Première équipée

On se souvient qu’au dernier épisode des Pérambulations (c’est ici), le pérégrin que je suis avait abdiqué devant un moulin à vent : ce qu’on appelle prendre un coup derrière les oreilles, de quoi au minimum entacher une légende à venir. Mais fi de l’adversité ! Sur mon rutilant destrier, (1.5 hdi), je repris la route ce jeudi 07 juin 2018, avec pour seuls compagnons des cieux lourds et gris pesant sur mes épaules. Merde, me dis-je ! Débuter une nouvelle aventure, que dis-je une nouvelle croisade, sous la flotte, n’est-ce pas déraisonnable ? Certes, je conçois que, dans votre esprit, ma raison soit sujette à caution. Mais la déraison a ses raisons que la raison ignore. Et vous, vous l’ignorez. On se connait ? Ensuite, comme tout chroniqueur de jazz qui se respecte, je suis ignorant et j’aime à l’être. Car c’est l’unique moyen d’appréhender la nouveauté en toute liberté. Et la nouveauté du jour était blonde et elle portait pour nom Alexandra Lehmler. Wer ist dieser musiker ? Une saxophoniste d’outre-Rhin évoluant en quartet (Appollonio Maiello au piano, Matthias Debus à la contrebasse et Borislav Petrov à la batterie). Et vous pensez immédiatement à un quartet after John de plus. Mais vous devriez savoir que nous évoluons dans l’après, que tout le jazz évolue dans l’après. Alexandra Lehmler elle, comme tout musicien allemand ou presque, évolua dans l’apprêt. C’était travaillé cette affaire-là. C’était précis et toujours mélodique. Le lyrisme avançait à découvert ; une seconde nature, natürlich, dans la galaxie teutonne du jazz, par quelque bout qu’on le prenne (qu’on l’apprenne). Le soprano chantait haut et clair. Pour l’occasion et par nécessité, ce fut acoustique car si le sonorisateur avait branché l’électricité, il eut été probable que les quatre germains finissent en Jackson four, façon barbecue à la sauce cramée. C’était généreusement improvisé et cela ne dura que trente minutes. Coup de théâtre à cour et à jardin. Même pas remboursé, c’était gratuit. A l’ouest, du nouveau. La faute à l’incontinence des nues. Comme vache qui pisse. Orage et des espoirs déçus. Dans le jardin de la Maison des Enfants d’Oullins, des seaux. Un goût d’inachèvement prononcé. Amer à boire. Pour les musiciens, les organisateurs et les spectateurs. La météo a des bas qui font débat. Des flots de la débandade et du fiasco émergea toutefois une lueur humide de satisfaction. Le pérégrin avait lavé son outil de travail noir et blanc à l’eau de pluie. Depuis, l’ancêtre est rutilant. Ceci écrit, en ce jour où Hölderlin fut rattrapé par la grande faux (1843), la musique me manqua cruellement. Dis donc Goethe Insititut, quand tu veux tu les fais revenir. On a un concert à finir eux et moi. Et mention spéciale à Alexandra Lehmler dont la deuxième composition jouée entre les gouttes se nommait « Autoroute du soleil  ». Au moins, sur l’âpre chemin crépusculaire du retour au campement des errants infortunés de la lande macronienne, j’eus quelques notes de chaleur pour adoucir le voyage et nourrir le rêve.


Dans nos oreilles

Pink Floyd - Meddle


Devant nos yeux

Toni Morrison - Jazz


"Jazz à cours et à jardins"


Alexandra Lehmler