Vingt-cinquième équipée

L’on sait tous (ou presque, et même presque presque) que « The Bridge » est une initiative nécessaire, pertinente et propice à la création musicale. J’en ai eu la preuve, une fois de plus, l’autre jour au Périscope où l’Antichamber music a résonné à mes oreilles. Composé de Claudia Solal au chant, de Katherine Young (USA) au basson bidouillé, de Benoit Delbecq au piano préparé et de Lou Mallozzi (USA) aux platines et à l’électronique, cette occurrence musicale transatlantique (#10) a fait briller l’intelligence des formes musicales en mêlant les voix, puisque tel est le crédo. Élaboré autour des poèmes de jeunesse de James Joyce, le répertoire des deux sets a laissé aux musiciens l’accès libre à toute forme d’inventivité. Ce qu’il fallait à l’évidence dès lors que l’on lie son destin musical, même de manière éphémère, à la poésie, fut-elle celle d’un irlandais voyageur et vagabond universellement connu pour son monumental et expérimental Ulysse (dont le symbolisme me fatigue un peu, même si le fond me convient, j’avoue). Dans les faits, sur scène, j’appréciai les sonorités sensibles au silence de chacun des musiciens car cela donna de l’espace et de la suspension aux textes de l’écrivain. Dans ces entre-deux itératifs, Claudia Solal agit en affranchie vocale, toujours là où on l’attendait et souvent pas quand on l’attendait, tandis que Katherine Young tramait des lignes qui me cachait quelque chose (ce fut du moins mon ressenti), des lignes aux profondeurs fluctuantes qui ne cessèrent de m’interroger. Benoit Delbecq, les mains dans les cordes et sur les touches, et Lou Mallozzi (que je m’évertue à penser Mazzolli, pas vous ?), avec des doigts au touché subtil, laissèrent filer des constructions sonores aériennes, aux respirations douces et versatiles, chargées d’échos ombreux, qui contribuèrent à asseoir ce quartet paritaire dans son champ exploratoire, champ qu’ils parcoururent avec un imaginaire vif, quintessencié, et un art funambulesque de l’équilibre. Et James Joyce, me demanderez-vous ? Ou pas. Je trouvai qu’il eut bien de la chance que ces quatre-là s’attardassent sur certains de ses trente-six poèmes de jeunesse et leur donnassent une autre vie et l’apparence musicale de la beauté car, honnêtement, de mon point de vue, ils ne feront jamais partie des ses textes les plus convaincants, loin s’en faut. Demeure donc dans mon esprit les timbres, la densité, et la mobilité fertile mis en œuvre pour magnifier les écrits poétiques de l’auteur par ce quartet impeccable et charismatique, sans frontière ni a priori. C’était un 20 février et, puisque je parle d’auteur, sachez qu’un autre 20 février, en 1942, Le silence de la mer, livre emblématique de Jean Bruller, dit Vercors, parut clandestinement aux Éditions de Minuit, maison d’édition qu’il fonda avec Pierre De Lescure. La musique de ce texte résonne encore bien évidemment dans toutes les bonnes bibliothèques d’ici et d’ailleurs.


Dans nos oreilles

Dawn Landes - Bluebird


Devant nos yeux

Alain Gerber - Le verger du diable


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