Le festival, du 6 au 10 juillet...

La 16è édition de Jazz à Porquerolles (et la 6è pour moi) s’est ouverte encore sous les meilleurs auspices le jeudi 6 juillet pour cinq jours. Désigné récemment comme l’un des lieux les plus féeriques pour écouter du jazz par Thierry Fabre dans Challenges, je reviens chaque année me ressourcer sur cette petite planète abordée il y a seize ans par Frank Cassenti le président de Jazz à Porquerolles. Et comme le figuier abritant les musiciens sur scène, la petite graine qu’il a plantée en 2002 n’en finit pas de grandir.

Incroyable Freaks Band à Porquerolles.

Pour dresser le décor, outre un environnement préservé et un décor somptueux, la nonchalance est de rigueur dans les petites rues où déambulent les fanfares joyeuses comme celle de l’Incroyable Freaks Band ou des Krakens dès midi, qui accompagnent aussi les festivaliers au Fort Sainte Agathe arrivés par le dernier bateau spécialement affrété pour eux à 20 heures depuis la Tour Fondue. L’apéro est dignement fêté le soir vers 18 heures dans les différents bars du village avec cette année Mama Laveau, Alexis Tcholakian ou encore Amou Caché comme l’an passé où officie Frank Cassenti à la guitare. La crieuse publique Simone Lagrand prête parfois sa voix en attrapant les mots pour en jouer et régaler un public familial conquis très rapidement. Pique-nique musical oblige le dimanche midi au Domaine Perzinsky avec Les Krakens et Simone Lagrand, juste après une interview cette année qui a bien failli être arrosée, d’Emmanuel Bex et Olivier Temime qui avaient joué la veille dans The Volunteered Slaves. Concours de pétanque, rencontres musicales chaque matin avec des musiciens, ateliers pour enfants et adultes et spectacle musical le dernier jour sur le parvis de l’église complètent ce tableau quasi idyllique.

On se reportera pour la programmation totale du festival sur le site (www.jazzaporquerolles.org/programme). Cette année, comme l’ont souligné certaines personnes dans le public, les secondes parties de concert semblaient mal s’articuler avec les premières… et le contraste a paru parfois presque violent. Les années précédentes m’avaient semblé plus douces et homogènes. Et j’avoue avoir bloqué mon écoute qui s’est mise en retrait avec la volonté de rester en zone non turbulente. Les avis divergeront sans doute et c’est tant mieux !

André Minvielle

André Minvielle en solo a lancé le festival jeudi 6 juillet en bon gascon vocalchimiste comme il se définit. Une heure de bonne humeur avec des titres familiers comme Le Bovelo de Babel, Confirmation (Charlie Parker), Kyou Kyaw écrit avec Nougaro, L’Horloger, Lagenaria, Rocarocolo (donnant lieu à des fous rires généralisés à l’évocation de son grand-père) ou encore des titres de son dernier disque « 1Time » comme Le Verbier, Keskifon (hommage au glaciologue Claude Lorius) ou la reprise si émouvante d’Etranges Etrangers de Jacques Prévert en 1946… Constat glacial… Le rappel ne pouvait pas se faire sans la Flambée Montalbanaise a capella composée en 1940 par Gus Viseur. Le Fort a alors résonné au tonnerre d’applaudissements qui lui a été réservé !

Suivit un grand moment de jazz pour les puristes avec le saxophoniste ténor Chris Potter accompagné d’Eric Harland consacré comme étant l’un des meilleurs batteurs au monde par Downbeat et du très jeune et surdoué James Francies aux claviers. Un trio de haute volée, exigeant et explosif nous accordant le privilège d’être le témoin d’une alchimie complexe et élaborée. Quelques mois après la sortie de son dernier album « The Dreamer is The Dream », son arrêt à Porquerolles fut une excellente initiative.

Susanne Abbuehl & Edward Perraud

La soirée du 7 juillet commença par un trio magique qui restera pour moi l’un des meilleurs concerts de l’été rayon poésie. En effet c’est avec le projet « Princess » que la chanteuse suisse Suzanne Abbuehl accompagnée du pianiste Stefan Oliva et du batteur Edward Perraud (qui remplaçait haut la main Øyvind Hegg-Lunde) a hypnotisé le public. Rappelons que l’album a été enregistré aux Studio La Buissonne de Gérard de Haro. Le trio avait donné le matin même une interview déjà en apesanteur et en douceur. Une musique inspirée principalement par Jimmy Giuffre ( The Listening, River Chant, Princess) , Don Cherry ( Desireless) ou Keith Jarret ( Great Bird de l’album « Death and The Flower ») avec des compositions de Stefan Oliva (On Your Skin) où la chanteuse place ses propres paroles en anglais ou une reprise chair de poule de What a Wonderful World de Bob Thiele également. Ce projet mûrissait déjà depuis 16 ans entre le pianiste et la chanteuse. Ce fut un voyage onirique et apaisant dans le cadre on ne peut plus adéquat du Fort Sainte Agathe avec la lune montante. Un concert comme j’aime à entendre à Porquerolles.

