À la Générale, c’est particulier.

Les Soirées TRICOT s’installent à la Générale comme tous les ans depuis six ans et pour la dernière fois. Ce lieu alternatif, balayé par la gentrification et la boboïsation va muter. Alternatif comme autre chose que le TINA (There Is No Alternative) chers aux gouvernants à idée fixe : la leur.
Sept soirées de musique, de before et d’after, d’attente entre deux concerts et de vie sociale. Ah oui, aucun écran vidéo, pas de retransmission de la salle au bar, pas de menus déroulants, bref, le monde sensoriel direct se porte à merveille : ici, on est touché et on se touche.

En amuse-gueule chaque soir, une rencontre improvisée.
Le lundi en ouverture, Daniel ERDMANN, sax ténor, Roberto NEGRO, piano et Joce MIENNIEL, flûte traversière nous rejouent l’histoire du couple à trois, le mari planqué dans le placard. À peine échangé un son pour caler la justesse, Erdmann tout en lèvres transforme son souffle en incipit imprévu, ça tient de l’ostinato têtu qu’il va torturer, plier, déplier, déconstruire, reconstruire comme un arbre généalogique à idées. Son petit gimmick boiteux, il s’y accroche le Erdmann et Negro le déboîte, le remboîte et ne lâche rien genre vazy Daniel, encore encore, on fait tout ce que tu veux. Il ne reste à Mienniel qu’à trouver le moyen de s’immiscer au sein du duo, d’y prendre sa place et d’y rester. Il s’y colle à coup de looooongues tenues. Le trilogue tout ce qu’il y a de constructif joue du dissensus comme d’un levier de cohésion, Negro au service discret des deux autres. Pas sûr que cette gentille manière de vivre crée l’adhésion chez les coincées de Sens Commun.

Après un détour par l’abreuvoir, retour à la grande salle pour DAS SCHLOß avec
Guillaume AKNINE guitare, Jean-Luc CAPPOZZO trompette, Marco QUARESIMIN contrebasse et Julien LOUTELIER, batterie.
Là, il faut remonter le temps et partir de la fin de leur prestation. Qui sonne comme un blues simple, sans fioritures, du genre qu’on porterait dans nos gènes et nos mémoires auditives depuis longtemps. Capozzo qui joue un truc mélodieux attire Aknine qui se fend de la série d’accords qui va bien. Bon. Mais avant, que s’est-il passé ? Une introduction à cette chute bluesy, une introduction qui renvoie direct aux grandes heures du Festival de Partenay quand les bruitistes s’y retrouvaient pour célébrer l’usage de leur instrument de musique sans jamais en tirer un son académique. Voilà : ils nous ont fabriqué un univers de bruits, dans une compétition à celui qui ferait le moins de bruit ou le plus fin ou le moins différent ou le plus pareil.

Samedi c’est Luis LOPES, sa guitare électrique, ses pédales d’effets et ses baffles qui ouvre la soirée avec NOISE STEREO.
Pas de chaises dans la salle, on teste l’endurance des grabataires, des faiblards de la hanche et de ceux qui pensaient se faire une petite sieste apéritive. Et le Lopes, on se dit tiens, pour un concert en appartement, c’est une bonne idée, il ne prend pas beaucoup de place, un seul mec tu limites ton budget et puis la guitare, ça plaît toujours.
Ça, c’est avant sa performance.
Parce que le mec s’installe entre les deux baffles qui se font face et là, bonjour le larsen. Luis, c’est le roi du larsen. Pardon, l’empereur. Si t’as raté l’époque de l’underground français pendant les sixties, bienvenue pour la révision. Faire chanter une corde ? Oublie. Donner à entendre un son propre avec ses harmoniques qui vibrent dans l’air ? Oublie aussi. Du gros son bien épais avec les bavures collées à la moustache.
T’as l’impression d’être assis dans le réacteur d’une fusée dont aucune pièce ne bouge sans crisser. L’huile ? On ne l’a pas encore inventée. Et crisser pour ce mec, c’est avec 2000 watts dans les oreilles. Autant dire qu’à jouer dans ton appartement, il fait sortir en moins de cinq minutes les 400 résidents leurs objets les plus précieux à la main et les enfants dans les bras en pensant au mieux à un fou qui sectionne la ferraille dans les soubassements de l’immeuble avant de s’attaquer à l’ossature verticale, au pire aux prémices d’un tremblement de terre.
Dans la rue, porte refermée, c’est à peine plus discret : ce mec est un partageur de sons. Ou le copain d’un marchand de prothèses auditives.
On aurait dû mieux lire l’intitulé de son set.

