Cent cinquantième étape

Michel Mandel

Voilà que l’autre soir, nous roulâmes en direction de Vienne (Isère). Sachant que l’on aime le jazz, cela peut paraître étrange… Sauf bien évidemment si l’on s’arrête avant. En l’occurrence, nous fîmes halte à Seyssuel (1989 habitants) pour assister à une soirée à trois plateaux, plus l’apéro. C’était la deuxième édition de la bien nommée « Au son de jazz » et elle réunit deux quartets et un duo qui, fort de leurs différences, offrirent au public une musique plurielle de grande qualité. Organisée par Daniel Peyreplane, photographe émérite mais pas que, avec le concours de la MJC locale et une tripotée de bénévoles souriants, cette soirée seyssueloise fut la preuve que la passion du jazz peut (et doit) se vivre dans tous les contextes. C’était un pari, ce fut une réussite. Le Novo quartet (Pascal Berne à la contrebasse, Pierre Baldy-Moulinier au trombone, Yves Gerbelot au saxophone et Michel Mandel aux clarinettes) entama les hostilités, une découverte pour nous, avec un répertoire varié mêlant compositions originales et reprises bien choisies. Légers et subtils, sans une once de fadeur, les quatre instrumentistes firent sonner et résonner des mélodies saillantes et fluides d’une profondeur apaisante, d’autant plus belles que la complicité des musiciens était patente : ils n’avaient pas besoin de se trouver puisqu’ils n’avaient pas besoin de se chercher. Comme toujours, cela fit une sacrée différence et personne ne s’y trompa. Ce jazz de chambre était bien chambré. La suite nous prit à bras le corps avec le quartet de Catali antonini (Alfio Origlio au piano, Pascal Berne à la contrebasse et Yvan Oukrid à la batterie). Ces derniers s’approprièrent sans les dénaturer des « standards méditerranéens ». Le rythme s’affirma dans ce qu’il avait de plus ensoleillé et la voix très évocatrice de la chanteuse fit frissonner l’auditoire avec des chansons frappées du sceau de l’intemporalité. En fallait-il plus pour convaincre l’assemblée ? Non, car le jazz des confins, celui qui aime à se perdre là où les puristes ne suivent plus, donne à qui veut l’écouter la fraîcheur de la découverte.

Ewerton Oliveira

Après cela, nous, à la place du pianiste brésilien Ewerton Oliveira et du percussionniste péruvien José Ballumbrosio, nous aurions un peu tremblé du genou. L’on s’attendait donc à ce qu’ils fissent la différence sur le volume et la syncope outrancière ; et nous étions prêts à sortir les plumes, les cariocas et le saint frusquin. Comme au festival, quoi. Quand il faut grave assurer vu qu’ils ont payé grave cher pour mater sur écran (très) géant les petits pois musicaux qui s’agitent sous les sunlights (qui trop piquent). C’était là les méconnaître et d’ailleurs, nous ne les connaissions pas. Mais c’est ainsi que nous rencontrâmes les rythmes afro-péruviens, un folklore (ce n’est pas péjoratif) inconnu de nos ouïes qui se maria sans encombre avec le jeu très retenu d’un brésil sensible et inspiré. Les deux protagonistes ne manquèrent pas d’imaginaire et le nôtre fut nourri. Certes, la densité terrienne était au rendez-vous, mais la langueur maritime aussi. Et l’on ne sut jamais vraiment qui du piano et qui des percussions mena cette danse habitée d’histoires et d’Histoire. Ce moment de générosité musicale paracheva une soirée se déroulant un 19 mai. Au cas où vous l’auriez oublié, c’est le jour de naissance de Joey Ramone (1951). Ça, c’est pour la sueur et la bière. Mais c’est également ce même jour de la même année qu’Alain Bernardin créa à Paris le Crazy Horse. Nous vous l’avions bien dit qu’il y avait des plumes… quelque part.


Dans nos oreilles

John Coltrane - At Newport


Devant nos yeux

Yves Bonnefoy - Correspondance 1