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  Arthur BLYTHE : "Lenox Avenue Breakdown"

Arthur Blythe - Lennox Avenue Breakdown

Puisqu’il a trépassé dans l’anonymat ou presque le 27 mars dernier et bien que sa place au sein de la galaxie jazz soit celle d’un artiste singulier, qu’il soit rendu hommage dans cette vitrine au regretté Arthur Blythe (1940 – 2017). Ainsi nous vous proposons d’écouter un de ces chefs d’œuvre perdus du jazz moderne, l’album « Lennox avenue breakdown », enregistré en 1978 pour Columbia. La musique intense et sans concession de cet album de la maturité ne laisse pas de séduire, même si quatre décennies ou presque ont passé. La faute à la bande de furieux qui accompagne l’altiste (voir ci-dessous) et à son talent versatile de compositeur. Les habitués retrouveront là une époque (peut-être entendront-ils aussi les prémices du "Special Edition" de Jack DeJohnette, enregistré peu après). Les autres découvriront ce qu’ils ont manqué. En 1978, c’était ça ou Grease
OUI ! à ce chef d’œuvre !

Yves Dorison


  GIL EVANS PARIS WORKSHOP – Laurent CUGNY : "Spoonful"

En 1981, la pochette interpelle : un biplan vient de traverser un mur... en pierres de sucre et poursuit son vol. Même pas mal [1] ! Le big-band Lumière de Laurent Cugny faisait ainsi son entrée remarquée à défaut de se vouloir fracassante dans la petite famille des "grands formats" français [2]. Lumière (1979-2002), ce fut aussi l’histoire d’une rencontre heureuse avec Gil Evans, frêle personne mais génie de l’arrangement, meneur d’orchestres à la puissance créative immense. Il restait le souvenir fort et émouvant d’une tournée commune (Lumière et Gil Evans) en 1987. Pour perpétuer cette fidélité/filiation artistique, voilà désormais le Gil Evans Paris Workshop et sa formidable escadrille de jeunes talents affûtés du jazz français que Docteur Laurent Cugny (à la Sorbonne) a repérés depuis les bancs du Conservatoire National de Paris jusque sur les multiples terrains de jeu du jazz. Le temps a fait son œuvre et ce Spoonful est le disque d’une maturité qui tient de la sagesse. Les orages électriques se sont apaisés (les instruments acoustiques dominent). L’orchestre possède une sonorité tempérée, sereine. Les arrangements reprennent la manière de Gil Evans mais c’est le coup de main, le patte de Laurent Cugny qu’on écoute ici avec bonheur dans ces deux disques apparemment distincts (Laurent Cugny d’une part, Gil Evans de l’autre) mais tellement mêlés dans leurs options esthétiques. Chez Gil Evans, les solistes ont toujours occupé une place essentielle (et on ne pense pas seulement à Miles, il a eu les meilleurs dans les rangs de ses orchestres) au point que dans la dernière époque les arrangements étaient quasi-minimalistes (à l’exception de quelques projets ou commandes). Avec l’épure du temps, Laurent Cugny avoue préférer aujourd’hui le Gil Evans orchestrateur et il pense les arrangements de ce nouvel ensemble (résolument estampillé "parisien") dans cet esprit. Écoutez et laissez-vous porter par la force de cette musique écrite mais très ouverte aux escapades des brillants instrumentistes qui sont la force vive de cet ensemble. Depuis la fin du big-band Lumière, nous attendions le retour de Laurent Cugny à la direction d’un grand orchestre régulier. Nous l’avons et c’est un vrai bonheur. Longue vie au GEPW !
OUI ! à ce concentré d’histoire(s) du jazz !

Thierry Giard


  Howard JOHNSON and GRAVITY : "Testimony"

Ce nouvel album de l’ensemble "Gravity" que dirige Howard Johnson a retenu l’attention des chroniqueurs de CultureJazz. Après une première chronique (Thierry Giard - "vitrine de disques" de mars 2017, ici...), voici celle d’Yves Dorison...