Ensuite, et merci aux gens du TRICOT pour la variété de leurs propositions et leur culot, l’hyper grand orchestre UMLYWOOD ORCHESTRA avec plus de trente musiciens-iennes.
Devant nous, en bas du praticable, les cordes, rien que féminines sauf un ; au violon, Patricia BOSSHARD, Amaryllis BILLET, Clémentine BOUSQUET, Solène GIL, Stephanie PADEL, Laetitia RINGEVAL, Marie SALVAT, Yaoré TALIBART, Hugo VANRECHEM.
À l’alto, Hélène BARRÉ, Julie LEGAC, Elsa SEGER. Aucun violoncelle ce soir.
Derrière elles, que des hommes sauf une ; tout en haut à la trompette, Louis LAURAIN Brice PICHARD, Gabriel LEVASSEUR, Julien ROUSSEAU, en dessous au trombone, Judith WEKSTEIN, Michaël BALLUE, Aloïs BENOIT, ; au cor, Nicolas CHEDMAIL.
En plus bas, aux sax ( et clar) : Benjamin DOUSTEYSSIER, Rémi FOX, Antonin-Tri HOANG, Geoffroy GESSER, à la flûte et piccolo : Joce MIENNIEL et les autres : à la guitare, Romain VUILLEMIN et Jean-Baptiste TANDÉ ; au piano, Matthieu NAULLEAU ; à la contrebasse, Sébastien BELIAH, à la batterie : Antonin GERBAL, aux percussions : Benjamin HUYGHE et Nils WEKSTEIN.
Sapés comme des princesses et des princes, plus sérieux qu’au Philharmonique, ils se lèvent à l’entrée du chef, Pierre-Antoine BADAROUX. Pfff, ça sent la France en ordre.
Hénaurme public : entre l’espace dédié à l’orchestre et celui qui lui reste, il aurait fallu louer Bercy et bien sûr, pas question de gambiller ou alors, collés-trés-trés-serrés, un truc à se reproduire sur place.
Avec Let’s face the music and dance, ils nous câlinent les oreilles, histoire d’oublier le maelstrom précédent. Le velouté des cordes, les saillies des cuivres, un vrai big band qui swingue. Back to the fifties.
Ils sont rejoints par Linda OLAH, la chanteuse. Inutile d’attendre le rappel pour saisir qu’il s’agit de musique du patrimoine, Linda en crooneuse fatale avec des standards comme s’il en pleuvait : Night and Day ( Dégage Sinatra, c’est mieux avec Linda ), By myself, Just one of those things, September song, Brasil, etc....
Louis Laurain la rejoindra pour un duo, elle cédera le micro au guitariste Romain Vuillemin pour interpréter Show me the way to go home, façon crooner lui aussi.
Ils envoient The beat goes on, revisité très mimi : une première partie en mode simplissime avec la voix quasiment seule et la fin en gros big band énervé qui lâche ses coups.
La foule en délire les rappelle of course évidemment.
Autant dire que dans la rue, on est au bord du commencement d’un début de manif pour le premier mai : el pueblo unido jamas sera vincido !!

Lundi 24 avril et samedi 29 avril 2017
La Générale
14, avenue Parmentier
75011 Paris

PS pour les curieux : Agitation frite, témoignages de l’underground français par Philippe ROBERT (Ed. Lenka Lente).


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