Alors que beaucoup réfléchissent et que certains décident de mesures censées toucher des publics n’ayant aucun accès à des musiques qui se développent en marge des industries culturelles (industries que le Ministère se propose de favoriser encore un peu plus avec son « pass culture » qui va assurer aux majors et grandes surfaces du divertissement des rentes supplémentaires, sans aider en quoique ce soit l’accès aux musiques créatives dans des lieux de convivialité), d’autres agissent. Yves Dorison, chroniqueur et photographe, a eu l’idée en 1999 de proposer à des collégiens un projet de concerts et rencontres autour du jazz et des musiques improvisées, au sein même de leur établissement. Ce projet a pris fin le 4 mai 2018, faute de soutien et d’aides publiques renouvelées. Le son du jazz et des musiques improvisées ne résonnera plus dans la salle Sangoma Everett du collège La Salle – Lyon Croix Rousse, mais nous ne désespérons pas de pouvoir le relancer ailleurs autrement.

J’ai eu la chance de participer en tant que « musicien résident », de 2010 à 2018, à ce magnifique projet auquel nombre d’artistes se sont joints avec enthousiasme. Dans le désordre : Michel Benita, Alain Blesing, Sophia Domancich, Jean Paul Hervé, Rémi Gaudillat, Fred Roudet, Federico Casagrande, Sébastien François, Didier Levallet, Daniel Erdmann, Robin Fincker, Francesco Bearzatti, Lucia Recio, Pierre Horckmans, Rémi Charmasson, Bernard Santacruz, Quinsin Nachoff, Anne Quillier, Samuel Blaser... Et j’en oublie sans doute, ce dont je les prie de m’excuser. Dans ce collège, les élèves pouvaient donc en amont se familiariser avec ces musiques en suivant quelques heures d’histoire du jazz, ce qui leur permettait d’appréhender par exemple les notions de thème et d’improvisation. Ils ont aussi eu l’occasion de visionner des documentaires sur quelques grandes figures. Ils réalisaient en outre des interviews de musiciens in situ ou lors de déplacements dans les lieux de jazz de l’agglomération lyonnaise. C’était notamment le cas au festival A Vaulx Jazz avec lequel un partenariat existait depuis de nombreuses années, avant que la nouvelle Municipalité décide de le saborder. Les jours de concert, les élèves étaient la cheville ouvrière de l’événement ; ils avaient en charge tout l’aspect technique et l’accueil des artistes en plus d’être vidéastes et de constituer une bonne partie du public. (à noter que les concerts étaient également ouverts aux publics « extérieurs  »). Je ne suis pas prêt d’oublier à quel point je m’étais alors confié sans détours à ces jeunes qui m’avaient interviewé dans les loges du Festival !

Lorsqu’il m’a été demandé de participer à ce projet avec le réseau imuZZic, sans budget autre que les entrées (à très bas coût), j’ai accepté ce nouveau pari avec une curiosité certaine et un grand enthousiasme. Et jusqu’à cette dernière saison je ne l’ai pas regretté une seule seconde ! C’est vrai qu’il fallait pouvoir s’appuyer sur une structure bénéficiant d’un peu d’aides publiques pour compenser le déficit mais je n’ai pas hésité une seconde à répondre à cette demande tant ce projet me semblait aller dans le sens de ce que nous défendons en matière de rencontres artistiques et de rencontres avec toutes sortes de publics. Sans compter sur le fait que j’ai personnellement toujours défendu le fait d’inclure l’accès à l’ensemble des musiques vivantes (ce qui impliquerait de « vrais  » concerts dans les établissements scolaires) dans les cursus de formation. Ne serait ce pour que les enfants et jeunes adultes puissent faire de réels choix en matière artistique, des choix qui ne soient pas seulement imposés par les diktats de l’industrie du divertissement (de plus en plus souvent confondue avec celle de la culture). Mais aussi parce que la musique en groupe, surtout s’agissant d’improvisation, est une leçon de vivre ensemble en plus de tout ce qu’elle apporte. Nous avions fait le pari de concerts impromptus acoustiques avec des formations inédites. Nous l’avons fait sans jamais nous restreindre, sans aucune concession, sans changer quoique ce soit à nos propositions artistiques, en considérant ce public comme tout autre public potentiel, c’est à dire avec respect, générosité et sincérité. Hors de question de faire des concerts soi disant adaptés pour un public particulier. D’un duo totalement débridé avec Francesco Bearzatti, plutôt rock’n’roll, à des concerts plus formels, parfois intimistes ou totalement improvisés, c’est bien l’ensemble du spectre du jazz d’aujourd’hui qui aura été présenté sans œillères. Dire qu’ils nous l’ont rendu au centuple n’est pas loin de la vérité. Il n’y a qu’à relire l’interview que j’avais réalisée d’une partie de ceux avec qui nous avions travaillé pour le Journal des Allumés du Jazz pour s’en convaincre.

J’ai vécu avec passion l’incroyable retour de ce public, leur capacité d’étonnement, leur curiosité, leur franchise, la pertinence de beaucoup de leurs questionnements... Il est totalement regrettable qu’à l’heure où une grande partie de nos élus rognent sur les budgets culturels tout en affirmant souhaiter développer les « actions culturelles », alors que le Ministère veut absolument nous faire rentrer coûte que coûte dans les cases de la sacro sainte «  industrie musicale », qu’un tel projet doive s’arrêter faute d’un minimum d’intérêt des pouvoirs publics. Ah oui, c’est vrai, j’oublie trop souvent que tout ce qui vient « d’en bas » ne remonte jamais vers ceux qui sont censés nous représenter, il faut attendre les désidératas des différents cabinets ministériels pour tenter ensuite de s’insérer dans des dispositifs inventés sans concertation véritable avec les vrais acteurs que sont les musiciens et le public.

Il faut bien sûr rendre hommage aux musiciens et musiciennes ayant accepté ce principe et qui, en toute circonstance, sont restés accessibles. La passion qui les anime, éloignée autant que faire se peut de l’image artificielle du «  star system » véhiculé par les médias traditionnels, a permis aux élèves de véritables échanges, une sensibilisation réelle aux difficultés des métiers artistiques, une découverte de ces musiques créatives en dehors des industries culturelles, en plus d’impérissables souvenirs. Souvenirs que nous avons partagés avec eux et qui resteront ancrés dans nos mémoires. Il faut enfin remercier chaleureusement les professeurs qui ont activement participé au projet, qui en prêtant une batterie, qui en préparant à manger pour les musiciens, tout en notant l’absence des professeurs de musique (sans commentaires...). N’oublions pas non plus les photographes et chroniqueurs dont les comptes rendus nous auront été si précieux ni, bien entendu, Guillaume Franc qui aura tout enregistré.

So long LS Jazz !


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The LS JAZZ Project