Médéric Collignon

Le contraste avec Panorama Circus fut d’autant plus rude. Ce projet porté par le pianiste Matthieu Jérôme et Jean François Blanco à l’électronique, qui furent rejoints par Blaise Chevallier à la contrebasse et David Aknin à la batterie, avait été complété par le saxophoniste alto Logan Richardson et le trompettiste et bugliste Médéric Collignon, soit l’eau (Logan-Lagon ?) et le feu comme cela a été souligné par l’interview du lendemain. Outre les pitreries de Collignon qui en ont incommodé plus d’un (il faut le connaître, car cela cache une grande sensibilité et générosité), il a été regretté qu’à aucun moment l’eau ne rencontre le feu. Quel en aurait été le résultat ? L’un aurait-il éteint le second ou vice-versa ? La joute de ces deux talents aurait été fichtrement intéressante ! Un futur disque devrait voir le jour en espérant y écouter justement cette rencontre.

Naïssam Jalal

Samedi 8 juillet, ce fut la flûtiste d’origine syrienne Naïssam Jalal dans le quintet Rhythms of Resistance, qui enchanta et bouleversa le public. L’accompagnaient Mehdi Chaïb (saxophone ténor et soprano, percussions), Karsten Hochapfel (guitare, violoncelle), Zacharie Abraham (contrebasse) et Arnaud Dolmen (batterie). Commençant par le titre de son précédent album « Osloob Hayati », suivi d’un Nomades fort à propos, les larmes ont coulé sur le poignant Almot Wala Almazala, titre éponyme de l’album (La mort plutôt que l’humiliation, scandé par les syriens descendus dans la rue pour réclamer liberté et dignité dans les rues d’Alep), où sa manière de chanter tout en jouant de la flûte a parfaitement illustré la douleur lancinante du peuple syrien. Une artiste sensible et poignante merveilleusement servie par des musiciens soudés autour d’elle tout en sourires. Un grand concert vraiment qui aurait nécessité d’être suivi d’un concert de même tonalité.

Or ce furent The Volunteered Slaves. Loin de moi l’idée de les critiquer car dans l’absolu ce fut un bon concert mais totalement à l’opposé du premier et ce fut difficile d’y entrer, d’autant plus que des problèmes de son le desservirent. Collectif de dix musiciens et chanteurs(ses) réunis autour du saxophoniste Olivier Temime, l’énergie de ce concert était toute différente. Dans ce projet « Ripcord » très hip-hop, pop et électro, l’envie de bouger et danser est forte car le slameur Allonymus y est fort entraînant comme dans The Gambler , ou les reprises comme celle des Pink Floyd Us & Them ; mais personnellement, je n’étais pas redescendue du concert précédent. Gageons que l’after qui suivit ouvert à tous avec eux fut une réussite car les clameurs se prolongèrent tard après minuit.

Zaccharie Canut

Le dimanche 9 juillet au soir, Kolmoset ouvrit la soirée : nous avions décerné à l’unanimité le Prix du Jury cette année au Tremplin Jazz Porquerolles à ce jeune trio mené par le saxophoniste ténor Zacharie Canut, avec Yves Marcotte à la contrebasse et Nathan Vandenbulcke à la batterie ayant aussi obtenu un prix spécial pour ce jeune talent. Le trio commença très fort dans l’abstraction et certains furent désarçonnés ; mais ensuite la montée en puissance arriva assez vite. Les trois musiciens forment un triangle parfait au grand niveau d’exigence entraperçu dans les titres des compositions comme Tzara en hommage à Tristan Tzara, Play the Piano Drunk Like a Percussion Instrument Until the Fingers Begin to Bleed a Bit titre d’un livre de Bukowsky, Youpi, composition du contrebassiste en hommage à James Joyce ou Demian dédié à Hermann Hesse. Un court rappel devinette (C’était Prières d’Erik Satie) acheva ce concert parfait pour précéder celui du Prince de Porquerolles parrain du festival, j’ai parlé d’Archie Shepp.

Archie Shepp et ses invités.

