| 00- GORDON GRDINA’S NOMAD TRIO . Nomad trio - OUI !
| 01- LANDGREN & LUNDGREN . Kristallen
| 02- LUMEN DRONES . Umbra
| 03- LOU TAVANO . Uncertain weather
| 04- JIM SNIDERO . Project-K
| 05- TAREL / LONERGAN QUARTET . Blurred future
| 06- JOHN BAILEY . Can you imagine ?
| 07- SNORRE KIRK . Tangerine rhapsody
| 08- MACHA GHARIBIAN . Joy ascension
| 09- STEIN URHEIM . Downhill uplift - OUI !
| 10- SARAH THORPE . Deep blue love
| 11- ALICE RICCIARDI / PIETRO LUSSU . Catch a falling star - OUI !
| 12- BILLY BUTLER, AL CASEY . Guitar odissey
| 13- CLAUDIA SOLAL - BENOIT DELBECQ . Hopetown - OUI !
| 14- TABASCO . The very last blues
| 15- SAMY THIEBAULT . Symphonic tales
| 16- ZEPHYR QUARTET . Vers le Grand Large
| 17- PAUL LAY . Deep Rivers
| 18- PEROWSKY / MEDESKI / SPEED . Upstream


  GORDON GRDINA’S NOMAD TRIO . Nomad trio

Skirl Records

Gordon Grdina : guitare, oud
Matt Mitchell : piano
Jim Black : batterie

Les trois musiciens de ce nouveau trio n’en sont pas à leurs débuts. C’est pourquoi ils sont à même de proposer un jazz de haute voltige au sein duquel les interactions complexes sont des pierres angulaires indispensables au déroulement des ambitions musicales du compositeur, Gordon Grdina. Il fait d’ailleurs feu de tout bois et offre à notre écoute des pièces véritablement nomades tant elles puisent aux sources les plus diverses. Nomades, Matt Mitchell et Jim Black le sont aussi, à tous les sens du terme. Ils ne s’interdisent rien et ont trouvé avec le guitariste et oudiste un partenaire de choix pour exprimer leur créativité sans frontière. Toute de cérébralité et d’innocence primale, leur musque est un syncrétisme entre le jazz le plus ouvert à l’improvisation et le rock indépendant quand ce n’est pas à la musique arabe. Des couleurs aux inspirations variées ainsi exposées naissent des paysages sonores pour le moins singuliers, basés sur des rythmiques décalées et des lignes harmoniques instables. A l’écoute, on peut être pris par une sorte de tourbillon fusionnant les contrastes jusqu’à un point de convergence inédit propice à la surprise. Entre enracinement et nouveauté, la musique du leader canadien et de ses comparses arpente des voies audacieuses en tout point séduisantes. Pouvait-il en être autrement avec de pareils musiciens ? Évidemment non. Et c’est tant mieux pour celles et ceux qui écouteront ce bel album à la cohérence si particulière.

Yves Dorison


https://gordongrdina.bandcamp.com


  LANDGREN & LUNDGREN . Kristallen

Act

Nils Landgren : trombone & voix
Jan Lundgren : piano

Le duo est la combinaison la plus étroite qui soit pour faire de la musique « en groupe ». Ceci est une évidence (pour bien commencer l’année…) ! Mais c’est pourtant avec ce type de dialogue que l’on aborde à des rivages immenses et comme dénués de frontières. Il nous semble également que cette immensité possède les atours d’une profondeur particulière qui ne peut s’exprimer qu’au sein de cette dyade. Emplie d’une équanimité sans faille, la musique de Landgren et Lundgren se livre à l’instant sans détour, l’approfondit et le construit, forme des miniatures cristallines (le titre de l’album est seyant) pleines et douillettement chaleureuses. Avec une playlist éclectique allant du traditionnel nordique à la pop en passant par le standard, les deux complices font le tour de leurs plaisirs musicaux en les habillant de créativité avec un savoir faire épatant et un goût très sûr. La voix de Nils Landgren, délaissant momentanément son trombone, ne manque pas d’expressivité. Le piano de Jan Lundgren laisse passer le lyrisme naturel de l’artiste avec ce toucher qui lui est propre et aisément reconnaissable. L’authenticité de leur musique est le fruit d’une interaction permanente nourrie d’instinct. Impressionnistes de bout en bout, les couleurs paysagères mises en avant par le duo dessinent une cartographie des émotions spontanées que les étendues mélodiques génèrent sans heurt et dans l’épure avec une minutie scrupuleuse. Une incontestable réussite dans un registre de jazz classique écoutable sans difficulté par toutes les oreilles.

