Cent vingt troisième étape

Shabaka Hutchings

La rentrée, c’est comme la sortie. Faut y passer pour savoir. Savoir quoi ? C’est, en toute circonstance, la question qui s’impose et se pose. Et nous, n’aimant pas les réponses, nous optons habituellement pour la question suivante. Alors, après les clunyseries aoûtiennes pointues, quoi de mieux qu’une soirée au psychédélisme jazzo-électro-cosmogonico-interstellaire ? Oui ? Et c’est là que vous vous demandez si l’interrogation suscitée ici vaut son pesant de cailloux lunaires musicaux, de trous noirs apocalyptiquement mélodiques et de vent intersidéral itératif, bref de musique du XXIème siècle fantasque propice à la transe hypnotique et à l’exsudation humaine odorante enrichie à la bière. Laissez-nous vous dire que c’était chaud dans la petite salle du Périscope. Nous vîmes même un drôle d’hurluberlu secouer sa carcasse en fumant une cigarette électronique… La fin du monde approche… et l’afro-futurisme du londonien Shabaka Hutchings, accompagné par les dénommés Danalogue aux claviers-bidouille et Betamax à la batterie, a fait pleurer quelques oreilles et réjoui les esprits réunis autour d’un culte sunraesque et/ou zappaïste (ignoré de la plupart) dans une exaltation spatiale de l’instant musical ; et le pérégrin était présent, wow ! « Le pérégrin écoute The comet is coming  ». Comme titre, c’est à peu près aussi vraisemblable que « Martine mange un buvard avec Klaus Schulze  ». Mais ce fut néanmoins une réalité en ce 8 septembre qui vit également le lancement de Star Trek sur NBC en 1966. Alors quoi ? Il faut bien que rentrée se fasse. C’était ça ou « Super Nanny  » sur NT1.

Danalogue

Fidèle à ce que nous avions au préalable écouté sur Bandcamp au plan musical (avec les vitamines scéniques en sus) mais plus brouillonne au niveau sonore de par l’acoustique du lieu et le volume imposé, la musique du trio fut plutôt séduisante dans son ensemble. Énergique en diable et dédiée à l’extatique plus qu’à l’introspectif, elle se déclina tout au long de la soirée en une suite ascensionnelle entrecoupée de brèves pauses et de quelques introductions solitaires du ludion tripatouillant ses claviers, introductions dont nous nous serions volontiers passé. D’abord encapuchonné et gigoteur, puis à découvert et franchement agité, Danalogue (puisque c’est son nom) démontra qu’il possédait les codes du genre. Tout comme le batteur Betamax (puisque c’est son nom) qui sut fournir l’exemple d’une binarité quelquefois approximative. À eux deux, ils donnèrent du grain à moudre au public gesticulant qui leur faisait face et cela ne nous fit aucun effet particulier car, à vrai dire, nous trouvâmes cela assez pauvre. De fait, ce trio ne tient debout que par le talent et l’originalité de Shabaka Hutchings. C’est lui qui porte les mélodies et donne son identité véritable à cette musique. Quels que soient les effets employés avec son instrument, ses soli s’imposèrent ce soir-là naturellement car ils étaient aussi intelligents qu’habités. En technicien redoutable et en improvisateur affûté, il donna toute son épaisseur à cette musique, et sa raison d’être aussi. N’allez pas croire que l’on fasse la fine bouche et que l’on veuille le meilleur en toute occasion, mais il est évident que Shabaka Hutchings avec The ancestors comme avec Sons of Kemet anime des projets musicaux d’un tout autre calibre. Ceci étant écrit, nous ne vous déconseillerons pas The comet is coming. Cela demeure un power trio contemporain capable, le temps d’une soirée, de vous déconnecter des réalités tristes et sordides de ce bas monde qui pourraient peupler le quotidien de votre esprit alerte ou vos nuits d’insomnie à vous débattre dans les doutes abyssaux d’un questionnement sans fin : La rentrée et la sortie, faut-il y passer pour savoir ?


Dans nos oreilles

Matt Wilson - Honey and salt


Devant nos yeux

Joseph Andras - De nos frères blessés