Le jazz et la révolution culturelle.

Dans le cadre D’JAZZ KAB de l’association Media Music Dijon, 50 ans après mai 68, le trio EXPLICIT LIBER nous propose un nouveau mois de mai... en 2018 !

Le créateur s’appelle Benoît Keller, auteur-compositeur, contrebassiste. Il a décidé de tourner la page des arts du cirque où il a tenu fidèlement durant de longues années une place de musicien, pour se diriger maintenant vers d’autres aventures musicales.
Depuis plusieurs années Benoît recherche l’histoire et l’engagement d’anciens, dans ce qu’était en 1968 la vie sociale. Son oncle, impliqué dit-il, puis son père ont vécu des moments forts de mai 68. Benoît décide donc un jour, de retrouver des traces sonores de ces temps forts de notre Histoire collective pour les faire revivre avec sa musique.

Au delà des frontières de sa région la Bourgogne, Il parcourt les brocantes et autres lieux de ventes publiques, découvre et achète d’anciennes bandes sonores et disques vinyle de cette époque, des extraits de discours divers d’ouvriers dans les manifs, de manifestations à la Sorbonne, de déclarations d’hommes politiques comme certaines devenues historiques de Charles De Gaulle, ou de Jean Paul Sartre devant les usines Renault de Boulogne Billancourt, documents sonores uniques diffusés notamment à la radio et sur RTL. On écoute aussi des enregistrements avec des commentaires de journalistes en direct dans Paris, présents sur le terrain des affrontements de mai et tout près des barricades.

Il y a un an, avec tous ces éléments sonores précieusement collectionnés au fil du temps, nourris des compositions qu’il écrit spécialement, le bourguignon décide avec deux amis complices musiciens qui se connaissent depuis plus de vingt ans, Aymeric Descharrières saxophoniste et Denis Desbrières batteur percussionniste, de monter un spectacle-concert justement en hommage à cette époque alors synonyme d’un désir de changement réel de société et d’une soif de liberté.
Le spectacle devient alors un véritable voyage dans notre histoire, au cœur même de mai 68, voyage musical et poétique, synonyme ici de « jazz liberté ! », une création totalement épousée, partagée et assumée par ces trois musiciens. Au diable donc la chienlit !

Dans l’une des deux nouvelles salles de La nouvelle Vapeur à Dijon, les trois musiciens vont délicatement installer l’espace de leur jeu et le cœur de leur scène d’histoire sonore.
Deux magnétophones à bandes récupérés par Benoît, sont volontairement disposés bien en vue du public, l’un est positionné sur le devant de la scène, le second en fond et bien présent.
Ces deux appareils devenus presque des reliques à l’heure du numérique, vont pendant une heure et quart diffuser presque en permanence, des documents uniques et précieuses archives sonores, montées avec amour par l’initiateur du projet.
Cette toile de fond nous replonge carrément cinquante années en arrière. Des spectateurs qui ont connu de près ou de loin ces moments là ne cacheront pas une certaine émotion, cela transparaîtra même sur leur visage et dans leurs dires, après le rappel.
Les écritures de Benoît sont pour la plus part des mélodies colorées, elles sont jouées et interprétées principalement avec brio par le saxophoniste Aymeric Descharrières, brillantissime !

En quelques années ce jazzman que j’ai rencontré il y a plus de quinze ans et qui vit près de Dijon, a véritablement plus que grandi, ce passionné s’impose et s’emporte avec une maîtrise parfaite de son instrument, une assurance technique qui lui permet à sa façon de produire tout ce qu’il a envie de nous donner tout ce qu’il a au plus profond de son corps et de son cœur et dans ce spectacle particulier, lors des différents moments de l’évolution de la musique.
Durant cette manifestation musicale pacifique, Aymeric se saisira aussi d’un mégaphone, comme un vrai manifestant, il éructera en polonais, ses grands-parents le sont d’origine, quelques mots extraits d’un discours m’a t-on dit de Lech Walesa, « l’esprit mai 68 » ne se vivait pas qu’en France, les lignes bougeront aussi sur plusieurs années hors des frontières de l’Europe.

Denis Desbrières quant à lui, s’affirme comme un fin maître, un solide des percussions. L’homme est délicat, plutôt discret, il sait parfaitement caresser les peaux des principaux éléments de sa batterie, comme il sait aussi préciser tous ses gestes pour faire résonner de la manière la mieux adaptée les voix ou les cris de ses cymbales, tout cela au rythme des besoins de l’écriture de Benoit. Denis en osmose, porte avec grandeur le trio.

Benoît à la longue chevelure qui nous rappelle pour certains un peu « Woodstock », a disposé pour sa création quatre instruments à cordes près de lui. Certes, on le connaît comme un grand contre bassiste mais ici il se partagera dans l’utilisation adaptée de ses instruments à cordes, ce sera pour beaucoup une surprise.
Benoît à en effet ajouté à sa contrebasse, pour les besoins de son histoire musicale, une guitare, une viole de gambe et un bouzouki. La viole de gambe, il l’a découverte il y a tout juste deux ans car depuis longtemps Benoît est aussi un amoureux de la musique baroque.
La viole de gambe, il en joue avec grâce et douceur. L’écriture de la lumière sur la scène avec le choix de couleurs chaudes, ajoute à son jeu un réel surplus de sensualité, le tout marié avec des sons sous-jacents de manifestations, tout cela est fait pour nous transporter ici ou là… dans l’ambiance de ce que devait être mai 68,

En autodidacte de ce bel instrument, Benoît a très vite décidé de l’intégrer dans le trio Explicit Liber.
On retrouve dans ses écritures, de belles tonalités celtes et couleurs irlandaises de surcroît.
Quant aux improvisations que l’on attend en écoutant du jazz, elles sont toujours décidées bien à propos, ici pas d’excès, le musicien se marie aux éléments sonores qui l’entourent, qui dictent aussi le rythme des enchaînements. Parfois c’est aussi l’arrivée d’un silence des instruments, mais la bande sonore du moment vécu est toujours là, nous faisant revenir d’un seul coup pour les plus anciens d’entre nous, songeurs d’une époque pas si lointaine…
Qu’en pensent alors les moins de vingt ans ? La contestation est là, elle demeure et j’imagine qu’elle ne disparaîtra pas de si tôt.

Enfin, le trio répond aux nombreux applaudissements avec un rappel choisi et de circonstance : « Ah ! le joli mois de mai à Paris » chant révolutionnaire en 1968 du Comité du Théâtre de l’Epée de bois. Le texte s’achève par cette phrase visionnaire : Ah ! le prochain mois de mai à Paris !!


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