50 Summers of Music / Montreux Jazz Festival, Editions Textuel, 2016, 391p., format A4, 45 euros.

Cet ouvrage est ce que l’on appelait autrefois un tombeau : le Tombeau de Claude Nobs.
Il est divisé en chapitres chronologiques introduits chacun par un court texte impressionniste, suivi de témoignages et d’un cahier de photographies. Les textes, pour la plupart, font l’éloge de Claude Nobs, ou racontent des anecdotes à son sujet ou évoquent les liens que leurs auteurs ont eu avec lui. Quelques textes traitent de musique et un le fait apparaître sous les traits d’un patron peu sympathique. Il en ressort le portrait d’un personnage charismatique, capricieux et aimant les grandes vedettes. Quand il n’en a plus trouvé dans le jazz, il s’est tourné vers le rock - Carlos Santana rappelle que c’est “Montreux Jazz Festival” et pas “Montreux Rock Festival” ; mais la marque était trop forte pour qu’on l’abandonne. En fait, cette image favorable que donne le livre est la même, défavorable, que j’avais en lisant les comptes-rendus dans les magazines : des mondanités, des Stars, la Suisse ...

On ne trouvera dans cet ouvrage ni l’histoire du festival, ni la liste des orchestres qui y ont joué, ni celle des musiciens qui y sont venus, ni même l’index de ceux qui apparaissent sur les photos, alors qu’elles sont l’essentiel du livre.
Le legs le plus jazziquement incontestable, le passage de Norman Granz, est traité d’une façon un peu méprisante, une photographie le montrant avec un sac censé contenir l’argent des cachets de ses artistes. C’est pourtant le plus connu du festival grâce aux disques et aux DVD commercialisés (Count Basie, Ella Fitzgerald, Johnny Griffin, Milt Jackson etc.).

A qui donc est destiné cet ouvrage ? Ni livre d’histoire du festival, un habitué n’y retrouvera pas nécessairement ses souvenirs. Ni livre de photographies, elles sont imprimés sur un beau papier d’imprimerie, qui les rend toutes un peu ternes, sans contraste. Les festivaliers de juillet prochain l’achèteront peut-être comme la preuve de leur présence.

Charles SCHAETTEL, De Briques et de Jazz, le jazz à Toulouse depuis les années 30. Atlantica, 2014, 314 p. + 18 pages d’index, 28 euros.

L’auteur situe d’abord l’action : la vie à Toulouse, ses terrasses, ses restaurants et les orchestres qui y jouent. Ce sera le chemin qu’il suivra, montrant les évolutions, les changements de lieux et de quartiers, les habitudes des citadins, pour aboutir à la situation actuelle, un festival d’une durée exceptionnelle, mais une vie ordinaire musicale bien pauvre.
Le chapitre 2 est consacré à un personnage qui a joué un rôle considérable dans la reconnaissance du jazz comme mouvement musical, il l’a quasiment “créé”, Hugues Panassié, auteur du premier livre sur le jazz. Dans les années 30, le jazz était à la mode et beaucoup d’orchestre s’intitulaient de jazz sans en faire du tout ou par moment ou approximativement. Il revint à Panassié de définir ce mouvement artistique négro-américain et d’en reconnaître les règles et d’en valoriser les créateurs. Il animait des conférences au Hot Club et des réunions en petits comités au cours desquels on pouvait entendre des disques (78 tours, 3 mn) et les commenter. Il le fit à la radio dès que cela lui fut possible. Son influence fut considérable dans la région et il demeura une référence pour beaucoup, même après sa rupture avec les “boppeurs”.

Le jazz à Toulouse, avant la guerre, était en accord avec sa réalité et les musiciens qui s’y lancèrent en écoutant des disques s’aguerrirent dans un style qu’il continuèrent à défendre après guerre, restant imperméables aux nouveautés. Bien sûr, les musiciens qui partirent faire carrière à Paris ne restèrent pas dans cette obédience. Il y a une lettre de Guy Laffite à HP qui est bien claire sur le ressenti d’un musicien qui ne peut rester insensible au mouvement des idées et des pratiques musicales. Mais il semble bien que jusqu’à aujourd’hui, Toulouse reste un bastion du jazz traditionnel.
[Arrivant au jazz au milieu des années 60, par Sidney Bechet et Django Rheinhardt -encore grandes vedettes-, mais aussi par Miles Davis, dont les concerts antibois de 1963 avait été transmis en direct sur France-Inter, la querelle des Anciens et des Modernes que maintenait Panassié -contre le be-bop- me semblait incompréhensible alors que le free-jazz était à l’ordre du jour]

Les toulousains n’entendirent leur premier orchestre de jazz incontestable que le 10 décembre 1947 grâce à la venue de l’orchestre de Rex Stewart. Rappelons que Duke Ellington, Louis Armstrong et beaucoup d’autres étaient venus à Paris dans les années 30 et que le jazz le plus récent atteignit Paris dès la guerre finie. Longtemps ne furent organisés à Toulouse que des concerts de “jazz d’avant-guerre”, certains trouvaient même Buck Clayton trop moderne (p. 114b) !

Toulouse a donné au jazz de nombreux musiciens, certains sont restés à Toulouse, mais les Pierre Dutour, Guy Laffite, Michel Roques, Roland Lobligeois, Jean-Marc Padovani ont connu une carrière plus ample.

Quelques détails : une “Nuit de l’ETA” est organisée en avril 1958, il aurait été souhaitable de développer l’acronyme, même si la tristement célèbre organisation terroriste n’a été fondée qu’en 1959 (131b). Marius Constant a-t-il vraiment dirigé le Mingus Big Band, composé de 33 musiciens (212a) ? Notons que CultureJazz est cité p. 256b.

Ce livre a un format curieux, quasiment carré (26,5x26) qui en rend le maniement mal commode, sans réel avantage sur les photos, qui comportent à de rares exceptions près de considérables marges. Elles sont d’ailleurs nombreuses et les contrastes si importants dans les photos nocturnes du jazz sont respectés grâce à un papier brillant.

En conclusion, ce livre plaisant à lire et précis dans l’information sera de lecture obligatoire pour les toulousains. Il pourra donner envie à d’autres de faire l’histoire du jazz dans leur ville, en s’inspirant des bons principes de rigueur et de documentation de l’auteur, qui a su restituer une époque de la vie en Province avant la guerre, si différente alors de celle de la capitale, pour arriver au fil des pages à notre époque de déplacements faciles, de vie culturelle subventionnée avec ses contraintes socio-culturelles.
On suit l’histoire de Toulouse à travers les amateurs et les musiciens de jazz avec plaisir, grâce au style vif et clair de l’auteur, qui sait nous intéresser à des personnages et des artistes méconnus hors de Toulouse, même si, comme votre serviteur, on n’a fait que passer un après-midi à Toulouse.