Yves Dorison


https://www.actmusic.com/en/Artists/Nils-Landgren/Kristallen/Kristallen-CD


  LUMEN DRONES . Umbra

Hubro

Nils Okland : violon
Peter Steinar Lie : guitare
Orjan Haaind : batterie

Cinq ans après la parution de leur premier album chez Ecm, Lumen Drones remet le couvert avec un disque fidèle à l’esthétique initialement mise en avant par le passé. Autant dire qu’il faut accepter par avance l’étrangeté sonore et les glissements stylistiques d’un genre à l’autre si l’on souhaite profiter pleinement de l’expérience Lumen Drones. Si chaque morceau possède une identité propre nettement marquée, l’espace musical fréquenté par le trio s’avère accordé à une atmosphère unique, quelque part entre sauvagerie et passager apaisement. La tension, elle, est omniprésente et singulièrement sans véritable signature tant elle est intériorisée dans le continuum sonore. Post rock ou avant-gardiste, ou autre chose encore, la musique de Lumen Drones ne s’embarrasse pas de stéréotype et plonge avec abnégation dans sa beauté animale avec un appétit goulu. Assis à la table du trio, il vous faudra un sacré estomac pour ingérer la pitance sonore richement engraissée à l’expérimentation la plus énergique qui soit. Si chuchotements il y a, ils sont enfouis dans le grondement rythmique et les mélodies compulsives. Folkloriques à tendance moyenâgeuse, certaines ambiances laissent filtrer, et induisent chez l’auditeur, une forme d’inquiétude sensible à la dramaturgie oppressante. Inclassable et versatile, complexe et entêtante, la musique de Lumen drones, dans son bouillonnement créatif et sa puissance d’évocation, exige une attention soutenue afin de se révéler pleinement. Mais le jeu en vaut la chandelle.

Yves Dorison


https://hubromusic.com/lumen-drones-umbra/


  LOU TAVANO . Uncertain weather

L’un L’une / L’autre distribution

Lou Tavano : chant
Alexey Asantcheeff : piano
Guillaume Latil : violoncelle
Alexandre Perrot : contrebasse
Ariel Tessier : batterie

Avec ce nouvel album, Lou Tavano confirme qu’elle est la détentrice d’un univers personnel exempt de fadeur. Sa voix, toute d’émotions, navigue entre les tourments intérieurs réprimés et la libre expression d’une sensibilité exacerbée. Avec ses musiciens habituels auxquels s’ajoute le violoncelle de Guillaume Latil, elle creuse dans ses doutes et ses affects avec une sincérité non feinte qui s’accorde avec les humeurs météorologiques de l’Écosse où ce disque fut enregistré. Il en nait une musique de l’intime toujours lyrique qui n’omet cependant pas de laisser sa part à l’évanescence. Chaque composition est évocatrice des interrogations et ressentis de la chanteuse. Sa voix rompue à la modulation habite l’ensemble avec une chaleur convaincante et une fragilité émotionnelle magnifiée par ses accompagnateurs dont les qualités personnelles et la cohésion de groupe participent à la réussite de ce projet à bien des égards organique. Et si sa musique s’éloigne encore un peu plus du jazz mainstream, Lou Tavano nous ouvre généreusement en retour un monde intérieur, le sien, créateur d’une musique originale, passionnée et persuasive, nourrie de climats changeants, à fleur de voix, et par essence propices à l’introspection. Pour nous qui suivons cette artiste depuis ses débuts, son dernier disque apporte la confirmation d’un talent mature qui ne demande qu’à s’exprimer dans son entièreté.

Yves Dorison


https://www.nemomusic.com/index.php/fr/lou-tavano


  JIM SNIDERO . Project-K

Savant Records

Jim Snidero : saxophone alto
Dave Douglas : trompette
Orrin Evans : piano
Linda May Han Oh : contrebasse
Rudy Royston : batterie
Do Yeon Kim : gayageum

