Trente-et-unième équipée.

Il y a peu, un soir précisément, débarrassé de mon habituelle monture, je livrais mes abatis aux transports en commun lyonnais afin d’aller au Centre d’Histoire de la Résistance et de la Déportation assister à un spectacle hybride, musical et narratif, écrit par Alban Lefranc, qui retraçait la dernière nuit de Sophie Scholl (1921-1943) avant son exécution le 22 février 1943 par les nazis. Après une quarantaine de minutes d’un trajet principalement souterrain, cerné de visages inexpressifs aux oreilles bouchées par des écouteurs, aux visages affadis par la lumière des écrans, j’observai, de manière sombrement définitive, que cette sorte de transports en commun n’approchaient en rien les débauches festives du hippie dream, un temps d’avant notre époque qui ne dura pas mais eut le mérite d’exister.

Sophie et son frère Hans Scholl (1918-1943) appartenaient à un petit groupe de résistants nommé « La rose blanche », groupe dont on connait l’existence grâce au livre d’Inge Scholl, leur sœur, et à l’édition de leur correspondance. Croyants fervents, Sophie et Hans appartinrent d’abord aux jeunesses hitlériennes, contre l’avis de leur père, avant que ne s’éveillent leur conscience et qu’elle s’exprime dans la résistance au régime nazi. L’exaltation et la quête d’absolu fut-elle la clef de leur comportement ? Nul ne saurait dire et l’aventure, à peine plus d’un an, fut brève. Elle demeure néanmoins aujourd’hui le témoignage symbolique d’une résistance à l’oppression et à la barbarie. Mis en scène par Françoise Sliwka, le spectacle fut sobre. Les compositions de Bruno Angelini et Daniel Erdmann, originellement écrites sur des poèmes d’Éluard, furent le support d’un texte simple dans sa chronologie comme dans son expression. Elles traversèrent les mots avec des mélodies claires et habitées qui ne manquèrent pas d’affirmer leur contemporanéité en affectionnant la fréquentation des bordures sonores (comme on marche sur les talus pour mieux observer le chemin), ce qui épaissit dans sa globalité le propos. La comédienne, Olivia Kryger, me sembla par moment jouer plus qu’il n’aurait fallu, au plus près de l’héroïne, quand j’aurai préféré qu’elle porte plus avant le texte dans sa nudité. Mais cela, ce n’est qu’une question de goût et rien de ce qui est écrit ici n’a valeur de jugement. A chacun sa liberté ; tant qu’elle s’exprime, un soupçon d’espoir habite l’espèce humaine et l’espace qu’elle emplit. Et cette liberté que choisirent Sophie et Hans Scholl, elle les mena à la guillotine au matin d’un jeudi hivernal. Notons au passage que leur bourreau, Johann Reichhart, reconnu pour l’excellence de ses compétences professionnelles, fut recruté en 1944 par l’armée américaine pour enseigner ses techniques à John C.Woods, leur exécuteur officiel. Qui osera dire que la connerie n’est pas universelle ?

Je notai d’autre part que ce soir-là le petit auditorium du CHRD était plein. En soi une satisfaction. Je constatai aussi que la moyenne d’âge était plus qu’élevée, ce qui m’inquiéta mais ne me surprit pas. Il ne s’agit pas d’être doloriste, mais la mémoire assoit notre présent et renforce la possibilité d’un avenir, non ? Quoi qu’il en soit, c’était un jeudi 11 avril 2019, dans une Europe en paix et en proie à la résurgence des nationalismes. En 1945, un autre 11 avril, un mercredi, les alliés libérèrent Buchenwald. Robert Antelme y fut enfermé. Il fit paraître en 1947 son indispensable livre « L’espèce humaine » et ne parla plus jamais de son expérience après.


Dans nos oreilles

Adam Baldych - Sacrum profanum


Devant nos yeux

Jack London - Construire un feu


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