Cent quarante septième étape

Sphaira

26 avril 2018. Il y avait belle lurette que l’on n’avait mis les pieds à l’Amphi de l’opéra de Lyon. « Sphaira  », le nouveau projet de Susanne Abbuehl avec Magda Mayas au piano (bien) préparé, Marilyn Mazur aux percussions, accompagnées par Boris Darley pour le son, nous avait cependant convaincus de retourner dans ce haut lieu de la culture lyonnaise car, vous le savez, la découverte inlassablement nous appâte et nous émeut. Articulé autour de textes du poète Robert Lax (1915-2000), l’univers sonore inédit créé par les trois musiciennes s’apparenta sous certains aspects à une sorte d’interrogation cosmogonique donnant au texte poétique la musique qu’il méritait dans un espace instrumental résolument feutré. Mots et sonorités se mêlèrent et définirent les contours évanescents d’un onirisme astral talentueusement exposé par des artistes délicates ayant voué leurs âmes réunies à la subtilité et à l’ineffable mystère qui vibre en nous, qu’on le veuille ou non. Autour de la fluidité textuelle du poète américain, qu’elle soit terrestre, aquatique ou aérienne, un monde musical naquit, constellé d’éclats sonores évocateurs d’un espace encore (et toujours) à ressentir plus qu’à découvrir. Car il est bon, répétons-le, que le mystère demeure, surtout quand la densité du propos émerge dans les interstices fragiles des silences habités par l’écho d’un chant soutenu de ponctuations mélodiques arachnéennes. Avec ou sans début, avec ou sans fin, nous vous laissons le choix, cette boucle musicale en trois dimensions, cette parenthèse au pays des merveilles, confisqua au temps son droit de passage, ce qui suscite chez nous en toute occasion une émotion particulière, inclassable à tout coup, mais pas sans saveur. Si le public fut un peu clairsemé en cette première soirée de résidence, celles et ceux qui avait osé l’aventure éprouvèrent quelques peines à s’extraire du moment vécu, à retrouver leur terrestre attitude et son lot de grisaille quotidienne. Mais attendre l’aube après le crépuscule, comme une promesse, oblitère la noirceur nocturne. Alors guilleret comme un jour chômé, avant de rejoindre nos pénates, à ce point rendu, après ce temps volé à la médiocrité, trivial comme nous pouvons l’être, nous osâmes penser : c’est toujours ça de pris... Un long silence plus loin, cette question impromptue surgie comme il se doit d’un nulle part sidéral : Vous faisiez quoi le 26 avril 1336 ? Ah ! Vous l’auriez su, vous seriez parti randonner avec Francesco Petrarca, en français Pétrarque, puisqu’il choisit ce jour pour faire l’ascension du mont Ventoux. Espérons que le temps était clément et que Laure de Sade (celle dont « la démarche n’avait rien de mortel  », celle aussi dont « les paroles avaient un autre son que la voix humaine  »), l’accompagnait sur les pentes du géant pelé et venteux où, 682 plus tard, les cyclistes essoufflés et suants en quête d’incompréhensibles exploits remplacent depuis belle lurette les poètes.Et la boucle est bouclée. Pas la grande, naturellement.


Dans nos oreilles

Titft Merritt - See you on the moon


Devant nos yeux

Toni Morrison - Sula