Pour ce nouveau disque consacré à la culture coréenne, Jim Snidero s’est entouré d’une équipe de « tueurs » (voir ci-dessus) rompus à tout type d’exercice musical auxquels s’ajoute Do Yeon Kim, joueuse de gayageum, un instrument traditionnel de la famille de cithares. Comme nous ne savons rien ou presque de la culture coréenne, l’on s’est penché avec intérêt sur ce projet. L’on a été surpris par la sonorité un peu étouffée du gayageum tout autant que par son évidente intégration au sein du groupe de sonorités que nous avons l’habitude d’ouïr. Les compositions originales du saxophoniste développent une musique oscillant entre l’introspectif et l’expressif dans un genre de mouvement pendulaire qui interpelle à certains moments. Mélodique et ouvert à l’inconnu, le sextet fait passer l’auditeur du folklore coréen au jazz (on a même un blues) jusqu’à les mêler avec une science émérite. Chacun des musiciens est mis en valeur par l’écriture de Jim Snidero et l’ensemble fait preuve d’une belle homogénéité. Pourtant, il nous a manqué un petit quelque chose pour être entièrement convaincu par ce projet, un je-ne-sais-quoi qui fait la différence et qui nous aurait permis d’en dire plus de bien encore. Cela demeure néanmoins un Cd fort intéressant qui devrait satisfaire sans effort plus d’un auditur exigeant.

Yves Dorison


https://www.jimsnidero.com


  TAREL / LONERGAN QUARTET . Blurred future

Tetrakord

Riley Stone Lonergan : saxophone ténor et compositions
Fabrice Tarel : piano et compositions
Michel Molines : contrebasse
Andy Barron : batterie

Avec cette nouvelle formation, Fabrice Tarel lie son désir de jazz à celui du jeune (lui aussi) saxophoniste irlandais, Riley Stone-Lonergan. Remarqué pour sa vélocité inventive et sa parfaite technique, ce dernier fait montre d’une capacité de compositeur intéressante. Couplée à celle du pianiste, elle permet une expression musicale convaincante pour un jazz post bop tout de finesse et d’énergie. Fortement épaulés par une rythmique sans faille, le pianiste et le ténor peuvent s’engouffrer dans les méandres de leurs imaginaires respectifs sans crainte de s’égarer. Souvent nerveuse et prête à bondir, leur musique fait la part belle aux soli de Riley Stone-Lonergan qui déroule un jeu puissant et particulièrement incisif dans sa sonorité globale. S’il faut évoquer une certaine parenté dans l’approche stylistique, nous devons dire que nous avons pensé par moment à la fougue vituose de Marius Neset, ce qui n’est pas une honte en soi d’ailleurs. Chatoyantes et gorgées d’empathie, les compositions du disque forment un ensemble harmonieux permettant à chacun d’exprimer son talent avec à-propos.

Yves Dorison


http://fabricetarel.com


  JOHN BAILEY . Can you imagine ?

Freedom Road Records

John Bailey : trompette, Flugelhorn
Stacy Dillard : saxophones ténor & soprano
Stafford Hunter : Trombone
Edsel Gomez : Piano
Mike Karn : contrebasse
Victor Lewis : batterie, percussion

Special Guests :

Janet Axelrod : flute, flûtes alto & basse
Earl McIntyre : trombone basse, tuba

Si vous ne connaissez pas le trompettiste John Bailey, sachez qu’il a accompagné Ray Charles, Ray Barretto, qu’il a été membre du Woody Herman orchestra ; la liste n’est pas exhaustive. Comme on dit, c’est vieux de la vieille. Plus élégamment, il ne manque pas d’expérience. Il s’est souvenu qu’en 1964, Dizzy Gillespie s’était présenté à la Maison Blanche qu’il voulait rebaptiser « The blues house ». Au plus fort du mouvement civique, Gillespie faisait dans la satire et nommait dans son futur gouvernement, Armstrong à l’agriculture et Miles à la tête de la CIA, mais aussi Ellington ou encore Ray Charles à la direction de la bibliothèque du Congrès et Malcolm X en Attorney général... 55 ans après, John Bailey rend hommage à cette boutade gillespienne. Lui ses comparses posent la question : et s’il avait gagné ? Ils en font le prétexte de ce disque au swing exubérant, digne héritier d’un hard bop qui plaçait le groove au pinacle. Avec des solistes rompus à l’exercice et une rythmique emmenée par Victor Lewis, les qualités du genre sont mises en exergue et la musique coule toute seule. Elle est amicale, dirons-nous, ce qui en ces temps de tromperies trumpiennes est une vertu non négligeable. Pas moralisateur pour autant, l’éclectique trompettiste explique dans les notes du Cd que « l’album n’a pas pour but de déplorer notre agitation actuelle, mais d’offrir une meilleure alternative, une alternative dans laquelle nous nous élevons à notre meilleur niveau. « Le changement positif est un thème important dans cet album », conclut-il. « Je suis un patriote. J’aime mon pays. Je veux éclairer les gens, leur faire contempler non seulement le vertige de la présidence en 1964, mais aussi toutes les occasions que nous avons eues et que nous aurons de défendre la compassion, la dignité et le civisme. Je suis un peu frustré que nous n’en soyons pas encore là, mais je crois que nous parviendrons à la justice sociale et je suis obligé de servir la cause. » Nous sommes d’accord et prenons plaisir à écouter cette galette colorée d’un niveau musical imposant.

