Cent quarante troisième étape

Marike Van dijk

Au quatre-vingt-dix-septième jour de l’année, nous écoutions une fois de plus le très beau, le très original et le très orchestral disque de Marike Van Dijk, « The stereography project » [1], quand nous revint soudain à l’esprit que le Chorus lausannois nous attendait avec sur scène un trio helvétique, en l’occurrence celui du jeune Florian Favre dont les chroniqueurs locaux disent, tous en chœur, le plus grand bien. Sur la route, l’on essaya d’écouter avec soin le nouveau Mark Murphy [2]. Quoi, essayer ? Comment cela ? Le vrai, le seul et unique, l’adulé, est mort et enterré, nous le savons. Celui dont nous confabulons ici avec vous et qui vient de commercialiser un disque, plus ou moins pop et jazz, est plutôt guitariste et chanteur. Chanteur ? Au mieux, il susurre avec un timbre chaleureusement éraillé propre à faire se pâmer une oie blanche en goguette au supermarket. Croyez-vous cela ? Le bougre écorche sans vergogne en ouverture le « Lay lady lay  » du Bébert Zimmermann. Disqualifié d’entrée pour atteinte au sublime. Quasi du terrorisme trumpien. Et au second morceau, il transforme en smoothy framboise à l’aspartam « Somebody’s baby », l’un des plus jolis rêves érotiques de Jackson Browne. Nous avons oublié le troisième titre. Au quatrième, nous fûmes contraints d’abandonner la partie quand il débuta une sorte de reggae par un sirupeux « Kiss me on the neck »… On sauta tout de même à la septième plage pour tenter une écoute (quel professionnalisme) de sa version mielleuse de « Pocket full of rainbows »… Mais non, nous ne voulions pas mourir de suite dans les mêmes douleurs que l’Elvis qui ondulait du pelvis, comprenez-nous. Alors, mus par un infaillible instinct, nous abdiquâmes férocement, farouchement, laissant à ce Mark Murphy toujours vivant le beau pays de Candy. Et c’est en jetant un œil au line up que l’on pensa que bien des jazzmen de qualité avaient du mal à boucler les fins de mois. A ce stade de flottaison interrogative, nous sombrâmes alors dans des profondeurs réflexives empreintes d’une ségolènesque gravitude, au moins jusqu’au péage.

Florian Favre

Et Florian Favre, l’écoutâmes-nous à la fin ? Oui. En ce 07 avril 2018 qui vit aussi, en 451 de notre ère, Attila piller la bonne ville de Metz. Huns pour tous, n’est-il pas ? Et tous pour la musique ? Cela convint bien au trio du fribourgeois de naissance qui donna en deux sets un aperçu probant du talent que la presse lui prête non sans raison. Souvent beaucoup plus jazz que pop, les compositions originales (plutôt mélodiques) du pianiste s’articulèrent autour de constructions fines et ne manquèrent ni de panache ni d’inventivité. Chacun des protagonistes (Manu Hagmann à la contrebasse et Arthur Alard à la batterie) donna le meilleur de son art avec une intensité assumée. D’accord, d’accord, à quelques moments, nous eûmes préféré plus de douceur, moins d’emballement, de crescendos furieux. Si le premier set dans son ensemble montra une belle cohérence, le second, nous sembla moins équilibré et nous fit parfois souvenir des débordements Svenssonnesques du power trio EST en d’autres temps. Bien que cette référence ne soit pas honteuse, ce n’est pas celle que l’on goûte avec le plus de plaisir. Peut-être est-ce essentiellement dû au nombre incalculable de jeunes trios aussitôt nés, aussitôt morts, qui s’engouffrèrent (avec moins de talent) dans la brèche ouverte par les suédois et que nous subîmes à longueur de soirées, clubesques ou festivalières, durant quelques années qui nous parurent des siècles. Ceci écrit, nous passâmes sous la voûte du Chorus un fort bon moment ; c’est généralement ce qui survient quand on est en bonne compagnie. Pas la septième donc…


Dans nos oreilles

Zoltán Kodály - String quartets 1 & 2


Devant nos yeux

Akira Mizubayashi - Un amour de mille ans


[1Voir la Pile de disques d’avril 2018, ici... - CultureJazz.fr

[2"Pocketfull of Rainbows" : voir la Pile de disques d’avril 2018, ici... - CultureJazz.fr