Quatre-vingt dix-huitième étape

Nous penchant sur le papier pour évoquer le concert de Louis Sclavis auquel nous assistâmes à Lausanne il y a peu, nous nous apercevons qu’aujourd’hui 8 mars, c’est la Journée internationale de la femme ! Encore une foutue connerie qui dédicace un jour parmi d’autres à une pseudo « catégorie » d’êtres humains. Il suffirait pourtant d’ouvrir les yeux chaque matin pour constater que les êtres humains dotés d’organes génitaux féminins sont quotidiennement présents à chaque jour de nos vies. À titre personnel, le pérégrin que nous sommes les remercie car il n’imagine pas la vie sans elles. Et puis avec elles, du lundi au dimanche, semaine après semaine, mois après mois, années après années, décades après décades, le pérégrin adore célébrer la fête des pairs. À la plage ensemble, nous pouvons commémorer la fête des mers devant un océan tendre de pelles et de râteaux faisant la fête aux châteaux de sables, nous pouvons fêter les courbes et les ondulations en hommage aux frissons sans ignorer que la fête des cons est une ritournelle quotidienne, ritournelle qui s’évanouit dans le regard de l’autre.

Louis Sclavis

Mais revenons au quartet de Louis Sclavis, sujet principal de ces feuillets (d’Hypnos ?). Avec Benjamin Moussay, Sarah Murcia et Christophe Lavergne, le clarinettiste lyonnais nous proposa ce 4 mars 2017 (Journée internationale de lutte contre l’exploitation sexuelle, Jour de l’impro & Journée mondiale du tennis) d’aller plus avant, « loin dans les terres », à la rencontre d’un onirisme musical sensible dont l’imaginaire serait supposément jazz. Composée, décomposée, l’escapade fut un éloge à l’image vagabonde, une confrontation pacifique entre la vision de l’artiste et une réalité mélodique. Rugissantes ou apaisées, jamais étales, jamais létales, les compositions offertes à l’ouïe s’épanouirent entre heurts et bonheurs, déclamèrent à qui voulait bien l’entendre la complexité du souffle et du rythme nécessaires aux musiciens qui fouillent et trifouillent dans l’archéologie sonore de l’imprévisible humain. Et puis divaguer, naviguer auprès du lointain, c’est un art qui se mérite, et ce soir-là un art dû aux émérites musiciens faisant dans l’instant l’histoire autant qu’ils la racontaient. Si les quatre acolytes avaient bien des partitions, ce n’était que pour mieux décloisonner les itinéraires individuels (il faut savoir laisser passer), leur offrir un droit de regard sur le voisinage créatif et le plaisir d’y laisser une trace stylistique, un reflet lyrique, l’ombre percussive d’un sursaut, pour accompagner la tribulation jusqu’à son ultime destination telle qu’envisagée par le postulat sclavisien, « loin dans les terres », approximativement là ou ailleurs, non loin d’un onirisme musical sensible dont le jazz serait supposément imaginaire et pourtant témoin d’une indiscutable histoire de la musique et des hommes. Le public et le pérégrin apprécièrent le voyage à sa juste démesure et, pour être en tout point honnête avec le lecteur, ils auraient eu plaisir à aller encore plus loin dans les bis. Souvenez-vous également que cela se passait un 04 mars, jour où naquit, en 1678, Antonio Vivaldi, grand spécialiste aérien du temps qui passe, mais également, en 1898, le linguiste polyglotte Georges Dumézil dont il se murmure, entre les pages, qu’il ne se payait pas de mots.


Quatre-vingt dix neuvième étape

Christophe Monniot

Christophe Monniot en résidence et en quintet pour un programme intitulé « Une Nouvelle terre » à l’Opéra de Lyon ? Ce fut une agréable façon d’achever un vendredi et la semaine ouvrée qui allait avec. Entouré de Marc Ducret à la guitare, de Stéphan Oliva au piano, du contrebassiste Bruno Chevillon et du batteur Franck Vaillant, le saxophoniste caennais dévoila au public local le fruit d’une résidence au parisien Triton. Entre énergie positivement optimiste et fausse candeur, la musique qui en découla fit son miel du mélange musical en passant de la très contemporaine « Sonate pour une terre nouvelle », composée en référence au Quatuor pour la Fin des Temps de Messiaen, au blues d’Art Tatum arrangé par Stephan Oliva via quelques autres compositions, notamment de Franck Vaillant. De fait, nous étions curieux de voir si la greffe opérée par Christophe Monniot entre le très (très) percussif Vaillant, l’élégant Chevillon, le poétique Oliva et l’organique fondamental Ducret était possible. La réponse fut oui, avec une réserve sur la place accordée au piano quelquefois à la limite de l’audible, ce qui ne rendit pas toujours justice à l’incroyable musicien qu’est Stéphan Oliva, d’autant plus que le percussif batteur occupa vaillamment l’arrière plan, quitte à de temps à autre déborder sur les lignes de ses condisciples. Si donc nous n’eûmes pas vraiment la crémière, le beurre et l’argent du beurre nous satisfirent bien assez pour affirmer dans ces lignes que cette musique ouverte sur des espaces oniriques où se mêlaient, quelquefois s’entrechoquaient, les styles et les genres dans une quête d’unité ultime, que cette musique disions-nous, ne manquait ni d’allure, ni de créativité. Mais, écrire ainsi sur Christophe Monniot est une lapalissade tant l’artiste nous a habitué à prendre des vessies musicales pour d’originales lanternes, quitte à en faire des vérités premières. Après tout, à l’inconnu, nul n’est tenu, même un dix mars, jour où, en 1892, naquit Arthur Honneger, dont on n’est guère friand, mais aussi jour définitif de 1762 pour Jean Calas, supplicié et exécuté en place publique à Toulouse (mais cela permit à Voltaire de nous léguer un Traité sur la tolérance).


Dans nos oreilles

Julie London - Julie is her name, vol 1 & 2
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Devant nos yeux

William Blake - Chants d’Innocence, Le mariage du Ciel et de l’Enfer, Chants d’expérience