> Le Cri du Port à Marseille - 25 novembre 2018

Thomas Bramerie : contrebasse, compositions
Noé Huchard : piano
Elie-Martin Charrière  : batterie

N’allez pas croire que cet article soit teinté de prosélytisme biblique. Il se trouve que je me suis rendu avec un ami au concert objet de cette chronique après une randonnée pédestre sur la Côte Bleue fort arrosée, non de quelque breuvage mûri au soleil du sud, mais d’une intense averse tombée du ciel. Super-trempés («  It’s raining again  » !), puis heureusement changés dans la voiture transformée en vestiaire pour l’occasion, nous avons apprécié de trouver le confort et la douce chaleur du Cri du Port, ancien temple protestant (comme quoi...) à l’excellente acoustique, pour y écouter le trio de Thomas Bramerie, contrebassiste émérite et sideman tout-terrain, venu présenter le premier disque en leader du susnommé (« Side Stories »), agrémenté de quelques reprises et standards.

Pour la circonstance, Carl-Henri Morisset, le pianiste attitré de cet excellent trio et de l’album déjà chroniqué dans ces colonnes (voir la « pile de disques » de mai 2018, ici.) était indisponible pour cause de dérapage de cutter et main endommagée (c’est une arme redoutable) et remplacé au pied levé par le jeune Noé Huchard qui n’est autre le fils de Stéphane Huchard, le batteur bien connu. Voici donc le lien logique avec ce qui précède : Noé a sauvé le concert en faisant « l’arche-ment » le job sur un répertoire qu’il n’a découvert que quelques heures auparavant, ce que Thomas Bramerie n’a pas manqué de souligner et le public de louer. Les partitions ont fait office de tables de la loi et la faculté d’adaptation des musiciens de jazz a fait le reste (elle nous épatera toujours).

Or donc, le décor ainsi posé, il nous a été donné d’écouter une musique brillante, ciselée et partagée. La maturité et la maîtrise du contrebassiste leader s’imposent comme une évidence mais en « passeur » intergénérationnel, il laisse un grand espace d’expression aux jeunes musiciens accueillis au sein de ce trio où l’équilibre des forces en présence séduit l’auditeur. Les explications sur le propos du projet, au fil des morceaux, sont ornées d’un accent méridional que Thomas Bramerie n’a pas renié au fil de ses vastes pérégrinations aux côtés de célébrités du jazz et même plus, long séjour à New York compris.

Ancré dans la culture et la tradition du jazz, le trio nous gratifie d’abord d’un sautillant morceau de Thelonious Monk ; il semble que ce soit Played Twice à l’écoute du disque, mais réalisez, cher lecteur, combien il est difficile pour le pauvre chroniqueur, à défaut d’enregistrement du concert, de se souvenir avec précision des thèmes interprétés quand son oreille et son stylo lui ont fait défaut lors de leur annonce verbale plus ou moins claire par les musiciens ! Tant pis pour le titre, mais pour Monk ça ne fait aucun doute.

Place à une composition personnelle issue de l’album précité, avec un incisif et intense Yeïnou (clin d’œil à Madame). On revient aux standards avec l’intemporel I’m getting sentimental over you (George Bassman) où le toucher de piano montre une force percussive, ce qui paraît logique pour un fils de batteur. La contrebasse se fait discrète pour permettre un excellent duo piano-batterie, au passage. Détour par le Brésil avec la composition Troç de Vida, thème chantant et fleuri sur rythme de bossa ; il est toujours sympathique de voir un batteur diversifier le choix de ses baguettes au fil du concert, c’est le cas ici.

Puisqu’il faut bien travailler de temps en temps (ne serait-ce que pour écrire ce que vous lisez, n’est-ce pas ?), voici Work Song, à la pulsation un peu rock, la métrique complexe, phases diverses et rebondissements, tout ce qu’on aime dans une musique surprenante. En contraste, une belle reprise de la douce ballade Un jour tu verras composée par Georges Von Parys sur des paroles écrites et interprétées par Mouloudji. Retour à l’intensité du propos avec d’autres compositions personnelles dont Here (on y est bien, restons-y...), une belle reprise de Milestones (Miles Davis), un peu modifiée selon Thomas : passé les bornes, y’a pas de limites, alors allons-y.

Pour finir, un voyage en Orient avec un thème particulièrement envoûtant (mais au titre pas annoncé ni a fortiori noté, désolé) où le jeu piano évoque un certain McCoy Tyner que notre jeune prodige semble avoir parfaitement assimilé. Impressionnant (Huchard, sûr de toi !).

On en redemande ! A quand le prochain disque de Thomas Bramerie en leader ? D’ici là, on lui souhaite tout le succès qu’il mérite avec ce trio et on salue son souci de promouvoir de jeunes musiciens talentueux. Les « histoires d’à côté » (?) en attendent d’autres pour notre plus grand bonheur.


www.thomasbramerie.com
www.lecriduport.com


Dans le portfolio, Thomas Bramerie vu, en d’autres lieux, par Florence Ducommun et Yves Dorison...