Après la disparition d’André Clergeat, il y a tout juste un an, suivie par celle de Lucien Malson en ce début d’année, les rangs des écrivains, critiques, historiens, producteurs, etc., du jazz se sont brutalement éclaircis après les décès de Gérard Terronès, Michel Delorme, Christian Bonnet et, fin juin, Alain Tercinet.
Si j’entretenais d’excellentes relations avec chacun d’entre eux, Gérard et Alain étaient des amis proches et fidèles depuis plus de 40 ans. La mémoire du premier a été justement saluée dans ces colonnes où nul n’ignore son activité inlassable de producteur – rigoureusement – indépendant (peut-être le seul dans ce pays) dont les six derniers disques sont présentés ci-dessous.
Le second est peut-être moins connu de nos lecteurs. Critique et historien, Alain Tercinet était l’un des plus fins connaisseurs de l’histoire du jazz, reconnu pour son érudition, son savoir et son honnêteté intellectuelle, sans parler de ses grandes qualités humaines. Auteur de plusieurs ouvrages majeurs (West Coast Jazz, Be Bop, Parker’s Mood), il était également très actif dans le domaine des rééditions (Jazz In Paris chez Universal, Quintessence et l’intégrale Charlie Parker, entre autres coffrets marquants chez Frémeaux & Associés). Il nous manquera beaucoup.

Revenons à présent sur les dernières productions de Gérard Terronès. Le Healing Orchestra, dirigé par le pianiste Paul Wacrenier, est un formidable ensemble de dix à douze musiciens qui joue tout en souplesse et liberté les compositions « ouvertes » du leader, faites de larges nappes orchestrales, de contrastes et de dynamiques. Comme l’écrit Olivier Ledure dans le livret, Wacrenier se situe dans une lignée Charles Mingus-William Parker, c’est à dire à l’opposé de ce que font la plupart des arrangeurs français. Je remarque en particulier le choix des rythmes ternaires plutôt que binaires, ce qui est très révélateur. Passionnant et réjouissant. «  From Now On ! » (Hôte Marge 13). (OUI !) (voir Les disques qui vous ont (peut-être) échappé-1 – 06/01/2016)..
Le guitariste Richard Bonnet (voir même rubrique que ci-dessus) est présent dans deux disques. Le premier en solo, sur une superbe guitare à sept cordes qui, sous les doigts du musicien, fait entendre un son d’une grande pureté et beaucoup de résonance. L’attaque franche, la qualité du jeu en accords, les belles compositions et les improvisations qui en découlent ravissent l’auditeur. « Morning Bear » (Hôte Marge 14). (Lire aussi la chronique de Pierre Gros - décembre 2015).
Richard Bonnet rejoint Caroline Faber (voix) et Éric Dambrin (batterie) et cela donne le trio Got To Bear où œuvres originales (Faber-Bonnet) s’accompagnent de « chansons » jazz teintées de pop-folk ou de soul-blues. Un joli récital chanté en français et en anglais. « The Fealing of Blue » (Futura Voix 04). (Lire aussi la chronique de Pierre Gros - février 2017).
Noël McGhie est une vieille connaissance. Ce batteur jamaïcain qui fut très actif sur les scènes parisiennes dans les années 70 – compagnon de longue date de François Tusques (voir François Tusques, jazzman (et) militant toujours – 15/10/2013) – nous offre, avec son Afro-Caribbean Project, entouré d’un sextette comprenant le trompettiste Rasul Siddik, un disque « tout simple, qui danse et qui balance » où les pièces du leader alternent avec des reprises fraîches, colorées et pimentées de Rollins, Ellington, Parker et Shorter. Une musique qui donne du bonheur. « Re-Masters » (Marge 54).
La pianiste Sophia Domancich était une fidèle de Terronès qui lui donna l’opportunité de réaliser plusieurs très beaux albums (voirTraversée de l’Atlantique, allers-retours – 17/12/2009) . Celui-ci reproduit un concert remarquable donné par un quintette de haute volée qui réunit Géraldine Laurent (sax alto), Hélène Labarrière (contrebasse), Nasheet Waits (batterie) et le grand tromboniste Ray Anderson. « Alice’s Evidence » (Marge 55).
Avec le dernier disque du camarade Gérard, enregistré il y a moins d’un an et que celui-ci aura eu l’ultime joie de voir réalisé quelques jours avant de s’éteindre, m’a dit son épouse Odile, il s’agit encore un retour aux sources du jazz avec la voix rude et volontaire de Sylvia Howard, chanteuse afro-américaine de grande tradition, qui interprète un répertoire de standards (pas les plus rabâchés) accompagnée par une rythmique souple et réactive menée par le pianiste Tom McClung, qui nous a quitté également il y a peu. Rappelons que Sylvia Howard était la chanteuse du Black Label Swingtet dirigé par l’ami Christian Bonnet. « Time Expired » (Blue Marge 1016). On ne pouvait trouver titre plus adéquat...

« Je garde un immense respect pour ce qu’il a fait pour le jazz et une grande affection pour le personnage. Des comme lui, on n’en fera plus, et c’est bien dommage. » m’écrivait Alain Tercinet lorsque je lui avais annoncé la mort de Gérard Terronès.

Les disques :