Le tuba me fait toujours penser à des gros machins, genre cargos dans un port, avec des containers colorés, des grues et des bidules bruyants, bref, rien de très aérien. L’exception qui confirme la règle, c’est la formation de Howard Johnson, Gravity. On trouve pourtant là pas moins de cinq tubistes portés par une rythmique oscillant entre swing incendiaire et étirements langoureux. L’ensemble est d’une rare souplesse, d’une patente inventivité et, pour tout dire, procure un effet irréfutable de paisible exaltation. Ces larrons-là sont optimistes, on le sent, et assument pleinement leur joie de vivre tout autant que leur invraisemblable maîtrise musicale. Sûr qu’ils ne sont pas révolutionnaires, encore que, mais ils offrent à l’auditeur un pur moment de jazz décomplexé, loin des trumpitudes, des poutinettes et autres présidentielles.

Yves Dorison


  L’AVENTURE DU JAZZ : "Vol. 1 & 2 – Musique du film de Louis Panassié – 1969-1972"

J’avais vu le film dans les années 70, en présence du réalisateur, dans la salle Debussy, petite salle située au fond du hall de la salle Pleyel. C’était l’occasion de voir de nombreux musiciens, à une époque où les images étaient rares. Ces deux disques sont un peu orphelins du film et de quelques vedettes. On y entend les musiciens de l’entourage du Hot Club de France, ceux des musiciens ante-bop qui jouent encore.
Cela commence plutôt bien avec Milt Buckner et Jo Jones, duo que l’on voyait souvent à Paris dans les années 60. Suit un groupe comprenant des pointures qui joue deux blues dans une ambiance de jam session : Buck Clayton (tpt), Vic Dickenson (tb), Eddie Barefild (sax-alto), Budd Johnson (sax-ténor), Sonny White (p), Tiny Grimes (guitare), Milt Hinton (cb), Jimmy Crawford (dms). De la bonne musique. Une autre vedette de l’époque arrive, Memphis Slim et c’est un des grands moments de l’enregistrement : Madeleine Gauthier lit en parallèle au chant du bluesman la traduction française de “Beer drinking woman”. Je laisse à chacun sa réaction. C’est alors le tour de Willie Smith “The Lion”, représentant du stride, qui joue trois pièces et est, à son tour, suivi de Zutty Singleton, immense batteur, qui joue seul : un des vrais grands moment du film.
Ensuite viennent Sister Rosetta Tharpe, à la voix abîmée, une chorale d’église, Les Stars of Faith (médiocres) et re-Sister Rosetta.
Suivent Cliff Jackson, autre pianiste stride, accompagné par Zutty Singleton, puis un solo de batterie de Michael Silva, qui m’est inconnu, batteur imperturbable et sans beaucoup de souigne. Surgit alors un cafouilleux orchestre de Dick Vance, pas très bon, malgré l’enthousiaste braillard d’arrière-plan lors du premier morceau ; cela s’arrange au deuxième.
Un excellent solo de Cozy Cole, musicien élégant, précis et sans esbroufe.
Puis un John Lee Hooker avec une voix jeune et une guitare sèche.
Encore les duettistes du début, mais dans un enregistrement médiocre et un style banal et inhabituel pour Milt Buckner, mais il y a un bon solo de Jo Jones.
Buddy Tate se présente avec une petite formation, aux arrangements sobres et efficaces, le meilleur du disque. Enfin, Charlie Shavers, quelques notes de trompettes, une espagnolade qui lui permet l’exhibition d’un aigu clinquant, ensuite il chante, puis un solo de trompette, accompagné par un pianiste de blues et un batteur pesant.
Contrairement au film qui m’avait laissé un bon souvenir, dans les limites des choix musicaux panassiéistes, ces disques me semblent assez médiocres et représentent sans doute l’univers assez clos du HCF [3] du moment. J’avais dû considérer cela comme un caprice au milieu de la vie du jazz, l’Art Ensemble of Chicago était à Paris.
Il faut bien sûr prendre en compte l’absence de l’image qui met à nu la musique et nous coupe de l’émotion de voir les artistes.

Philippe Paschel


  Stephan OLIVA – Susanne ABBUEHL – Øyvind HEGG-LUNDE : "Princess"

Entre l’évanescence habitée de Susanne Abbuehl et l’onirisme aventureux de Stéphan Oliva, l’histoire est déjà ancienne. C’est bien car ainsi l’osmose n’est pas à trouver, elle est latente. Øyvind Hegg-Lunde accompagnant la chanteuse helvète depuis deux ou trois ans, il était simple (enfin je crois) qu’il s’accoutume aisément du partenariat qu’elle entretient avec le pianiste et se fonde dans un décor musical où l’écoute et la liberté se côtoient, à l’images de vieux amis qui échangent en toute simplicité, en toute intimité. Dans ce disque évoluant autour de l’héritage giuffrien, ce sont la constance du verbe, l’intuition inventive et l’amour de l’espace qui séduisent, à moins qu’ils ne charment. Fréquentant les bordures de l’imprévisible, les trois musiciens installent un climat où les mots vivent dans un chatoiement ombré, petits miracles de chair respirant entre bonheur de l’incertain et calme interrogateur, enchâssés dans un subtil contre-jour.

