Pianos croisés

Les deux quarts de queue ont commencé de s’enlacer avant l’arrivée des musiciens. Vus de la mezzanine, ils dansent un collé-serré prometteur. Benjamin MOUSSAY a invité Alain JEAN-MARIE pour ce premier concert de la session Pianos Croisés, un des beaux RDV annuels du Triton. Deux métisseurs de musiques, un jeunot et son aîné. JEAN-MARIE joue replié sur son clavier, centré sur ses mains, ses mains et ses mains, MOUSSAY, lui, joue les mains tout au bout des bras, là-bas.

Histoire de nous faire prendre de l’avance sur les temps à venir, ils entament le concert par April de Lee Konitz et si tu fermes les yeux, impossible de repérer qui joue quoi tant la parole passe d’un piano à l’autre, d’une paire de mains à l’autre paire de mains, à croire qu’ils se sont greffés une passerelle furtive. C’est un mélimélototal. On n’est pas au Parquet National Financier en pleine enquête alors, elle a produit quoi précisément votre assistante ? Ni du côté d’Aulnay sous Bois : écarte les jambes, ferme ta gueule, les mains dans le dos !! Ils ne jouent pas à je t’en pose une tu me réponds si tu peux. Non non. Une conversation amicale, pas du genre qui fait du bruit avec la bouche pour assassiner le temps, non non, une conversation argumentée. Donc on s’écoute, on ne s’interrompt pas.
Avec Pennies from Heaven, on se dit qu’ils vont revisiter une poignée de standards de haute lignée, pourquoi se gêner quand on peut ? Eh bien, ils confirment. Pas de claques dans la gueule pour obtenir une réponse, pas de bataille furieuse pour savoir qui a la plus longue, pas de j’y suis j’y reste. Un échange, une recherche de complétude, des sourires quand une idée nouvelle se glisse dans l’argumentaire et va faire fleurir une suite imprévue. Il reste à imaginer une table basse, un vieux rhum agricole hors d’âge, un single malt tourbé, sans glaçons SVP !! pour contextualiser cette rencontre de haute culture qui ne flirte jamais avec l’imposture musicale.
Ils lancent une intro chacun leur tour, croisent leurs impros, vazy je t’écoute, les emmêlent dans des tourneries à-toi-à-moi, on se sent limite voyeur d’une scène intimiste qui leur appartient. Moussay se fendra d’une pièce en solo qui n’est pas sans rappeler Keith Jarrett en mieux, beaucoup trop courte pour y entendre tout ce qu’elle laissait espérer... Après un détour par Cuba (dont le délicieux Dos Gardenias qui rappelle Ibrahim Ferrer ), retour aux standards avec l’immense African Flower de Duke, Hallucinations de Bud Powell ( ces mecs ne manquent pas d’air !! ). Et ce morceau inoubliable, qui hante la mémoire dés qu’on l’entend : Italian Song de Jean-Marie himself.
D’un bout à l’autre, pas de battle sauvage, pas de massacre des claviers à coup de coudes, pas de compète à qui fera le plus de bruit. De la musique avant toute chose.
On les rappelle, encore et encore.

Jeudi 2 mars 2017
Le Triton
11bis rue du Coq Français
93260 Les Lilas


Le concert en vidéo sur le site du Triton :