Le contrebassiste est un sideman nécessaire, qu’il soit à cordes, à vent ou à électricité ; la France en a fourni au jazz de nombreux et talentueux, comme, pour ne citer que quelques anciens mémorables, Guy Pedersen, Pierre Michelot, Gilbert Rovere ou Jean-François Jennu-Clarke. Mais il peut être aussi organisateur, comme le furent John Kirby, Oscar Pettiford, Charles Mingus et, chez nous, Jacques Vidal, Didier Levallet et, bien sûr, Patrice Caratini.

À l’occasion de son jubilé, le théâtre du Châtelet avait donné carte blanche à Patrice Caratini (Neuilly-sur-Seine, 1946), qui en a profité pour réunir autour de son grand orchestre, des invités, des amis, des musiciens avec lesquels il a joué. On en lira la liste in fine. Le ressort de ce genre de soirée est l’émotion -et le plaisir- que l’on éprouve en revoyant des figures autrefois familières, des associations que le temps a fait oublier, des artistes que l’on croyait retraités dans des campagnes paisibles.

Patrice Caratini
© Véronique Pinon - 2016

Notons d’abord que la sonorisation du lieu était dans le genre “bal à la salle Wagram”, du moins pour les auditeurs qui, se trouvant dans les premiers rangs, entendaient à la fois le son naturel et une amplification légèrement décalée, provoquant une impression de piscine.

Il y eut des moments forts : Martial Solal, d’apparence très frêle, mais des mains solides, qui se livra à une longue improvisation sur plusieurs chorus, laissant dans l’expectative les trompettistes (Texte et Prétexte) ; Maxime le Forestier, dans une belle chanson aux climats variés, accompagné par tous les musiciens présents (Le Fantôme de Pierrot) ; l’émotion de voir Marc Fosset -souvenirs du tandem "Le Chauve et Le Gaucher"-, qui ne joua pas de guitare, mais chanta "C’est tout”, adaptation française d’un tube américain (That’s all) et lança un "Chauffe Marcel !" commémoratif ; Marcel Azzola, planqué derrière d’autres musiciens, avant de jouer avec Caratini et Lina Bossati, qui s’est glissée au piano depuis la coulisse ; Sara Lazarus, chanteuse de jazz à l’articulation musicale et linguistique parfaite, s’intégrant naturellement au grand orchestre.
Il y eut des passages anecdotiques : Thierry Caens, jouant de la trompette en ut, avec un son un peu brumeux, mais des aigus redoutables ; Gustavo Beytelman, pianiste bien raide, avec des musiciens plus intéressants, comme l’accordéoniste Maryll Abbas ; des percussionnistes cubains remplissant leur contrat ; des cordes de l’Orchestre régional de Normandie, qui vinrent soutenir une chanteuse au nom aussi imprononçable [1] ! que sa diction était floue, tant en français que dans la langue mystérieuse qu’elle utilisa pour une chanson américaine (A Case of You de Joni Mitchell).

Le Caratini Jazz Ensemble a été magnifique de bout en bout, permettant à ses solistes de s’exprimer à divers moments. Citons en quelques uns : André Villéger ; Rémi Sciutto, qui joua des saxophones -dont le sopranino- ; Alain Jean-Marie, Pierre Drevet et Philippe Slominski. Ce groupe débuta le concert avec un Saint Louis Blues, dans un arrangement très diversifié, et un fort dansant "Chofé Biguine la" de Al Livrat. Un des points forts fut l’interprétation d’un extrait de la musique d’accompagnement du film Body and Soul d’Oscar Micheaux (Dry bones in the valley).

En bis, l’orchestre joua “Ascendant”, quatrième variation sur le thème de “My darling Nelly Grey”, qui débute par un solo de contrebasse ... Et enfin , Patrice Caratini nous quitta sur un pied de nez !

.::Philippe Paschel: :.


Les impressions de Véronique Pinon

Culbuté par la grosse houle du siècle
au feuillage musicien des mots je lave
mon époque à l’eau de ma tendresse du soir
 
René Rupestre (poète haïtien)

Au Théâtre du Châtelet en cette première soirée de printemps, une « Carte blanche » à Patrice Caratini vite colorée par son Jazz Ensemble composé de 14 musiciens accomplis, à la fois ardents improvisateurs et fidèles exécutants des arrangements pêchus du compositeur. Ce contrebassiste non dénué d’humour nous a livré lecture de quelques textes poétiques le temps d’accueillir les invités (pas n’importe lesquels !) et de réaménager la scène...

Que de paysages originaux et d’ambiances variées, un parcours plein de surprises en somme. Pour ma part je retiendrai, entre autres, l’onde de respect émanant du public lors de l’entrée de Martial Solal ; la voix suave de Sara Lazarus « Just in time  » ; l’accompagnement musical d’un extrait du film d’Oscar Michaux « Body and Soul »( 1925) projeté en toile de fond. Enfin et non des moindres, bien campé sur ses jambes, le chanteur Maxime le Forestier interprète «  Le fantôme de Pierrot ».
Pendant ce concert, assis sur la lune, nous l’étions tous en quelque sorte !

.: : Véronique Pinon : :.


Théâtre du Châtelet, lundi 21 mars 2016 à 20.00.

> Programme :
En première partie : Saint Louis Blues (WC Handy) / Chofé biguine la (Al Lirvat) / Bleue comme une orange (PC) / Hongroise (PC) / Improvisation (G. Beytelmann) / Zamba (Horacio Salgan) / La Barge rousse (PC) / Malambo (H. Salgan) / Cacocalypso (Marc Fosset) / Texte et Prétexte (Martial Solal) / Dry Bones in the Valley (PC).
En deuxième partie : Édith (PC) / A l’Enseigne de la fille sans coeur (Jean Villard) / A case of You (Joni Mitchell) / Les Loups sont entrés dans Paris (Albert Vidalie et Louis Bessières) /À trois temps (PC) / C’est tout - That’s all (Bob Haymes, Alan Brandt) / Get out of town (Cole Porter) / Too Darn Hot (idem) / Just one of those Things (idem) / le Fantôme de Pierrot (Maxime Le Forestier et Patrice Caratini) / Ascendant, quatrième variation sur le thème de “My darling Nelly Grey” (B.R. Hanby).

Orchestrations : Patrice Caratini, sauf “Texte et Prétexte” arrangé par Martial Solal.

> Le Caratini Jazz Ensemble :
Patrice Caratini (Contrebasse et direction) ;
André Villégier, Matthieu Donarrier, Rémi Sciutto, Clément Caratini (anches diverses) ;
Pierre Drevet, Philippe Slominski (trompettes) + Thierry Caens sur “Texte et Prétexte”.
Denis Leloup (trombone), Baptiste Germer (cor d’harmonie), François Thuillier (tuba) ;
David Chevallier (guitare électrique) ; Alain Jean-Marie et Manuel Rochman (piano) ;
Thomas Grimmonprez (batterie) , Sebastian Quezada (percussions).

Invités, par ordre d’entrée en scène :
Roger Raspail (djembé), Thierry Caens (trompette), Maryll Abbas (accordéon), Leonardo Sanchez (guitare), Gustavo Beytelmann (piano), Inor Sotolongo, Abraham Mansfaroll, Javier Campos Martinez (percussions cubaines), Martial Solal (piano), Orchestre Régional de Normandie, Hildegarde Wanzlawe (chant), Lina Bossatti (piano), Marcel Azzola (accordéon), Marc Fosset (chant), Sara Lazarus (chant), Maxime Le Forestier (chant).


[1Hildegarde Wanzlawe - NDLR