C’est quasiment une habitude, un migrateur saisonnier fait escale à Chinon (Indre-et-Loire) le premier week-end de juin. Là se tient depuis 18 ans un festival qui mérite toujours le détour, pas seulement parce qu’il est totalement gratuit (eh oui !) mais aussi parce qu’il est pensé, piloté, programmé par l’équipe experte du Petit Faucheux, la fameuse association tourangelle qui fait vivre le jazz et les musiques improvisées tout au long de l’année dans sa salle, sa ville et ailleurs. L’objectif de cette action culturelle annuelle est simple : faire s’épanouir le jazz en différents lieux de la ville, dans et hors les murs durant un plein week-end.

Arrivé dans l’après-midi, il était grand temps de rejoindre la parade qui allait nous mener dans les jardins de la forteresse royale... C’est parti !

La Fanfare Saugrenue

Partie du centre-ville avec ses rues et places au charme marqué par l’histoire, La Fanfare Saugrenue emmène derrière elle une foule éclectique pour entrer dans la forteresse royale et occuper les jardins de manière joyeuse et pacifique.

Orchestre National de Chambre à Coucher Dehors

18 heures. Les rayons du soleil invitent à la détente pour écouter l’Orchestre National de Chambre à Coucher Dehors qui parvient à capter l’attention d’un public émoustillé par la fanfare avec une musique intimiste qui mêle avec subtilité les influences de musiques traditionnelles d’Europe et d’ailleurs en laissant de l’espace à l’improvisation. En acoustique et en plein air, la tâche n’est pas forcément facile pour ces valeureux instrumentistes !
Jean-Baptiste Réhault : saxhorn / Julien Maillet : violoncelle / Alexis Persigan : trombone / Olivier Thémines : clarinette.

Jochen Rueckert Quartet

Sacré programme pour cette soirée du 2 juin !
À 20h30, sur la scène de la collégiale Saint-Mexme dans le cadre d’un étonnant théâtre de bois ouvert sur l’extérieur, le quartet du batteur allemand (devenu new-yorkais) Jochen Rueckert vient terminer ici une tournée européenne. Seulement trois concerts en France pour une formation qui nous sert un jazz bien de son temps qui dépoussière le swing dans des compositions à l’architecture travaillée entre sophistication rythmique et structures harmoniques qui donnent du grain à moudre à des solistes très affûtés. Bien entendu, on admire une fois de plus le jeu fluide et plein d’invention de Mark Turner, un des grands saxophonistes de notre temps mais le guitariste norvégien Lage Lunde a aussi du répondant ! La paire rythmique Orlando le Fleming et Jochen Rüeckert impressionne par sa cohésion et l’énergie qu’elle injecte dans la musique du quartet. Un superbe concert qui donne l’envie de les réécouter dès que possible.

Gourmet

"En Garde !" [1] les finlandais sont entrés dans la ville et leur musique conquérante aura touché le public au cœur, ravi de pouvoir les réécouter le lendemain et de remettre ainsi le couvert pour Gourmet. Avec une élégance presque aristocratique (costumes sombres, cravate, nœud papillon !) ils entonnent un hymne inaugural qui résonne fièrement dans la cité médiévale. Ensuite, le naturel reprend le dessus et des fissures se font jour... Derrière une apparence feinte cet ensemble de fines lames du jazz finlandais est un groupe de joyeux drilles soudé par l’amitié et une complicité de plus de 20 ans. La musique écrite pour l’essentiel par l’un ou/et l’autre des co-fondateurs, Mikko Innanen (saxophones) et Esa Ontonnen (guitare), repose sur un impertinent mélange des genres, entre jazz et rock, fanfare et orchestre de bal qui pourrait rappeler le Willem Breuker Kollektief (le sens de la scène est un fort point commun). Les arrangements sont assemblés au millimètre comme des meubles scandinaves facilement démontables pour laisser de la place à l’humour et aux dérapages de solistes toujours prêts à se jeter dans d’intrépides improvisations. On notera des hommages appuyés à la France (en forme de clin d’œil à leur manager, Charles Gil, le lyonnais de Finlande !) avec le très solennel et rayonnant de fantaisie "Louis XIV" et une délicieuse caresse à la valse musette avec "Pas de pluie mardi" (envolée magistrale du formidable Veli Kujala à l’accordéon). Le public a craqué et éclaté de rire avec "Pink Camel", souvenir décoiffant d’un voyage à Rabat, autant qu’avec "Muistoja Luxemburgista" écrit à la suite d’un passage apparemment mouvementé dans la principauté européenne. Pour n’avoir pas réécouté cette formation en concert depuis 2012 (dans un château près de Coutances, décidément !), les retrouvailles avec Gourmet m’ont conforté dans l’impression que ce formidable groupe sait s’adresser à tous les publics en redonnant au jazz son caractère populaire et savant à la fois : la noblesse de l’art en somme !
Mikko Innannen : saxophones alto et sopranino / Ilmari Pohjola : trombone / Esa Ontonnen : guitare / Veli Kujala : accordéon / Petri Keskitalo : tuba / Mika Kallio : batterie


