science de l’interaction afin de privilégier l’émotion et, non content d’y parvenir, ils savent en gérer les flux, comme en apesanteur dans un univers particulièrement mélodique. À ce jeu discret, nous accordons une mention spéciale au batteur Sebastian Rochford pour son solo dans le deuxième set qui fut dans les faits un slow de batterie d’une époustouflante originalité. Si ces trois-là écrivaient ensemble un manuel, il pourrait l’intituler « Du bon usage de la douceur. ». En attendant, ils souhaitent, on le sait, enregistrer un disque. Ils attendent cependant que leurs teutonnes maisons de disques s’accordent. Si elles pouvaient le faire avec le même modus operandi que les musiciens (vite et très bien), une pépite à coup sûr naîtrait.


Cinquante-huitième étape

Deux pattes !

Le surlendemain nous vit rejoindre le Pêle-Mêle Café de Montmerle sur Saône où le Chien à trois pattes recevait Bruno Tocanne, Rémi Gaudillat et Anne Quillier. Autour des compositions de la pianiste et du trompettiste, le trio délivra deux sets contrastés, non pas que l’un soit moins bon que l’autre mais plutôt du fait que les deux univers musicaux des auteurs étaient différents. Rémi Gaudillat, ancré dans les harmonies libertaires du brass band de Lester Bowie d’une part, et Anne Quillier, avec une esthétique plus contemporaine proche d’un lyrisme expressif mâtiné de complexité shorterienne d’autre part, surent conjuguer avec la complicité coloriste de Bruno Tocanne cette apparente hétérogénéité, la fondre en un son d’ensemble convaincant avec une énergie communicative. Le public caladois en profita pleinement et oublia derechef que ce trio n’avait que deux jours d’existence.

Nous étions le 5 mars 2016. Quatre-cents ans auparavant, en 1616, la Sacrée Congrégation de l’Index publiait un décret condamnant la théorie héliocentrique défendue dans le livre « De revolutionibus orbium coelestium » de l’astronome polonais Nicolas Copernic. Ça devait pas tourner bien rond dans leurs cervelles aussi à cette époque. Mais bon, le cinq mars est également le jour de naissance de Rosa Luxemburg (1871). Ah Révolution, quand tu nous tiens !


Dans nos oreilles

Kenny Drew trio – In concert

Sous nos yeux

Alan Bennett – La dame à la camionnette