Yves Dorison


https://www.johnbailey.com/index.html


  SNORRE KIRK . Tangerine rhapsody

Stunt Records

Stephen Riley : saxophone tenor
Magnus Hjorth : piano
Anders Fjlsted : contrebasse
Snorre Kirk : batterie & compositions

invité :

Jan Harbeck : saxophone ténor ((2 & 3)

Le batteur danois Snorre Kirk possède une qualité que nous apprécions à sa juste valeur : il est économe et circonstancié dans son jeu. Dans ce cinquième album sous son nom, outre sa rythmique habituelle, il s’adjoint le talentueux saxophoniste ténor américain Stephen Riley dont le parrain musical pourrait être Ben Webster. Ses compositions semblent intemporelles et marquées d’un sceau pour le moins ellingtonien. Ce qui ne nous dérange pas. Elles sont impeccablement mélodiques. Soyeuses et arrangées tout en souplesse et déhanchement, elles ne débattent jamais de la mesure. Elles la battent, un point c’est tout. Sur deux titres, Jan Harbeck et Stephen Riley confrontent cordialement leurs ténors comme au bon vieux temps : deux sonorités distinctes pour une même esthétique. Le tour est joliment joué, il vaut gentiment le détour (ahead). Et vous me direz que c’est une resucée, que c’est has been, limite rétrograde. Wesh ? Le jazz, c’est du jazz. Pourquoi, scandinaves ou pas, les musiciens ne le joueraient-ils pas ? Une musique ronde comme ça, luxuriante dans son élégance surannée, c’est l’art de la douceur, entre velours et soie, avec un soupçon de chintz pour affermir le swing. C’est chaleureux, apaisant et cela donne à l’auditeur cette impression sympathique que les échanges entre musiciens s’exécutent dans un monde un peu moins glauque que le nôtre. Le jazz est une musique de partage. Et quand ce dernier se fait dans une atmosphère amicale, chacun en retire un bénéfice qui n’a rien de financier ; on appelle cela du plaisir.

Yves Dorison


https://snorrekirk.dk


  MACHA GHARIBIAN . Joy ascension

Meredith Records

Macha Gharibian : voix, piano, Fender rhodes
Chris Jennings : contrebasse
Dré Pallemaerts : batterie

Invités :

Bert Joris : trompette
Artyam Minasyan : doudouk

A la croisée des routes musicales, la voix solaire de la pianiste Macha Gharibian métisse les émotions. Dans son jeu de piano, la subtilité s’avère incontournable. Qu’elle évolue entre jazz, pop et folk ethnique ne gâche rien. Percussive par nature, elle peut enflammer l’auditeur avec aisance et l’inclure dans des mélodies prenantes qui s’acoquinent avec des rythmes hypnotiques. Sous le volcan, la lave. D’un titre, l’on dira qu’il est éruptif, d’un autre qu’il coule avec force et persuasion, comme la lave précitée. Accompagnée par des coloristes hors pairs, le canadien Chris Jennings et le belge Dré Pallemaerts, Macha Gharibian est à la tête d’un trio fusionnel qui est attrayant à bien des égards car, tour à tour aérée ou dense, la musique offerte en partage est composée comme autant de tableaux, d’atmosphères se complétant harmonieusement. Macha Gharibian ne semble pas se soucier des genres et elle invente le sien en toute liberté. Rien de mièvre dans cet album qui plaira aux amateurs de musique aux accents voluptuaires comme à ceux qui ne refusent pas les chemins de traverse où l’alchimique exprime la diversité sans désaccord.

