Vingt-huitième équipée

Deux ans déjà depuis la trentième édition que le festival A Vaulx Jazz me manquait. Ceci écrit, pas vraiment enthousiasmé par la programmation, j’avais attendu la soirée du mercredi 27 mars 2019 pour retourner au centre culturel Charlie Chaplin. Ce soir-là, pour débuter les agapes, un duo vainqueur de multiples tremplins (à très juste titre), Lada Obradovic et David Tixier pour les citer, fit résonner ses mélodies avec l’aplomb d’une jeunesse sans complexe mais pas sans talent. Très musicale et ouverte, entre acoustique et électronique subtile, leur musique conquit avec aisance le public. Pour moi, c’était une histoire déjà entendue (avec délectation) depuis longtemps mais je pestai intérieurement des seulement trente petites minutes qui leur furent allouées. La nouveauté de la soirée, c’était eux et non pas les deux quartets qui suivirent, quelle que soit leur très haute valeur.

En deuxième partie de soirée, Louis Sclavis, Benjamin Moussay, Sarah Murcia et Christophe Lavergne portèrent le nouveau projet du clarinettiste lyonnais autour du travail de son ami Ernest Pignon Ernest. A son habitude, Louis Sclavis fut plus qu’engagé dans sa musique et soutenu, plutôt accompagné d’ailleurs, par une triplette de musiciens au diapason de sa démesure exigeante. Mélodique, comme toujours, comme à l’accoutumée prompt à bousculer les cadres au gré d’une inspiration toujours renouvelée, la musique sclavisienne traversa l’espace auditif des spectateurs avec une énergie impétueuse d’où toute concession fut bannie. Mais ceci n’est pas une nouveauté. C’est simplement l’expression exacte d’un artiste insatiable dont la quête a déjà marquée de son empreinte originale plusieurs décennies. Sur le dernier thème, je notai, et mon voisin aussi, une touche coltranienne dans le mouvement improvisé qui ouvrit une porte supplémentaire dans la conduite des affaires musicales du concert et participa à lui donner définitivement les atours d’une réussite exemplaire. Pressé par le temps, le quartet s’éclipsa pour laisser place aux anglo-saxons de service.

Chris Potter, Craig Taborn, Tim Lefebvre et Justin Brown. Sur le papier comme sur la scène du festival ce quartet d’autres francs tireurs eut belle allure. D’entrée à la flûte puis au ténor, Chris Potter, tout en technique inspirée, plaça le curseur à une hauteur assez vertigineuse qui surprit presque ses collègues. Ces derniers ne désarmèrent cependant pas et s’élevèrent progressivement à son niveau stratosphérique pour enclencher une machine au groove puissant qui, si elle me parut sans conteste de belle facture, ne m’enfonça pas dans une transe extatique inoubliable. Pour être honnête, je fus même un peu circonspect, n’étant pas persuadé (depuis des lustres) que technicité, virtuosité et puissance soient suffisantes pour délivrer un message de quelque nature que ce soit. Cela suffit néanmoins au quartet pour convertir le public à son crédo dès l’entame du set. Après quoi, lassé par trop d’univers musicaux successifs, je laissai tout ce beau monde à sa communion et rangeait la boîte à images afin de réintégrer mes pénates avant que l’heure ne fut trop tardive. Le jeudi avait déjà débuté et il promettait d’être long. Alors quoi ? Mes artères avaient mon âge et cela n’a pas changé depuis.

Peut-être aviez-vous noté dans les paragraphes précédents qu’en ce mercredi soir, je manquai un peu de ferveur. Au vu du programme concocté, j’avais imaginé une salle comble. Mais dans les travées du centre culturel, à peine quatre cents personnes s’étaient déplacées. Louis Sclavis, dont l’histoire croise celle du festival depuis toujours, coincé en milieu de programmation, aurait mérité sa soirée, tout comme le duo Tixier Obradovic aurait dû disposer d’une durée de concert décente, une autre soirée, afin de s’exprimer in extenso, sans frustration aucune. Est-ce à dire que l’œuf était trop plein et qu’il en rebuta certains ? La désaffection du public était-elle due au rythme bisannuel imposé par la municipalité au festival ? Si l’on pouvait me renseigner, j’en serais fort aise car je n’ai pas la réponse. Je sais seulement que le 27 mars est à jamais le jour de naissance de Sarah Vaughan (1924) et que cette année-là, ce fut un jeudi.


Dans nos oreilles

Joe Pass - Portraits of Duke Ellington


Devant nos yeux

Jean Echenoz - Lac


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