Cent Trente neuvième étape

Christophe Waldner

Pris par la folie venteuse d’un 9 mars météorologiquement décoiffant, le pérégrin que nous sommes osa l’aventure. Fichtre ! La déraison a ses raisons que la raison ignore… Il se rendit donc au Bémol 5, club de jazz ouvert depuis moins d’un an dans le vieux Lyon où il fut fort bien accueilli. L’on y mange et écoute les jazzmen d’ici et d’ailleurs dans une ambiance cosy et conviviale. Rien à voir avec le vieux club malodorant, usé par le temps. En ces lieux, assis au bord de la scène, nous entendîmes les instruments partager l’espace sonore avec le bruit des couverts qui nourrissaient l’amateur de ternaire ; comme dans nos vieux vinyles et nos vieux souvenirs. Ce fut en sus une soirée festive que ce vendredi soir car France Musique avait décidé d’honorer le lieu de sa présence en présentant en direct les émissions d’Alex Dutilh et Nathalie Piolé puis en enregistrant pour le Jazz Club d’Ivan Amar le concert du Foehn trio (Christophe Waldner, piano & claviers / Cyril Billot, contrebasse / Kevin Borqué, batterie). La jeune formation rhônalpine interpréta des compositions originales principalement initiées par la montagne et à ses paysages. Identitaire sans être recluse, sa musique se joua de la mélodie en la bousculant avec une énergie quelquefois sèche comme un éclat granitique. Mouvante aussi, tout à tour paisible ou ardente (un torrent, peut-être), elle instaura une climatologie particulière non dénuée d’intérêt, notamment dans le traitement rythmique (attention, chute de pierres). Si nous ne fûmes pas entièrement convaincus par le clavier d’appoint et l’électronique percussive, nous appréciâmes un ensemble de qualités prometteuses articulées autour d’un nuancier conséquent doublé d’un corpus musical aux structures assez innovantes pour élaborer des lieux sonores contrastés loin de toute standardisation. Déjà lauréat du tremplin Cosmo jazz 2016 et prochainement finaliste du Tremplin Rezzo à Jazz à Vienne 2018, les trois musiciens ont enregistré à Chamonix un premier album sur le label créé par André Manoukian. Il nous semble donc que les fées se penchent beaucoup sur leurs berceaux. Tant et si bien qu’ils vont devoir faire gaffe à leur intégrité artistique et se méfier, qui sait, du tournis qui pourrait survenir. Combien en a-t-on vu apparaître et disparaître au gré du vent mauvais qui parcourt la rue du commerce ? Combien en voit-on perdurer hélas, englués qu’ils sont dans la mièvrerie et l’inéquitable commerce de l’inutile accord ? Évoquons donc en lieu et place aujourd’hui le souffle éolien dans l’une de ses formes humaines la plus belle. Lecteurs (masochistes qui s’attardent ou s’acharnent sur ma prose), il est indispensable de se souvenir que la magie colemanienne du maître Ornette vit le jour avec lui un 9 mars de l’an de grâce 1930 à Fort Worth (Texas). L’harmolodien qu’il devint fut d’abord (et toujours) le plus expressif des dynamiteurs zen. Ce genre d’olibrius, ça vous change un paysage en pays turbulent. Et ce n’est pas des sornettes. En attendant le printemps (des poètes entre autres), le jazz ne devrait-il pas s’en souvenir ?


Dans nos oreilles

Shelby Linne - Just a little lovin’


Devant nos yeux

Mario Pomilio - Le récit interrompu