Yves Dorison


https://www.machagharibian.com


  STEIN URHEIM . Downhill uplift

Hubro

Kare Opheim : batterie & percussions
Hans Hulbaekmo : batterie, percussions, vibraphone & flûte
Ole Morten Vagan : contrebasse
Stein Urheim : guitres, voix, bouzouki, tamboura, mandoline, tambûr, harmonica, flûte, électronique, synthétiseurs & percussions

Sur la scène scandinave qui ne cesse de bouillonner d’inventivité, Stein Urheim fait figure, comme bien d’autres musiciens du crû, d’artiste aux idées nettes quant à la fusion des genres musicaux, quelle que soit leur provenance. Est-il extra-terrien ou strictement cosmogonique ? Nous ne nous prononçons pas. Toujours est-il que sa musique voyage, si tant est qu’elle ne soit pas le voyage elle-même, dans des contrées panoramiques fortement influencées par l’ouest américain. Entre West-coast et americana, les textures qu’ils développent avec son quartet sonnent et résonnent d’un ou plusieurs timbres familiers. La lumière peut y être crue ou caressante selon l’angle d’approche et la voie exploratrice choisie car Stein Urheim marque une tendance soutenue à la sortie de route, entre jam psychédélique seventies et suprême envolée coltranienne. Spatial par essence, Stein Urheim, en multi-instrumentiste convaincu, agrémente son propos mélodique de nombreuses touches sonores constituant une palette aux couleurs presque énigmatiques. Des zones interrogatives se dessinent entre les accords et, à l’écoute, il arrive que l’on ne soit plus certain de l’époque dans laquelle on vit tant le compositeur fait preuve, dans ses arrangements, de créativité astucieuse. Dans cet album au paysage cinématographique, une étendue magnétique, floydienne, où se croiserait David Crosby et Coltrane, Ravi Shankar et les High Llamas, la pensée auriculaire peut dériver entre les sonorités insolites avec désinvolture et se raconter des histoires avec celles du musicien pour terreau. Stein Urheim fait œuvre dans ce disque d’une plasticité musicale élargie qui mérite toute votre attention. Rien moins.

Yves Dorison


https://steinurheim.com


  SARAH THORPE . Deep blue love

Dot Time Records

Sarah Thorpe : chant
Olivier Hutman : piano
Darryl Hall : contrebasse
John Betsch : batterie

Invités :

T.K. Blue : saxophone alto (1, 2, 6, 10) & soprano (7), flûte (2, 4, 7),
JosiahWoodson : trompette (1, 2, 6, 7, 10), flugelhorn (4)
Ronald Baker : trompette (3, 5), voix (1)
Ismaël Nobour : drums (5)

La chanteuse franco-anglaise, Sarah Thorpe, vient de sortir un deuxième avec une rythmique de tueurs, John Betsch et Darryl Hall, un pianiste reconnu qui aime travailler avec les chanteuses, Olivier Hutman (Denise King, Alice Ricciardi…), et quelques invités qui ne dépareillent pas dans le line-up. Formée par la trop discrète Sarah Lazarus et la légendaire Michelle Hendricks, elle bénéficie d’une voix claire et cristalline qui sait se fondre dans la musique de ses accompagnateurs. Également compositrice, un tiers de compositions personnelles sur cet album, elle propose un jazz fortement lié à la tradition sans se priver de fréquenter les rives du rythm and blues et de la soul. L’ensemble du disque est animé par une joie de jouer très communicative et chacun des musiciens sait donner le meilleur de son art au service de la chanteuse. Cela nous a d’ailleurs semblé un disque de groupe au swing énergique et empli d’un bon groove, avec une vocaliste sûre de sa voix, de sa technique (un scat assez redoutable) et dont on peut sans risque affirmer qu’aucune des qualités qu’il faut par faire une belle carrière ne lui manque. Si nous avons noté, entre autres, un très bon duo avec le pianiste (lonely woman), l’ensemble des morceaux possède un charme attractif qui laisse augurer le meilleur pour l’avenir. The best is yet to come, n’est-ce pas ?

