Sixième équipée

Ayant récupéré un peu d’énergie derrière les volets clos après le rêve après-gardiste de Gardette, il me sembla bon d’aller cueillir la Résonance au Périscope puisque c’est ainsi qu’étaient nommées les trois soirées de concerts gratuits où l’on vit la jeune scène musicale délivrer son message. C’était le 4 juillet 2018. Cent cinquante six ans auparavant (1862), alors qu’il se promenait sur la Tamise, Lewis Carroll imaginait Les Aventures d’Alice au pays des merveilles afin d’offrir une distraction à Alice Liddell et ses sœurs. Cela n’eut rien à voir avec le projet solitaire du batteur Guilhem Meier, Lfant, qui comme son nom l’indique était assez éloigné du lapin carrollesque. Si l’on en croit le site de l’artiste, il s’agissait d’ouïr un solo de batterie amplifiée où les larsens chanteraient avec les bidons électriques et où l’improvisation naîtrait des matières, des chansons d’un éléphant qu’une nuée de fourmis ferait vibrer. Clair comme de l’eau de roche, non ? De fait, j’eus le sentiment d’assister à une recherche sonore sur les affres intestinales d’une l’apocalypse encore indéfinissable. Il nous apparut en outre qu’il y avait là, dans ce matériau brut, une sorte de vision métallo-gothico-tibétaine ; peut-être celle d’un moine himalayen ayant bu une tisane de crack périmé et auquel la transe occasionnée aurait joué un (dé)tour définitivement malvenu. Bien que l’épaisseur suintante des phonèmes musicaux émis colla à mes pavillons, je n’adhérai que moyennement à l’expérience. Pris de court par l’aspect ferrailleux de l’exercice ? La question demeure en suspens. Toujours est-il que cet objet sonore irrévérencieux, aussi original qu’il fut, glissa sur mon esprit sans le rayer, ni le noircir alors même que les éclairs illuminaient le ciel au dessus de la gare ferroviaire et que de grosses gouttes d’eau, tombant du ciel sur la terre, auguraient d’un attiédissement Celsius ou Fahrenheit opportun pour le bien-être de chacun.

Encore entier après ce chaotique début de soirée, je mis mon esprit en demeure d’écouter Asylon Terra. Pour un errant de mon acabit, le clarinettiste Pierre Lordet, la claviériste Anne Quillier le bassiste Lucas Hercberg et le batteur Clément Black offraient sur le papier des étendues paysagères propices à satisfaire mes modestes besoins de passeurs d’histoires. Je notai en premier lieu (pas commun) que la répétitivité et la polyrythmie embrassaient un spectre mélodique ratissant large. Quelques espaces proches de la musique électronique me remémorèrent l’âge des mes artères, tout comme les échos d’un rock progressif qui lui aussi nourrit mes jeunes années. L’ensemble homogène en diable, quatre jeux singuliers pour une musique de groupe, imposa une dramaturgie bien sentie, sonna sans trébucher, offrant au passage un panorama captivant sur le potentiel évolutif de ce quartet qui s’apprête à enregistrer son deuxième album. Ce fut assez pour orienter le souvenir de ma soirée périscopienne vers des couleurs plus avenantes que celles initiées en première partie par le bruitisme percussif et les stridences (clearwater revival ?). Il n’est pas question ici de dénigrement mais, à l’évidence, de poser un constat ; Que je le veuille ou non, je n’appartiens pas à la catégorie des auditeurs qui peuvent tout avaler sans sourciller et sourire béatement aux silences agonisants. Do I need a therapist ?


Dans nos oreilles

John Coltrane - My favorite things


Devant nos yeux

Françoise Ascal
- La barque de l’aube, Camille Corot


Le Périscope