Cent cinquante et unième étape

Pour fêter la centième pérambulation du pérégrin, nous avions imaginé d’aller écouter et photographier Hugh Coltman au château du Moulin à Vent qui organisait ce concert en partenariat avec le Crescent de Mâcon. Une drôle d’idée nous direz-vous. Après tout, c’est juste un victorieux de la musique 2017 qui vient d’enregistrer un album à la Nouvelle Orléans. Ce n’est ni Jimmy Rushing ni Nat King Cole. Peut-être était-ce un acte manqué, l’expression d’un désir refoulé visant à honorer l’industrie du divertissement musical. Peut-être était-ce simplement l’envie de nouveauté ou une sorte de velléité consumériste tapie dans notre inconscient ; « les hommes brûlent de faire ce qu’ils redoutent » écrivait Jankélévitch… Quoi qu’il en soit, une chose nous gênait par avance. Il n’y avait pas le line up sur les sites des organisateurs. Comme si la maison de disque et le management du crooner, tirant à lui la couverture, méprisaient par omission des musiciens accompagnateurs considérés comme interchangeables. Broutilles, nous direz-vous. Nous n’allâmes de facto pas à ce concert car l’on donnait aux photographes que trois morceaux pour s’exprimer. Qui plus est, nous venions d’écouter le disque prétexte de la tournée et, honnêtement, nous ne lui aurions pas donné plus de trois morceaux pour s’exprimer. En sus, c’était le quatre-vingt-douzième anniversaire de Miles et les nues par-ci par-là crachotaient à qui mieux mieux. Nous fîmes donc une overdose de « Cellar Door Sessions » en attendant le 02 juin.

Manon Roussillat

Il faisait beau ce jour-là dans les jardins de l’hôpital de Fourvière. La fin d’après-midi débuta avec le Napastak quintet (Pierre Bertrand à la batterie, Lucile Courtalin à la contrebasse, Sergio Martinez à la guitare, Yervand Malazyan au saxophone et Manon Roussillat au chant), une formation toute de jeunesse (certains sont encore au conservatoire) et d’envie qui déroula une playlist de standards bien choisis en allant à la pioche chez Fragos et Rodgers et Hart et Porter et Hammerstein et d’autres encore. Encore un peu académique par moment mais pas sans idées, le quintet ne manqua pas d’aplomb, de swing, de justesse et fut chaleureusement applaudi pour ses évidents mérites et qualités. Notons au passage qu’il put tenir son rang grâce à la programmation de François Dumont d’Ayot qui fait la part belle aux jeunes talents. Le Napastak quintet, quant à lui, se souviendra d’avoir été félicité par les deux musiciens expérimentés qui clôturèrent la soirée. Qui ?

Gabriele Mirabassi

Sous les tilleuls, Gabriele Mirabassi & Roberto Taufic ou l’excellence musicale au carré. Prenez-vous ça dans la tronche et dites merci au festival « Jazz à cour et à jardins » qui trime, malgré la fuite des capitaux, pour proposer à chaque édition, depuis sept ans, une programmation de grande qualité, inscrite dans la ville et accessible à tous. Nous répétons-nous ? Oui, et alors ? D’un côté le guitariste brésilien, né au Honduras, de l’autre le clarinettiste ombrien de Pérouse et au milieu un arbre. Les deux se connaissent depuis une bonne vingtaine d’années. Pas l’arbre. Mais les trois savaient que la beauté était là, à portée d’instrument, d’imaginaire fécond, de fluidité, et d’osmose. Mirabassi et Taufic évoluèrent, comme toujours, dans un espace réservé aux extra-terrestres. Intersidéraux, donc sidérants, avec une aisance démoniaque, ils emportèrent le public dans leur sarabande autour du choro, de variations en improvisations, avec des chorus que seuls peuvent se permettre les sorciers fêtards rompus à toutes les diableries. Et ce fut limpide de bout en bout. Magique. Et ce fut trop court. On vous l’a dit plus haut. C’était un 02 juin, jour qui vit en 1970 disparaître Giuseppe Ungaretti, l’un des plus grands maîtres de la poésie italienne contemporaine. Conséquemment, il vous reste à lire ou relire « Vie d’un homme ».

Nous voulions aussi vous prévenir que Cent Pérambulations Du Pérégrin, cent cinquante et une étapes, ça commence à faire long. Surtout quand ceci cela dure depuis un temps que les moins de 1310 jours n’ont pas connu. Sabordons-les et n’en parlons plus. Qu’elles rejoignent les étagères de notre petite histoire. Soit, du pays, nous en avons vu. Du jazz, nous en avons écouté. Tout au long des routes parcourues, via déviations et bouchons, de grands festivals en petits clubs, la musique improvisée nous a promptement conquis, délicatement bercés, poliment interrogés, irrités parfois et exaspérés rarement sans toutefois nous laissés indifférents et blasés. Si c’est plutôt bon signe, il n’en faut pas moins finir un jour. Ne serait-ce que pour recommencer. Et c’est la raison pour laquelle le pérégrin reviendra vous narrer ses nouvelles aventures très bientôt car nous aimons plus que tout emmerder le monde avec nos conneries.


Dans nos oreilles

Jamie Saft quartet - Blue Dream


Devant nos yeux

Europe, N° 1049-1050 - Paul Celan


"Jazz à cours et à jardins"