Yves Dorison


https://www.sarah-thorpe.com


  ALICE RICCIARDI / PIETRO LUSSU . Catch a falling star

Gibigiana Records

Alice Ricciardi : chant
Pietro Lussu : piano, fender rhodes

Sur ce coup-là, nous avons quelques mois de retard, le disque est sorti en septembre, mais nous tenions à dire le bien que l’on pense de ce duo italien tant il nous livre une musique habitée. Dans une esthétique qui fait penser à Jeanne Lee ou Helen Merrill (le duo avec Gordon Beck), Alice Ricciardi (qui a étudié avec Ran Blake) et le pianiste Pietro Lussu font preuve d’autant de maîtrise que d’originalité en parcourant une playlist puisant à toutes les sources. Du songbook américain à la pop music des années soixante et quelques compositions originales, le duo s’autorise des relectures pertinentes gorgées d’une pulpe légère et truffées d’imagination mélodique. L’interprétation pertinente et délicate des textes par Alice Ricicardi est un régal. Elle nous invite à pénétrer des mystères musicaux que l’on connait depuis toujours et qui paraissent étonnamment nouveaux. La qualité de sa diction, le léger voile dans sa voix, l’art de l’étirement sur la note qui est le sien, font parti d’un tout parfaitement partagé avec un pianiste plein d’idées se faisant tout à tour poétique et malicieux, et en toute occasion inspiré. Alice Ricciardi et Pietro Lussu s’abandonnent dans l’intimité de leur musique avec une élégance discrète et spontanée qui nous offre des moments de suspension envoûtants et d’autres plus alertes non moins beaux. Jamais loin du silence, les bonnes vibrations résonnent et la sensibilité commune des deux artistes s’y épanouit dans un chant commun que l’on vous conseille vivement.

Yves Dorison


http://www.alicericciardi.com


  BILLY BUTLER, Al CASEY . Guitar Odyssey

Frémeaux et associés, Panassié Sessions

Billy Butler : guitare
Al Casey : guitare
Jack ie Williams : batterie

NYC , 11 et 12 juillet 1974, 60 mn.

Depuis quelques années, Frémeaux publie en CD les enregistrements réalisés par la famille Panassié dans les années 70 : L’aventure du jazz ;
The historic and legendary Jo Jones  ; The Lion and the Tiger  ; Milt Buckner et Jo Jones (non reçu).
C’est au tour d’un duo de guitaristes, Billy Butler et Al Casey, plus un batteur, enregistré en juillet 1974 [en janvier-février, Herb Ellis et Joe Pass avait enregistré un disque en duo (Two for the road) resté dans les mémoires (Pablo)].
Billy Butler (1924-1991) s’est fait connaître avec l’organiste Bill Dogget ; on l’entend dans le fameux Special Twist-3046 people danced till 4 A.M. to Bill Doggett (Warner 1961). Ce musicien a un son de guitare franc et variable ; il utilise également une curieuse pédale qui évoque la musique hawaïenne ou une sorte de jeu en bottleneck électrifié et produit un effet de nappes sonores. Comme accompagnateur, il joue essentiellement des accords, les quatre temps ou quelques variantes sur le blues (canal de droite).
Al Casey (1915-2005) a joué longtemps avec Fats Waller, accompagnant en accords sur les temps. Dans cet enregistrement, c’est le premier soliste, avec une sonorité claire, son accompagnement est varié, par accords frappés ou arpégés, ou en contre-chant ; il a un son plus modeste que son partenaire (canal gauche).
Le batteur, Jackie Williams (1933), est discret et assume le rôle de garde-fou sans doute.
Le répertoire est composé essentiellement de standards (8) et de trois originaux ; d’une pièce deux prises sont données.
La musique est plaisante, entrainante et souigne naturellement, jouée en tempo medium. Le jeu de pédale de Butler donne une variété et un certain exotisme moderniste à la musique.

Philippe Paschel


  CLAUDIA SOLAL – BENOIT DELBECQ . Hopetown

Rogueart

Claudia Solal : voix
Benoit Delbecq : piano

Dans l’univers du duo piano/voix, la rencontre entre Claudia Solal et Benoit Delbecq apparait comme une évidence. Tous deux, possèdent cet étrange regard panoramique sur l’intériorité qui immerge l’auditeur dans leur expressivité mélodique et lui donne un sentiment de proximité immédiate avec le propos musical dans sa linéarité. Leur musique nous englobe ; elle ne nous force aucunement mais nous laisse sombrer dans l’intime, par le profond mystère de la note frappée, lissée, résonnante, et le souffle surréel des mots, des mots creusés dans l’os qui crépitent d’une douce folie interrogative. C’est en soi un hinterland qui vagabonde à côté des chemins balisés. Tapi dans l’ombre de la route, à l’abri des hordes, il parle à nos silences, leur donne à voir, leur donne à vivre. La fêlure et l’écho dans la voix, le clavier assonant, le croisement des leurs itinéraires, de leur inventivité, accouchent d’instants fugacement appuyés où vivent des antilogies au service d’une autre vérité. Au royaume des doutes, Claudia Solal et Benoit Delbecq extériorisent par la sensation l’instinctif, sa fibre et son affectivité. Ils sont le manifeste d’un paradigme éminemment personnel aux valeurs planétaires. Dans l’infiniment petit, la grandeur se terre. Dans l’infiniment grand, le minuscule rayonne. L’ailleurs a choisi leur duo. Il leur offre de contempler depuis l’intimité du talus le bruit du grand chemin où se meut le tourbillon. Les confronte-t-il aux fragments d’une vie rêvée ?

