Quatre-vingt quatorzième étape

Emile Parisien

L’Émile qui s’est produit à l’amphi de l’Opéra de Lyon avant-hier n’est pas imaginaire bien qu’il soit connu pour être imaginatif. Il n’a rien à voir avec Rousseau (Jean-Jacques, pas Yves), s’appelle Parisien, est Cadurcien et saxophoniste émérite. Accompagné du contrebassiste Jean-Paul Céléa et du batteur autrichien Wolfgang Reisinger, il dit oui à Ornette en des épousailles, tour à tour caressantes et furieuses, avec une source d’inspiration musicale qui, nous semble-t-il, est intarissable, si tant est que les artistes qui s’y frottent en aient les moyens, et en l’occurrence nous n’éprouvions aucune inquiétude préalable quant à la qualité de la soirée. Nous ne nous demandâmes pas pourquoi car ce trio faisait écho en nous à une autre formation marquante où figuraient Jean-Paul Céléa et Wolfgang Reisinger en compagnie cette fois de Dave Liebman. Il nous reste d’ailleurs en mémoire un concert de 1996, à Angers, un de ces moments privilégiés qui vous nourrissent à jamais et que vous êtes persuadés d’emporter dans la tombe, entre autres souvenirs. Mais n’étant pas pressés d’en arriver là, nous prîmes grand plaisir à écouter/voir ces musiciens réinventer quelques perles rares du répertoire colemanien avec une aisance confondante et une joie non feinte. Autour du subtil colorisme du batteur et de la profonde justesse du contrebassiste, Émile Parisien se plaça à sa façon, très particulière, de sorte que le dialogue (trialogue) opère et déclenche des questions à ses questions. Les trois n’en étant pas à leur tour de chauffe, ce fut imparable. Les trois étant sincères, ce fut proche de la simplicité ultime, celle que l’on découvre en écho aux notes qui fédèrent l’énergie créatrice. Les trois étant par essence inventifs, ce fut une belle aventure. Le public ne manqua pas de la vivre avec eux sans retenue. Selon Ornette : «  En musique la seule chose qui compte est ce que vous ressentez ou pas.  » Ce qui est valable pour le musicien l’est également pour le spectateur. Nous le vérifiâmes une fois de plus ce soir-là. C’était le 41ème jour de l’année du calendrier grégorien, jour qui vit en 1635 la naissance de l’Académie Française et il y a 80 ans celle de Roberta Flack.


Quatre-vingt quinzième étape

Seamus Blake

Le 12 février à Mâcon, au Crescent, nous aurions pu fêté la première à New York en 1924 de « Rhapsody in Blue » de George Gershwin ou la mort de Thomas Bernhard en 1989, parce qu’après tout, en cette fin d’après-midi quasi printanière, nous n’avions pas encore été avertis qu’Alwyn Lopez Jarreau avait achevé son parcours terrestre quelques heures auparavant. Bourguignon dominical d’adoption, nous étions venus écouter le quartet (français) de Seamus Blake. Tony Tixier au piano, Florent Nisse à la contrebasse et Gautier Garrigue à la batterie l’accompagnaient dans cette petite entreprise musicale. Le saxophoniste ténor né à Londres et élevé sur la côte ouest canadienne, résident new-yorkais, fait partie de ces musiciens « spécimen » que rien n’arrête quand ils soufflent. Récipiendaire de la « Thelenious Monk saxophone competition » en 2002, il croise le chemin des plus grands du jazz grâce à sa technique aussi impeccable qu’impressionnante. Naturellement, il compose ses propres thèmes dans la veine du jazz mainstream actuel en vigueur dans la grosse pomme. D’ailleurs, pour tout vous dire, nous le pensions plus aventureux. Les quatre musiciens nous proposèrent deux sets sur lesquels il n’y a rien à dire. À part un ou deux bugs dus à la jeunesse du quartet, tout se passa vraiment très bien dans une salle au public sympathique. Le premier set, un peu linéaire, ne resta pas dans notre mémoire. Le second fut un peu plus charnu et l’on apprécia la sonorité rugueuse et pleine de Florent Nisse à la contrebasse. Puis Seamus Blake eut la bonne idée de jouer une chanson des Beach Boys. Une fausse bonne idée, soit-dit en passant, car s’il nous reste un souvenir de ce concert aujourd’hui, c’est bien cette mélodie simplissime de Brian Wilson et rien d’autre. Qu’écrivions-nous ci-avant ? Ah oui, « En musique la seule chose qui compte est ce que vous ressentez ou pas. »

Ce fut à tout le moins une après-midi paisible et, cerise sur le gâteau, nous ratâmes « Vivement dimanche » et son inénarrable Drucker. Al Jarreau aussi. Comme quoi le jazz peut véritablement sauver tout humain en perdition, toute humaine en déshérence et même ce sale gosse qui braya un tant soi peu durant le second set et irrita un vilain auditeur (con)vaincu par le talent de Seamus Blake qui, s’il est bien réel, ne nous fit pas d’effet particulier.


Dans nos oreilles

KNKX Radio live


Devant nos yeux

Elfriede Jelinek - Les amantes