Tracé Provisoire sur scène...

> Malakoff-19 septembre 2016

D’abord quelques mots sur l’équipe ici présente : tous excellents instrumentistes, magnifiques virtuoses, techniques musicales et modes de jeu connues sur le bout des doigts et des oreilles, éclectisme, quelque chose de presque ordinaire aujourd’hui mais dont il ne faut jamais oublier la dimension, le risque étant pour l’auditeur de banaliser ce savoir gargantuesque, pour le musicien de s’y perdre. Ce ne fut pas le cas ce soir, la musique du quartet de Dominique Pifarély souligne ce que le jazz a rendu à l’instrumentiste et qu’une partie de la musique européenne lui avait semble-t-il retiré : la possibilité de reprendre son discours en main, de retrouver le goût du jeu instrumental, de l’improvisation et de la composition. Dans un même geste, entre écriture et oralité, à valeurs égales, autre chose est possible. Le jazz a, en quelque sorte, rendu la parole et sa responsabilité à l’instrumentiste en remettant la spontanéité au goût du jour. À chacun de s’y préparer, l’improvisation ne s’improvise pas, une évidence depuis au moins Louis Armstrong qui l’avait lui même appris de ses propres modèles…

Quelques mots à présent sur la musique du quartet qui va dans le sens de ce que l’on vient d’énoncer. On le sait, le jazz s’est appuyé durant des décennies sur une forme qui en a fait sa beauté, son efficacité et sa redoutable difficulté : thème, impro, thème mettant l’accent sur le rythme, l’interaction, la fluidité du discours, l’imagination. De nombreux musiciens, dans le kaléidoscope du jazz et à sa périphérie, ont depuis les années 60 tenté de briser ce carcan et trouver d’autres contraintes, d’autres issues. Ce soir nous avons entendu le même principe mais dans un ordre un peu différent : impro collective sans aucune hiérarchie (on pourrait imaginer un Hot non pas Five ou Seven mais Four d’aujourd’hui) pour se retrouver par petites touches successives, comme un seul homme, autour de lignes mélodico-rythmiques, entre musique contemporaine et swing. Le rôle de chacun, dans le sens classique du terme, s’en trouve bouleversé, la contrebasse ne faisant pas forcément de la contrebasse, le piano du piano, ainsi de suite. L’affaire peut prendre de grandes dimensions et demande écoute, silence, affirmation de soi dans le respect de l’autre, sens de la nuance, un rêve chimérique par les temps qui courent. Et pourtant c’est bien de la musique redoutablement vivante qui nous a été proposée. Peut être aurions nous aimé un peu plus d’explosivité, de déchirements, de risques, d’erreurs. Il faut l’accepter pour que cet art, par définition éphémère, s’accroche dans nos mémoires. Quoi de plus beau ?

Dominique Pifarély
© Florence Ducommun - 2015

Cette musique demande maturation et de nombreux concerts afin de lui donner toute sa dimension car sa poétique est là à fleur de peau. C’est ici une évidence, elle ne demande qu’à sortir de sa boîte.

Dominique Pifarély Quartet  : Dominique Pifarély : violon / Antonin Rayon : piano / Bruno Chevillon : contrebasse / François Merville : percussions.
Studio Sextan, Paris - Malakoff le 19 septembre 2016

Les morceaux joués ce soir étaient issus du cd Tracé Provisoire récemment paru chez ECM.