Dimanche 3 juin :

Un petit tour en ville sur le marché du dimanche matin permettait d’écouter le duo Pavement Bangerz qui se livre à un impressionnant dialogue rythmique sur d’improbables instruments de récupération, bidons de plastique en tous genres, objets métalliques éclectiques. Belle performance, en particulier lorsqu’ils proposent d’improviser à partir d’objets collectés dans le public avec une imagination pétillante.

L’après-midi, dès 15 heures, un petit tour dans les jardins familiaux de l’île de Tours qui pose son écrin de verdure au milieu de la Vienne.

Kif Kif Quartet

Jazz funky avec le quartet Kif Kif qui s’inspire de l’énergie et du groove de la Nouvelle-Orléans pour revisiter des tubes du jazz des années 60 dans une formule mobile où deux mini-claviers sont posés sur le guidon d’un triporteur !

Sweetest Choice

Moment de pure poésie musicale avec ce duo qui vient de la région toulousaine (même si le guitariste semble avoir migré vers la Belgique...). Sweetest Noise, un duo guitare acoustique-trompette de la "famille" Freddy Morezon, un label-collectif qui nous réserve souvent de belles surprises. Celle-ci par exemple...

L’orage aura été le plus fort et ce bel après-midi champêtre éminemment populaire s’est achevé à la collégiale Saint-Mexme, lieu de repli bienvenu...

Gourmet

Quoi de mieux que Gourmet pour réchauffer les cœurs et chasser l’orage ? Le sextet de choc retrouvait cette même scène mais cette fois en formule quasiment acoustique qui a laissé plus de liberté de mouvement à des musiciens qui savent occuper l’espace et donner de nouvelles couleurs à un programme en grande partie identique à celui de la veille (leur album "En Garde"). Une fois encore le tubiste virtuose Petri Keskitalo a "mis le feu" avec une introduction "chamelière" très épicée pour "Pink Camel", un moment très attendu d’un auditoire marqué par le concert de la veille. Bonus pour ce dimanche, la traduction des commentaires des musiciens assurée par Charles Gil (du finnois au français) qui s’est avérée assez cocasse dans les joutes complices entre les musiciens et leur traducteur-manager.
Gros succès et ovation finale. On espère maintenant que Gourmet saura partir à la conquête d’autres scènes françaises. Une tournée est envisagée pour l’automne 2018 : qu’on se le dise !

Même si l’orage a joué les trouble-fête, cette édition de Chinon en Jazz s’achevait de belle manière. À suivre... en 2019 !


La Fanfare Saugrenue
Orchestre National de Chambre à Coucher Dehors
Orchestre National de Chambre à Coucher Dehors
Jochen Rueckert Quartet
Jochen Rueckert
Jochen Rueckert Quartet
Gourmet
Mikko Innanen
Gourmet
Kif Kif Quartet
Sweetest Choice
Sweetest Choice
Gourmet

[1c’est le titre de leur quatrième album sur le label Fiasco Records (2018)