Yves Dorison


https://www.claudiasolal.com
http://delbecq.net/bd/bd2.html


  TABASCO . The Very Last Blues

Robin Nicaise : saxophone
Léonardo Montana : piano
Loïc Réchard : guitare
Ivan Réchard : contrebasse
Fred Pasqua : batterie

Clapson/ Inouïe Distribution

On se doit d’être relevé avec un tel nom ! L’ensemble du CD ne manque pas de piquant en effet. Tabasco de passage à Caen, dans les foyers du Théâtre, il y a quelques semaines, a laissé un bon souvenir tant au public ainsi qu’aux deux frères Réchard originaires de cette même ville. Tabasco persiste et signe : The Very Last Blues succède à The Last Blue. Avec raison. Le Go Go Go introductif a valeur programmatique : le disque va, en effet, de l’avant. Avec l’aisance de ce qui avance et de ce qui balance. Le disque est placé sous le signe du plaisir du jeu, de la mélodie et celui d’être ensemble. Ainsi, trois musiciens de Tabasco se partagent les compositions. La variété est donc au programme L’impulsion apportée d’entrée de jeu par le titre original d’ Ivan Réchard (contrebasse)trouve son prolongement dans une Mer de Nuit toujours de son cru et dont on se demande s ‘il s’agit d’une incitation à la contemplation ou bien plutôt à fendre les flots ? En revanche, Mountain Journey, premier titre du CD à être composé par le saxophoniste Robin Nicaise semble retrouver le calme et un rythme plus apaisé . De même les titres suivants, En Apesanteur et de Comète Part 2 envisagent d’autres rivages ou plutôt d’autres cieux où le mouvement est davantage suspendu. Il est vrai qu’auteur d’un CD Nouvel air, le saxophoniste annonçait déjà la couleur avec les grands espaces, Comète et autres Mercure, Neptune. Le guitariste Loic Réchard auteur de Janvier et le batteur Fred Pasqua complètent ce quintette auxquels il convient d’ajouter pour que le compte y soit, le pianiste d’origine brésilienne Léonardo Montana déjà présent dans le précédent opus (produit, signalons-le, par le Petit Label caennais). Il apporte ce rythme discrètement obsédant qui donne sa couleur définitive à un enregistrement que vient clore une belle reprise du seul standard du CD, When I Graw Too Old To Dream.

Jean-Louis Libois


info@tabascoquintet.com


  SAMY THIEBAULT . Symphonic Tales

Samy Thiebault  : saxophone ténor
Adrien Chicot : piano
Sylvain Romano : contrebasse
Philippe Soirat  : batterie
Mossin Kawa : tablas

et L’Orchestre Symphonique de Bretagne
Aurélien Azanzielinski  : direction

Se concilier l’apport d’un orchestre symphonique pour un musicien de jazz ou pour une petite formation est souvent perçu comme une aubaine. Nombre d’orchestres classiques en région notamment et de musiciens de jazz en ont fait l’expérience avec plus ou moins de bonheur. Car il y a parfois un désir de s’encanailler chez les uns du côté du swing et de l’improvisation et une tentation légèrement mégalomaniaque chez les autres (la « grande musique » à son propre service). Pourquoi pas, cependant, cette hybridation qui permet à deux univers constitués de faire un bout de chemin ensemble ?
Le projet du saxophoniste Samy Thiebault diffère en ce point qu’il a annexé l’Orchestre Régional de Bretagne pour son propre compte : compositions, arrangements et improvisations sont essentiellement de son fait au profit d’une inspiration indienne qui succède à celle caraibaïne du précédent CD. Diva and Shiva, Adana, Ajurna, Diwali constituent quelques uns des titres qui donnent le ton. Dans cet ensemble, intitulé Symphonic Tales, le jazz trouve néanmoins à s’exprimer en la personne du soliste Samy Thiebault bien sûr mais aussi sous l’impulsion de musiciens qui sont loin d’être inconnus puisqu’ils ont pour nom Sylvain Romano (contrebasse), Philippe Soirat (batterie) et Adrien Chico (piano). Pour autant il n’est toujours pas simple pour le trio de trouver sa place dans cette masse symphonique ou plutôt concertante entre saxo et orchestre : mais même aussi comptée soit-elle, leur intervention apporte une coloration jazzy à un ensemble- il est vrai- davantage tourné vers une fusion classique, jazz et musique indienne ( aux tablas Mossin Kawa ) non sans un réel allant d’ailleurs .