Yves Dorison


  Références, détails et liens :

Arthur BLYTHE : "Lenox Avenue Breakdown"

> Columbia Records - LP JC 35638 (1979) & CD Koch KOC-CD-7871 (réédition 1998).

Arthur Blythe : saxophone alto / James Newton : flûte / Bob Stewart : tuba / James "Blood" Ulmer : guitare / Cecil McBee : contrebasse / Jack DeJohnette : batterie / Guillermo Franco : percussion

01. Down San Diego Way / 02. Lenox Avenue Breakdown / 03. Slidin’ Through / 04. Odessa // Enregistré en 1978 aux Mediasound Studios, New York City.

GIL EVANS PARIS WORKSHOP – Laurent CUGNY : "Spoonful"

> Jazz & People / Harmonia Mundi

Antonin-Tri Hoang : saxophone alto / Martin Guerpin : saxophones soprano, ténor / Adrien Sanchez : saxophone ténor / Jean-Philippe Scali : saxophone baryton, clarinette basse / Malo Mazurié : trompette / Quentin Ghomari : trompette / Olivier Laisney : trompette / Brice Moscardini : trompette / Victor Michaud : cor / Bastien Ballaz : trombone / Léo Pellet : trombone / Fabien Debellefontaine : tuba, flûte / Marc-Antoine Perrio : guitare / Joachim Govin : contrebasse / Gautier Garrigue : batterie / Laurent Cugny : piano, Fender Rhodes, direction

CD1 -" La Vie Facile", Musique de Laurent Cugny : 01. Krikor (Laurent Cugny) / 02. Lília (Milton Nascimento) / 03. My Man’s Gone Now (George Gershwin-Ira Gershwin) / 04. Liviore (Laurent Cugny) / 05. La vie facile (Laurent Cugny) / 06. Short Stories (Anthony Tidd) / 07. Manoir de mes rêves (Django Reinhardt) / 08. Louisville (Victor Michaud) / 09. L’état des choses (Jürgen Knieper) - Arrangements : Laurent Cugny sauf 8 : arrangement Victor Michaud
CD2 - "Time Of The Barracudas", Musique de Gil Evans : 01. King Porter Stomp (Jelly Roll Morton) / 02. Sunken Treasure (Gil Evans) / 03. Spoonful (Willie Dixon) / 04. Zee Zee (Gil Evans) / 05. Time of the Barracudas (Gil Evans) / 06. The Barbara Song (Kurt Weill-Bertolt Brecht) / 07. Bud and Bird (Gil Evans) / 08. London (Gil Evans) / 09. Boogie Stop Shuffle (Charles Mingus) / 10. Orange Was the Color of Her Dress, Then Silk Blues (Charles Mingus) / 11. Blues in Orbit (George Russell) / 12. The Barbara Song (Kurt Weill-Bertolt Brecht) - Arrangements : Gil Evans et Laurent Cugny // Enregistré en France en 2016.

Howard JOHNSON and GRAVITY : "Testimony"

> Tuscarora Records - 17-001 / http://www.hojotuba.com/store/p9/Testimony_CD.html

Howard Johnson : tubas, saxophone baryton, fifre, arrangements / Velvet Brown : direction d’ensemble, tuba / Dave Bargeron : tuba / Earl McIntyre : tuba / Joseph Daley : tuba, producteur / Bob Stewart : tuba / Joe Exley : tuba (sur 1, 5, 6, 7, 8) / Carlton Holmes : piano / Melissa Slocum : contrebasse / Buddy Williams : batterie /+/ Nedra Johnson : voix (2)

01. Testimony (H. Johnson) / 02. Working Hard for the Joneses (N. Johnson) / 03. Fly With the Wind (McC.Tyner) / 04. Natural Woman (C. King) / 05. High Priest (McC.Tyner) / 06. Little Black Lucille (H. Johnson) / 07. Evolution (B. Neloms) / 08. Way Back Home (W. Felder) // Enregistré récemment à New York.