François Carassan, adjoint à la Culture de la Ville d’Hyères et grand protecteur du festival, introduisit brillamment comme à son habitude le concert en nous retraçant les passages marqués d’Archie Shepp dans la région et nous rappelant le film de Frank Cassenti consacré à Archie « Je suis Jazz, c’est ma Vie ». Dans ce dernier Archie lit une phrase de Rimbaud dans Une Saison en Enfer : «  Je suis de la race qui chantait dans le supplice ». Archie est entier dans cette formule. À l’occasion de ses 80 ans ( le 24 mai) la Ville d’Hyères lui remit une médaille gravée à son nom. Suivit un excellent concert où Archie accompagné de Mino Cinellu à la batterie et percussions, Alune Wade à la basse et du grand Cheick Tidiane Seck aux claviers, donna encore, comme chaque année le meilleur de lui-même, tel un jeune homme engageant toute son âme. Blues, musique mandingue créole, slam, musique africaine, tout finit avec un boogie woogie infernal qui mit le feu au fort avec toute une série de rappels.

La dernière soirée présentée par Simone Lagrand commença en poésie une fois de plus avec un spectacle conçu par Frank Cassenti qui nous proposa des lectures diverses : accompagné d’Aldo Romano et de Michel Benita qui jouait pour la première fois avec Jacky Terrasson, on écouta des passages et anecdotes sur Thelonius Monk (avec des variations sur Blue Monk et Round Midnight), sur Archie Shepp, sur Billie Holiday (avec Sophie Antkowiak au chant), sur Michel Petrucciani (Thème Pasolini composé par Aldo Romano). Un beau concert improvisé et léger qui n’alla pas du tout non plus avec la seconde partie.

Shabaka Hutchings

Shabaka & The Ancestors prit la suite pour un grand concert presque d’une traite. Je connaissais le saxophoniste londonien Shabaka Hutchings dans Sons Of Kemet qui m’avait fait forte impression à Coutances en 2013. Il nous emmène ici en Afrique du Sud avec des musiciens sud-africains baptisés The Ancestors dans sa dernière création « Wisdom of Elders ». Incantations, harangues parfois violentes et répétitives menées par Siyabonga Mthembu qui en a effrayé plus d’un, les saxophonistes étaient heureusement formidables, Shabaka Hutchings étant accompagné du saxophoniste alto Mthunzi Mvubu. Le contrebassiste Ariel Zomonsky , le batteur Tumi Mogorosi et le percussionniste Gontse Mkhene (tel un diable rouge sur la photo) assurèrent une rythmique implacable. Toutefois j’avouai vite ma lassitude devant tant de fulgurance assez fatigante et exaltée, même si on y reconnaissait du Coltrane ou du Sun Ra. Un dernier morceau apaisé par la contrebasse d’Ariel Zomonsky fut le bienvenu ! Et je redescendis du Fort avec une sourde inquiétude véhiculée par cette musique et je ne fus pas la seule ! Comme il est étrange l’accueil que l’on peut avoir vis-à-vis de telle ou telle facette du jazz !

Heureusement Jazz à Porquerolles, ce n’est pas que le festival mais aussi les Apéros Jazz de l’Hôtel Le Provençal sur la Presqu’île de Giens tous les jeudis d’été, la saison jazz au Théâtre Denis, les concerts au Temple protestant et à l’Hôtel des Arts de Toulon ou à l’église anglicane d’Hyères, les actions dans les centres de détention et auprès des lycéens, des hôpitaux ou des maisons de retraite. Merci à toute l’équipe pour son implication et son accueil chaque fois formidable !
Rendez-vous pour d’autres belles aventures !

André Minvielle
André Minvielle
Eric Harland
Chris Potter
James Francies
Susanne Abbuehl
Stefan Oliva
Susanne Abbuehl & Edward Perraud
Panorama Circus
Logan Richardson
Naïssam Jalal Rhythms Of Resistance
Naïssam Jalal
Karsten Hochapfel
The Volunteered Slaves
Mafe, Kiala Ogawa, Raphaela Cupidin
Olivier Témime
Zaccharie Canut
Yves Marcotte
Nathan Vandenbulcke
Médéric Collignon
Archie Shepp et ses invités.
Mino Cinelu
Archie Shepp et ses invités.
Lecture musicale à Porquerolles
Michel Benita, Franck Cassenti
Jacky Terrasson
Shabaka Hutchings
Mthunzi Mvubu
Mthunzi Mvubu, Ariel Zomonsky
Pique-nique musical à Porquerolles
Les Krakens65
Franck Cassenti
Mama Laveau
Incroyable Freaks Band à Porquerolles.