Ça décoiffe les mèches folles

Alfortville la nuit. Choc thermique du redoux. Chouette, le public est venu très nombreux.
En première partie, le Aron OTTIGNON Trio avec Aron OTTIGNON, piano, percussions, FX pedal, Rodi KIRK, électroniques à savoir drum machine, modular synthé, sampler, mixing desk et FX, Sam DUBOIS, steel drums et percussions (il va falloir ajouter un lexique technique à nos chroniques).

Autant dire un trio augmenté qui fricote sérieusement avec le nouveau monde, celui de la relation homme-machine et qui, nous dira le leader, teste avec nous, ce soir, sa nouvelle orientation. Merci de nous prendre pour des cobayes, on est habitué depuis les turpitudes des ingénieurs nucléaires et chimistes qui ont transformé la Terre en paillasse.
Alors quoi de nouveau sous notre vieux soleil dans cette tentative de faire coîter les effets électro, les grosses pulsations binaires qui ne sont pas sans rappeler les musiques de boîte ( Vous avez remarqué ? Dans ce monde augmenté, on sort de la boîte, on monte dans sa caisse pour aller en boîte, on rate un virage au retour et tout finit dans une autre boîte. L’ère du container. ) Difficile de revenir à une pratique dansante du jazz dans une salle à fauteuils sauf pour un mec, pas un perdreau de l’année, qui nous ravit par son impro gesticulatoire là-bas, tout au bord de la scène. On entend bien que le pianiste sait faire autre chose que tripoter ses potards, que le batteur ne sait pas que frappouiller ses pads et que le mec aux tambours d’acier chorusse comme un grand. Mais il reste une impression de mélange pas tout à fait miscible entre la musique électro et le jazz.

Ensuite le ROSCOE MITCHELL Sextet pour un «  Tribute to John Coltrane ».
Roscoe MITCHELL, sax alto, soprano et sopranino, Mazz SWIFT violon, Tomeka REID violoncelle, Silvia BOLOGNESI contrebasse, Junius PAUL contrebasse et Vincent DAVIS batterie.

Trois femmes, trois hommes : la parité. Un truc à faire couiner-touitter Trump.
Ils terminent le concert par un morceau qui allie swing tranquille, confort de l’auditeur et atterrissage en douceur. Parce qu’avant, le Mitchell nous a embarqué dans une essoreuse à vitesse variable mais pas en dessous de 1600 tours/minute.
Planqué derrière une immense partition, il entame le concert par une morceau qui semble totalement écrit, un truc joué avec 2 croches par temps, tout le monde à l’unisson, assez vif mais qu’on se dit et les impros ? personne ne va improviser ?
Et bien non, ils se chauffent. Le trio de cordes emploie son outil mixte bras-archer comme une tronçonneuse et il n’est pas vain de se demander si chacune n’a pas accordé son instrument à sa manière et surtout pas de manière académique, par exemple Sol, Ré, La, Mi.
Parce que si tu cherches à reconnaître quelque chose, oublie !!! De l’énergie pure, voilà ce qu’elles y mettent. On se dit ils ont un projet : faire partir le plus de gens possible dans le temps le plus court. Y’en a deux ou trois qui craquent, mais on ignore pourquoi : appareil auditif niqué ? Miction urgente ?
Tous les autres restent. Magnifique public.
La seconde pièce, après une petite intro pépère genre ceci est une ballade, Roscoe s’assied, on se dit, OK, à 76 balais, il faut tenir la distance, il se requinque. Le trio de cordes déjanté se-défonce-se-déchire dans une mélange écrit-improvisé qui ferait honte à un quatuor. Ces filles envoient du lourd : uranium enrichi, plaques de fonte et pas question de mollir pour défatiguer le matériel humain. Le Mitchell dodeline de la tête, il pionce ? Que nenni. Il saisit son tuyau à trous, un petit signe de tête et hop hop, retour au thème.
Et, à l’américaine, t’as à peine fini de taper dans tes petites mains, qu’il commence, avec son sopranino, une impro du genre plus free que moi y’a pas, le mec n’est pas né. Ce n’est ni un exercice de bruitiste ni un exercice de sax, c’est le son qui coule de sa bouche, de ses doigts, de lui, ce petit bonhomme ordinaire en forme de maître d’aïkido qui te retourne trois adversaires en soufflant dessus. HÉNAURME solo a capella rejoint par le trio de cordes puis les deux autres pour un maelström sonore époustouflant. On est comme qui dirait coincé dans une tuyère géante au moment où la trombe venteuse s’y engouffre : son inouï, intensité inhumaine, flot d’un torrent au plus haut de la montée des eaux qui cascade avec un poil plus de force que les chutes du Zambèze. Là, si t’as un doute sur ce qui existe entre tes deux oreilles, le doute est balayé, le reste aussi d’ailleurs.
C’est juste après qu’il revient à cette pièce swingante où la violoniste poussera la chanson. On n’a entendu ni Naïma ni Crescent ni Interstellar space. On a entendu le Roscoe MITCHELL sextet.
Demain, as usual après un tel vent de liberté, n’importe quelle musique sonnera comme si on ne l’avait jamais écoutée.
Merci à vous six pour cette aventure.

Festival Sons d’Hiver - Vendredi 27 janvier 2017
Pôle culturel
26 rue Joseph Franceschi
94140 Alfortville