Jean-Louis Libois


www.samythiebault.com


  ZEPHYR QUARTET . Vers le Grand Large

Jean-Pierre Leguen : guitares classique & électrique
Bobby Rangell : flûte et saxophones
David Pouradier Duteil : batterie et udu
Olivier Rivaux : contrebasse

Invité : Michel Leguen guitare classique

Production Jean-Pierre Leguen

L’appel du grand large est donné dès le premier morceau qui donne son titre au CD. Flûte aérienne et guitare classique invitent au voyage et à la magie des grands espaces maritimes . Le jazz prend son envol par l’entremise du saxophone et de la guitare électrique dans le second titre L’Anse noire. Cap à l’Ouest mélange les deux aventures- dirait-on- dans son imaginaire aussi bien que dans son instrumentation. La flûte de Bobby Rangell au service des compositions ailées du guitariste Jean-Pierre Leguen n’y est évidemment pas étrangère. Des échos latins parviennent dans le morceau suivant En plein jour ,beau comme du Villa -Lobos . Avec En plein jour, le jazz reprend un peu plus ses droits. Turbulence, en guise de finale, boucle avec brio cette invitation à un voyage musical swinguant.
Enraciné dans le jazz, ce désir d’ailleurs musicaux de Zéphyr Quartet est porté par un jazz aérien et des musiciens subtils sans oublier la touche du compositeur de la plupart des morceaux,le guitariste Jean-Pierre Leguen.

Jean-Louis Libois


06 73 50 78 99 ou jplgu@wanadoo.fr


  PAUL LAY . Deep rivers

Laborie Jazz

Les musiques populaires de la fin du XIXème et du début du XXème siècle sont au programme du nouveau disque de Paul Lay. Abordées sous un angle neuf, ces mélodies importées par les soldats américains trouvent ici une nouvelle jeunesse. Paul Lay y ajoute quatre compositions personnelles qui épousent harmonieusement les anciens morceaux. En trio, avec Simon Tailleu à la contrebasse et Isabel Sörling au chant, ou rejoint par des invités nécessaires, Paul Lay donne à cette musique une double identité, l’originale et la sienne en palimpseste. Lyrique sans esbroufe, l’ensemble est parcouru par une atmosphère où se côtoient l’aube et le crépuscule, l’intime et le déclamatoire. La voix d’Isabel Sörling vous prodiguera moult frissons. Portée par la basse épurée de Simon Tailleu et l’expressivité du pianiste, elle transmet avec grâce à ces musiques la part dramatique qui devait les habiter sur les champs de bataille de la première guerre mondiale. Profondeur et légèreté se mêlent tout au long de cet enregistrement qui capte parfaitement l’essence même de ces airs qui trouvèrent chez nous une seconde patrie. Notons pour finir la présence de ce très beau poème du militaire anglais Charles Sorley, mort en 1917, mis subtilement en musique par Paul Lay qui par sa simplicité exprime avec justesse la bêtise de la guerre.

Yves Dorison


http://www.paul-lay.com


  PEROWSKY / MEDESKI / SPEED . Upstream

El Destructo Records

Chris Speed : saxophone
John Medeski : orgue
Ben Perowsky : batterie

Enregistré à Woodstock en 2014, ce disque n’est sorti en catimini que cinq plus tard, soit à la fin de l’automne 2019. Mais peu importe puisque la musique est bonne. Des compositions originales bien sûr, mais aussi du Wayne Shorter ou du Miles, constitue un ensemble homogène au sein duquel chaque musicien donne le meilleur de lui-même. Entre amis à la campagne pour un temps, les trois lascars new-yorkais pur jus se lancent dans des improvisations démontrant clairement les liens qui les unissent. Dans ce Cd, l’on s’écoute et l’on échange en toute tranquillité. Mais on le fait au niveau des musiciens présents ! C’est donc virtuose, enjoué, subtil, lyrique et toujours solide comme un bon vieux granit. Nous avons cependant trouvé l’enregistrement un peu fade et ne rendant pas complètement hommage à la musique du trio. C’est aussi, signalons-le, leur seul opus disponible. Il est conséquemment inenvisageable de ne pas l’écouter. Ce serait dommage de se priver, non ?

Yves Dorison


https://benperowsky.bandcamp.com/album/upstream