L’AVENTURE DU JAZZ : "Vol. 1 & 2 – Musique du film de Louis Panassié – 1969-1972"

> Frémeaux & Associés - FA5666 / Socadisc

CD 01 - Milt Buckner, Orgue, Jo Jones, Batterie / Memphis Slim, Vocal Et Piano, Madeleine Gautier, Vocal (9) / Zutty Singleton (Solos De Batterie) / Sister Rosetta Tharpe, Vocal Et Piano / Document : Quelques Instants De L’Office Dominical De L’Église Évangéliste St Luc, Philadelphie.
CD 02 - The Stars Of Faith / Sister Rosetta Tharpe, Vocal Et Guitare / Cliff Jackson, P, Zutty Singleton, Dms / Michael Silva (Solo De Batterie) / Dick Vance Orchestra / Cozy Cole (Solo De Batterie) / John Lee Hooker, Vocal Et Guitare / Milt Buckner, Orgue, Jo Jones, Batterie / La Belle Claudine. Buddy Tate Celebrity Club Orchestra / Charlie Shavers

CD 01 - Milt Buckner, Orgue, Jo Jones, Batterie : Swingin’ In Biarritz • Tea For Two • Caravan. Panassié Stompers : Basin Street Blues • Montauban Blues • Chez Panassié Take 1 Et Take 2. Memphis Slim, Vocal Et Piano, Madeleine Gautier, Vocal (9) : No (It’S All Over) • Beer Drinking Woman. Willie « The Lion » Smith, Piano, Vocal (12) : Here Comes The Band • Relaxin’ • Music On My Mind. Zutty Singleton (Solos De Batterie) : New Orleans Drums • Rim Shots • Drum Face N°3. Sister Rosetta Tharpe, Vocal Et Piano : I Shall Not Be Moved • About My Life • Just A Little While To Stay Here. Document : Quelques Instants De L’Office Dominical De L’Église Évangéliste St Luc, Philadelphie.
CD 02 - The Stars Of Faith : Dry Bones • A Pity And A Shame. Sister Rosetta Tharpe, Vocal Et Guitare : Up Above My Head • Go Ahead • Guitar Is A Gift Of God • That’S All. Cliff Jackson, P, Zutty Singleton, Dms : Wolverine Blues • Memphis Blues • Honeysuckle Rose. Michael Silva (Solo De Batterie) : Foolin’ Around. Dick Vance Orchestra : Jumpin’ At The Woodside • Tin Roof Blues. Cozy Cole (Solo De Batterie) : Cozy’S Drums. John Lee Hooker, Vocal Et Guitare : When My First Wife Quit Me • Boogie Chillun. Milt Buckner, Orgue, Jo Jones, Batterie : Madeleine’S Garden • L’Ve Found A New Chapeau • La Belle Claudine. Buddy Tate Celebrity Club Orchestra : One O’Clock Jump • Jokin’ • The Mooche. Charlie Shavers : Blues For Hugues.

Stephan OLIVA – Susanne ABBUEHL – Øyvind HEGG-LUNDE : "Princess"

> Vision Fugitive - VF313013 / L’Autre distribution

Stephan Oliva : piano / Susanne Abbuehl : voix / Øyvind Hegg-Lunde : percussions.

01. The Listening (J. Giuffre) / 02. River Chant - Tree People (J. Giuffre) / 03. Princess (J. Giuffre) / 04. Trance (J. Giuffre) / 05. On Your Skin (S. Oliva) / 06. Desireless - Mopti (D. Cherry) / 07. Mosquito Dance (J. Giuffre) / 08. Winter Day (S. Oliva) / 09. Great Bird (K. Jarrett) / 10. Jimmy (S. Oliva) / 11. What A Wonderful World (B. Thiele) // Enregistré au printemps 2016 aux Studios La Buissonne (Pernes-les-Fontaines, 84) par Gérard de Haro.

[1Image signée Daniel Jan, génial graphiste jazzophile, un normand au "bon esprit" !

[2Aux débuts de l’orchestre, un jeune saxophoniste britannique (alors très chevelu !) se fit remarquer dans cet l’équipage. Un certain Andy Sheppard !

[3Hot Club de France - NDLR